• Dans un futur non daté Antar, employé à domicile du Conseil international de l'eau, retrouve la trace de son collègue Murugan, disparu à Calcutta en 1995. Murugan était parti en Inde pour y enquêter sur Ronald Ross, prix Nobel de médecine en 1902 pour ses découvertes sur la transmission de la malaria. Murugan est convaincu que ses découvertes ont été soufflées à Ross (sans qu'il s'en rende compte) par des individus désireux de garder l'anonymat mais souhaitant aussi que la recherche avance pour pouvoir en profiter dans une toute autre optique que celle de soigner le paludisme.

    Dans ce roman nous suivons différents personnages qui enquêtent en des époques et des lieux divers sur des sujets différents. Au 19° siècle, en Inde, Ross recherche le vecteur du paludisme. En 1995, en Inde, Murugan essaie de trouver ceux qui ont aidé Ross. Et, dans le temps présent du roman, à New-York, Antar est à la poursuite de son collègue. Les chapitres emmènent le lecteur alternativement sur les traces de ces différents personnages, plus d'autres encore qu'ils rencontrent dans leurs quêtes.

    Il s'agit d'une histoire fantastique avec un complot, des individus mystérieux prêts à tout pour défendre leur secret, un secret incroyable bien sur, après lequel court l'humanité entière. Hélas, malgré tout cela je n'ai pas trouvé la lecture aussi palpitante qu'elle aurait pu. Il y a du suspens vers la fin mais il aboutit à une conclusion qui m'a déçue. Pas de révélation fracassante et je ne suis pas sûre d'avoir tout bien compris. Il reste de bons passages sur la recherche scientifique au 19° siècle pour ceux que l'histoire de la médecine intéresse (c'est mon cas).
     

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  • A l'âge de cinq ans Dolores Loveall se tue en tombant d'un arbre. Son frère Geoffroy, de sept ans son aîné, est profondément traumatisé par cet accident. Dolores était son amour, il s'occupait d'elle comme s'il avait été son père plutôt que son frère. Il se sent responsable de sa mort. Geoffroy s'enferme dans la grande demeure familiale de Love Hall, ne sortant que rarement, passant ses journées devant la maison de poupées de Dolores, réplique de Love Hall et où sa soeur lui apparaît.

    Vingt ans plus tard Geoffroy souffre toujours autant de la mort de sa soeur quand, à l'occasion d'une sortie, il trouve un bébé abandonné sur un tas d'ordures. C'est une révélation pour Geoffroy qui décide d'élever cet enfant comme sa fille. Il la prénomme Rose et épouse Anonyma, la bibliothécaire de Love Hall qui fut la jeune gouvernante de sa soeur, pour servir de mère à l'enfant.

    La seule ombre à ce bonheur naissant c'est que Rose est en fait... un garçon ! Cet aspect des choses ne tourmente pas Geoffroy qui est tout simplement incapable de l'admettre. Pour diverses raisons son entourage décide de le suivre dans son aveuglement. Et Rose grandit en petite fille heureuse, entourée de l'amour de ses parents. Mais, alors qu'elle entre dans l'adolescence, le secret devient de plus en plus difficile à cacher. Elle-même se doute de quelque chose. La découverte par Rose de sa vraie nature la bouleversera et bouleversera sa famille.

    L'histoire de Rose se déroule dans l'Angleterre victorienne. Elle pose la question de l'identité sexuelle : inné ? acquis ? Combien de temps avant qu'un enfant découvre sa différence si personne ne lui en dit rien ? Et comment vivre ensuite ? L'idée était bonne, la réalisation un peu moins (l'écriture n'a rien d'inoubliable). Le résultat m'a moyennement plu.
     

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  • Un ouvrage très controversé et un gros pavé (900 pages). Je m'interrogeais un peu à son sujet. On me l'a prêté. Je l'ai lu et je ne l'ai pas regretté.

