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    Kate Summerscale, La déchéance de Mrs Robinson, 10-18Après L'affaire de Road hill house, Kate Summerscale s'attaque à une autre affaire qui secoua la bonne société victorienne : le divorce d'Henry et Isabella Robinson. C'est une histoire vraie, ce n'est pas un roman.

     

     

    En 1844 Isabella Walker, veuve avec un bébé, épouse l'ingénieur Henry Robinson. Elle ne l'aime pas mais il faut bien qu'elle se case, lui s'intéresse surtout à sa dot qui va lui permettre de développer son entreprise. Bien vite Isabella est insatisfaite et malheureuse. Elle s'intéresse à la littérature, à la médecine, sujets qui laissent froid Henry, de surcroit fréquemment absent pour affaires. A Edimbourg où la famille réside, Isabella fréquente les Lane. Edward Lane est un jeune médecin séduisant qui la fait fantasmer. Dans son journal intime elle rapporte leurs rencontres, leurs conversations, les rêves qu'elle fait de lui, ses espoirs que leur amitié évolue puis le premier baiser, la relation intime, enfin. Peu après Henry met la main sur ce journal et va s'en servir pour demander le divorce.

     

     

    Dans la première partie de son étude Kate Summerscale introduit le lecteur auprès des intellectuels progressistes du milieu du 19° siècle. Dans l'entourage des Lane gravitent en effet Charles Darwin et George Combe, pionnier de la phrénologie en Grande-Bretagne. La phrénologie c'est cette tentative de déduire le caractère des gens d'après la forme de leur crâne. D'après ce que je comprends elle m'apparaît comme un premier pas vers la psychanalyse sauf que les phrénologues sont restés à la surface des choses, si je puis dire, tandis que Freud est allé à l'intérieur. La phrénologie en tout cas a fait perdre la foi à Isabella.

     

    Dans une lettre à Combe elle explique que "les gens comme lui, qui ont accompli de grandes choses, ont la possibilité de "se consoler avec le sentiment de n'avoir pas vécu en vain", mais pour elle et d'innombrables autres femmes, "qui ne font qu'exister sans bruit, qui (pour certaines) élèvent une famille, suivant en cela l'exemple inutile de celles qui les ont précédées, quelle motivation, quelle espérance peut-on trouver, qui soient suffisamment puissantes pour leur permettre de faire face aux épreuves, aux séparations, au grand âge et à la mort même ?"

     

    Malgré tout je constate que la phrénologie de Combe est entachée de préjugés sexistes et racistes. Il pense ainsi que l'amour de l'approbation, bien développé chez Isabella, est une faculté "souvent prononcée chez les femmes, les Français, les chiens, les mulets et les singes."

     

     

    Dans cette première partie on fait la connaissance d'un autre personnage fort intéressant. Il s'agit de George Drysdale, frère de Mme Lane. A l'âge de 15 ans ce pauvre garçon a découvert fortuitement la masturbation et se masturbe bientôt deux à trois fois par jour. Pour se débarrasser de son "vice" "il subit une série d'opérations destinées à lui cautériser le pénis -c'est-à-dire à en détruire les terminaisons nerveuses en introduisant dans l'urètre une fine tige métallique enduite d'une substance caustique. Il se soumit sept ou huit fois à cette intervention." (Bien que n'étant pas équipée d'un pénis, j'en ai mal pour lui!) George consulte enfin le dr Claude François Lallemand, spécialiste français de la lutte contre l'onanisme qui lui suggère d'essayer le coït. Et ça fonctionne ! George étudie ensuite la médecine et publie des livres dans lesquels il préconise des relations sexuelles épanouissantes pour tous, hommes et femmes et donc l'usage de la contraception. Tout ceci avec pour objectif de lutter contre la masturbation, considérée comme une maladie mentale à cette époque. Encore une fois un mélange d'ouverture d'esprit bienvenue et de résidus du passé.

     

     

    La deuxième partie présente le déroulement du procès en divorce intenté par Henry Robinson contre son épouse et qui a lieu en 1858. Henry attaque aussi Edward Lane à qui il demande des dommages et intérêts pour adultère. La principale preuve à charge présentée et qui va être disséquée tout au long des audiences est le journal d'Isabella. Pour préserver la réputation d'Edward (à qui des maris confient leur femme en cure d'hydrothérapie) celle-ci et ses avocats adoptent la ligne de défense suivante : il ne s'est rien passé de répréhensible entre Edward et Isabella. Le récit qu'elle en fait dans son journal est entièrement fantasmé. Edward et ses soutiens vont s'engouffrer dans cette voie. La déchéance de Mrs Robinson est en marche. Tous ceux avec qui elle discutait littérature ou science, mais qui sont avant tout des amis d'Edward, vont avoir à coeur de se démarquer d'elle pour ne pas être entraînés dans sa chute. Il s'agit de prouver qu'elle est folle et qu'elle l'a toujours été.

     

    "Chacune des actions de Mrs Robinson ne nous laisse le choix qu'entre deux conclusions (...) : ou bien elle est la créature la plus ignoble et débauchée qui revêtit jamais forme féminine, ou bien elle est folle. Dans l'un et l'autre cas, son témoignage est sans valeur." cqfd ! L'hystérie, diagnostique fourre-tout, s'avère bien commode pour réduire au silence une femme qui a eu le culot de vouloir exprimer ses sentiments.

     

    Kate Summerscale, La déchéance de Mrs Robinson, 10-18

    La femme adultère, tableau d'Augustus Leopold Egg, 1858

     

    Cette femme intelligente est bafouée de façon scandaleuse. On vient au procès comme on irait au spectacle pour se repaître des "bonnes feuilles" du journal. Il y a là un mélange de voyeurisme et de pudibonderie très hypocrite. Cette société patriarcale qui réprouve tout ce qui peut s'apparenter à une volonté d'autonomie chez une femme est effrayée par celles qui, comme Isabella, n'apparaissent pas entièrement soumises à leur mari.

     

     

    J'ai trouvé passionnant cet ouvrage qui aborde de nombreux sujets. Ce qui m'a le plus intéressée c'est tout ce qui concerne la sujétion des femmes mariées à leur époux (l'auteur cite aussi d'autres cas de divorces difficiles à cette époque) et les questions de sexualité. J'apprends qu'il y a controverse au sujet de l'usage du spéculum pour les consultations gynécologiques. Peu de médecins l'utilisent par crainte d'exciter leurs patientes qui bientôt ne pourraient plus s'en passer... Une information qui me remémore ma lecture du Choeur des femmes.

     

    L'avis de Maggie.


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    Hans Magnus Enzensberger, Hammerstein ou l'intransigeance, FolioKurt von Hammerstein était le chef d'état major général de la Reichswehr, comme on appelait encore l'armée allemande après la première guerre mondiale. Au début des années 1930 il est un des premiers opposants au nazisme. Il intervient dans l'espoir d'empêcher la nomination d'Hitler comme chancelier puis, en 1933, il demande sa mise à la retraite anticipée. Hans Magnus Enzensberger montre bien -notamment en produisant des documents- comment dès les premiers jours le caractère antidémocratique et agressif du régime nazi est affirmé. On voit mal comment quelqu'un qui était à un poste de responsabilité à cette époque-là aurait pu l'ignorer.

     

     

    Retiré de l'armée Hammerstein se consacre à la chasse, une de ses activités favorites, et garde, jusqu'à sa mort de maladie en 1943, une grande liberté de parole, n'hésitant jamais à dire tout le mal qu'il pense des nazis. Ses nombreux enfants sont engagés eux aussi dans la résistance au régime. Les filles Marie-Luise et Helga sont des communistes qui travaillent pour les renseignements soviétiques. C'est l'occasion pour l'auteur d'évoquer les grandes purges des années 1936-38. Les garçons Kunrat et Ludwig sont plus ou moins engagés dans la tentative d'attentat contre Hitler du 20 juillet 1944.

     

     

    J'ai apprécié cette lecture qui m'a appris des choses sur les débuts du nazisme, la résistance dans l'armée allemande. Hans Magnus Enzensberger alterne les documents d'archives, ses commentaires et aussi des "conversations posthumes" imaginaires avec ses personnages principaux, ce qui rend la lecture vivante.


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    Dan Waddell, Code 1879, Babel noir"- Il faut trouver ce qui a bien pu arriver en 1879. (...) Il faut que nous voyions clair dans tout ce qui s'est passé à l'époque. Quelqu'un n'a-t-il pas dit, "le passé est un autre pays ?"