    Le narrateur, Max Aue, est un Allemand, un nazi, un SS. Ayant réussi à changer d'identité à la fin de la guerre il a survécu à ses crimes et refait sa vie comme honnête industriel français. Plus tard il a éprouvé le besoin d'écrire ses souvenirs, d'abord pour lui, dit-il. Le roman est composé de ces souvenirs et des réflexions du narrateur sur ce qu'il a vécu. Car Max Aue est un intellectuel qui analyse la portée de ses actes, recherche le sens de la vie et se pose la question de la responsabilité. Dans la première partie du roman qui constitue une sorte d'introduction il s'adresse au lecteur : "Je suis coupable, vous ne l'êtes pas, c'est bien. Mais vous devriez quand même pouvoir vous dire que ce que j'ai fait, vous l'auriez fait aussi. Avec peut-être moins de zèle, mais peut-être aussi moins de désespoir, en tout cas d'une façon ou d'une autre. Je pense qu'il m'est permis de conclure comme un fait établi par l'histoire moderne que tout le monde, ou presque, dans un ensemble de circonstances donné, fait ce qu'on lui dit; et, excusez-moi, il y a peu de chances pour que vous soyez l'exception, pas plus que moi. Si vous êtes né dans un pays ou dans une époque ou non seulement personne ne vient tuer votre femme, vos enfants, mais ou personne ne vient vous demander de tuer les femmes et les enfants des autres, bénissez Dieu et allez en paix. mais gardez toujours cette pensée à l'esprit : vous avez peut-être eu plus de chance que moi mais vous n'êtes pas meilleur."

    C'est une question que je me suis déjà posée : qu'aurais-je fait dans les mêmes circonstances ? Il n'est pas sur que je me sois comportée en héroïne car je constate que dans des situations quotidiennes nettement moins dramatiques je manque parfois de courage. Aussi je me félicite de n'avoir pas connu ces temps troublés. Cependant je veux croire que d'autres choix personnels que ceux de Max Aue sont possibles. Car, malgré son insistance à affirmer le contraire, Max Aue n'est pas tout à fait M. Tout-le-monde. C'est un homme profondément perturbé, traumatisé par des épisodes douloureux de son enfance et jamais digérés qui remontent parfois en bouffées délirantes ou en crise de violence démente. Son père a quitté le domicile familial quand lui-même était encore petit. Il rend sa mère responsable de cet abandon et voit dans le Führer un substitut paternel.

    Maintenant suivons un peu Max Aue dans sa descente aux enfers car sa carrière s'est déroulée dans tous les lieux où un SS pouvait jouer son rôle.
    Le premier poste auquel Aue est affecté est celui d'officier d'un einsatzgruppe en Ukraine. Les einsatzgruppen suivent l'armée allemande qui envahit l'URSS, massacrant derrière elle les populations juives. Aue est choqué par ce qui se passe là et par certaines scènes auxquelles il assiste. Cela le rend malade (il fait des cauchemars, il vomit) cependant il estime qu'il doit être là (alors qu'il aurait la possibilité de se faire muter ailleurs) car une fois qu'on a admis que ces mesures sont nécessaires (jamais il ne remet en cause le point de départ dévoyé, l'antisémitisme qui condamne les Juifs) on se doit d'y participer. Il se veut un homme responsable : "Si la valeur suprême c'est le Volk, le peuple auquel on appartient, et si la volonté de ce Volk s'incarne bien dans un chef, alors, en effet, Führerworte haben gesetzeskraft. Mais il était quand même vital de comprendre en soi-même la nécessité des ordres du Führer : si l'on s'y pliait par simple esprit prussien d'obéissance, par esprit de Knecht, sans les comprendre et sans les accepter, c'est-à-dire sans s'y soumettre, alors on n'était qu'un veau, un esclave et pas un homme."

    Il a aussi le sentiment qu'approcher la mort lui permettra de saisir le sens de la vie : "Même les boucheries démentielles de la Grande Guerre, qu'avaient vécues nos pères ou certains de nos officiers plus âgés, paraissaient presque propres et justes à côté de ce que nous avions amené au monde. Je trouvais cela extraordinaire. Il me semblait qu'il y avait là quelque chose de crucial, et que si je pouvais le comprendre alors je comprendrais tout et pourrais enfin me reposer."

    Après ce premier poste particulièrement éprouvant Aue est envoyé se refaire une santé en Crimée, au bord de la mer Noire. A la fin de sa convalescence il reste sur place comme agent d'information. Il est chargé de collecter des renseignements sur les nombreuses minorités ethniques du Caucase, leurs relations entre elles et au pouvoir soviétique. C'est dans le cadre de cette tâche qu'il rencontre le dr Voss avec qui il sympathise immédiatement. Le dr Voss est un linguiste spécialisé dans les peuples du Caucase. C'est l'occasion pour l'auteur de nous donner un exposé passionnant sur ces peuples et leurs langues. Sur un point Voss s'oppose à Aue : il sait que les races n'existent pas, il le lui dit et il le lui démontre (sans le convaincre). Pour lui l'anthropologie raciale est une pseudo-science et une fumisterie. Ces propos semblent faire de Voss un personnage plutôt sympathique cependant ce scientifique suit pas à pas l'avancée de l'armée allemande attendant avec impatience la prise de nouvelles villes soviétiques dont il pourra enfin exploiter les bibliothèques. Ici la guerre se met au service d'une science stérile, la connaissance des langues se fait en même temps qu'on massacre les peuples qui les parlent.

    En décembre 1942, alors que l'armée allemande s'enlise devant Stalingrad, Max Aue participe à une conférence surréaliste. On a fait venir des spécialistes de Berlin pour décider du cas des Bergjuden un peuple juif local qui prétend s'être converti récemment au judaïsme (ainsi, si cela est prouvé, il ne sont pas de race juive et donc n'encourent pas le génocide). Je trouve que cet épisode montre bien le délire nazi : du temps est gaspillé à discuter du sort d'une poignée de paysans dont il est évident qu'ils représentent bien moins de danger pour le Reich allemand que la progression des troupes soviétiques.
    Malgré les voeux de ses chefs Aue est honnête et plaide pour la conversion des Bergjuden. Cette prise de position lui vaut d'être muté à Stalingrad.

    A Stalingrad Max Aue assiste à l'agonie de l'armée allemande. Il est lui-même grièvement blessé, ne survivant que par miracle après que la balle d'un sniper lui a traversé le crâne. Après sa convalescence dont il a profité pour renouer avec sa mère de façon particulièrement violente, Aue est nommé à Berlin comme responsable d'un service chargé de gérer au mieux la main d'oeuvre captive du Reich. Autrement dit il doit prendre des mesures pour que les déportés arrivent dans le meilleur état possible dans les camps pour pouvoir travailler avant d'être exterminés. Aue s'attelle à cette tâche avec toute la conscience professionnelle qui le caractérise. Hélas pour lui il s'avère que la plupart des officiers SS sont des corrompus qui utilisent le système à leur avantage personnel. Au milieu de tout cela quelques "honnêtes" nazis tentent de lutter contre la prévarication. Ainsi à Lublin Aue rencontre un juge qui poursuit des chefs de camp pour crime : "Si un membre de la SS fait tuer un Juif dans le cadre des ordres supérieurs, c'est une chose; mais s'il fait tuer un Juif pour couvrir ses malversations, ou pour son plaisir perverti, comme cela arrive aussi, c'en est une autre, c'est un crime. Et cela même si le Juif devait mourir par ailleurs." (N'est-on pas ici en pleine schizophrénie ?) "La distinction doit être malaisée à faire" répond Aue sans rire.

    L'armée soviétique avançant toujours Max Aue est chargé d'encadrer une marche de la mort qui évacue le camp d'Auschwitz. Plus tard il se retrouve coincé derrière les lignes soviétiques et, avec deux autres hommes, il doit marcher plusieurs jours en se cachant afin de rejoindre leurs troupes. Ils traversent des hameaux dont la population a été massacrée par les Soviétiques. Ils rencontrent une troupe d'enfants sauvages. Enfin, en avril 1945, Aue est dans Berlin encerclée par les alliés, bombardée en permanence.

    J'ai trouvé cet ouvrage passionnant. Alors, bien sur, ce n'est pas toujours plaisant à lire car le narrateur nous décrit tout des atrocités auxquelles il a participé. Par ailleurs on a aussi droit à ses turpitudes et fantasmes sexuels. C'est un homosexuel et il a une sexualité assez perturbée. Mais les atouts de ce roman sont qu'il est hyper-bien documenté et qu'il donne à réfléchir. On entre dans la tête du personnage et on découvre comment une idéologie perverse a pu mener un peuple au crime contre l'humanité en s'appuyant sur des blessures personnelles.

     

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