    - La France aussi. Et je n'ai jamais eu envie d'aller là-bas."

     

    Londres, un hommes est retrouvé assassiné de façon particulièrement brutale : avant d'être poignardé, il a eu les mains coupées. Lors de l'autopsie, l'inspecteur Grant Foster remarque une inscription gravée au couteau sur le torse de la victime : 1A137. Son adjointe Heather Jenkins pense qu'il pourrait s'agir d'une référence d'archives généalogiques. La police fait alors appel à Nigel Barnes, historien spécialisé dans les recherches de généalogie. Il va découvrir qu'en 1879 cinq hommes ont été assassinés dans le même quartier de Londres. Et voilà qu'un deuxième cadavre est retrouvé, à l'endroit où une personne avait été tuée en 1879 et le même jour. Sauf qu'aujourd'hui le tueur ne se contente pas de poignarder, il mutile auparavant ses victimes.

     

    J'ai beaucoup aimé ce roman facile à lire. L'accent est mis sur les recherches en archives et bibliothèques. Les rares fois où j'ai fait ce genre de travail, j'ai sorti beaucoup de documents pour pas grand chose d'exploitable. Nigel Barnes, lui, travaille pour la police. Il peut donc obtenir tout ce qu'il demande et à toute heure (et puis c'est un professionnel...). Mise à part la facilité un peu dégoûtante avec laquelle il procède, j'ai apprécié de le suivre dans ses démarches. Il y a aussi des descriptions comparées du Londres du 19° siècle et de celui du début du 21° siècle qui m'ont donné envie de me promener dans cette ville. Ah! Ça tombe bien, je vais sans doute avoir l'occasion d'y aller au printemps.

    Il y a une deuxième aventure déjà parue en poche et que j'ai envie de lire maintenant.

    L'avis de Maggie, celui de Keisha.


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    Jonathan Coe, Le cercle fermé, Gallimard"J'ai beaucoup appris de mes erreurs, et je suis sûr de pouvoir les répéter à la perfection."

     

    Le cercle fermé est la suite de Bienvenue au club (que j'avais lu en mai et déjà presque oublié) qui se déroulait dans les années 1970. Nous sommes maintenant au début des années 2000. Vingt ans plus tard, que sont devenus les personnages du premier roman ? Un petit groupe de ces amis de jeunesse sont restés liés, les circonstances et le hasard vont leur donner des nouvelles des autres.

     

    Cicely a quitté Benjamin et il n'a plus eu de nouvelles d'elle. Lui qui se projetait en écrivain et compositeur travaille dans un cabinet d'experts-comptables et n'a rien publié de l'oeuvre à laquelle il travaille depuis son adolescence et dont le manuscrit atteint maintenant plus de 1000 pages. Mais dans ce tome l'action tourne principalement autour de Paul Trotter, le frère cadet de Benjamin. Paul qui a été de droite dès son enfance est devenu un député néo-travailliste. Jonathan Coe critique la politique de Tony Blair, notamment l'engagement dans la guerre en Irak. On voit Paul, personnage essentiellement soucieux de ses intérêts propres, pas très sympathique à priori, se transformer par la grâce de l'amour.

     

    On retrouve également Claire, hantée par la disparition mystérieuse de sa soeur 20 ans plus tôt.

     

    J'ai trouvé ce roman sympathique et plaisant à lire. Pas sûr qu'il me laisse un souvenir plus marquant que le précédent.

     


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    Lauren Groff, Les monstres de Templeton, PlonSuite à une déconvenue amoureuse et professionnelle (elle a couché avec son directeur de thèse) Willie Upton retourne chez sa mère, Vivienne, à Templeton. Pour l'obliger à se changer les idées, celle-ci lui révèle alors qu'elle lui a toujours menti sur l'identité de son père. Il ne s'agit pas d'un des trois hippies avec qui elle vivait en communauté à San Francisco avant la naissance de sa fille mais d'un habitant de Templeton. Par contre il va falloir que Willie trouve elle-même l'identité de son père à l'aide d'un indice : il est, comme Vivienne, un descendant (illégitime) de Marmaduke Temple, le fondateur de Templeton. Willie devra mener l'enquête dans le passé de sa famille.

     

     

     

    Dans la vraie vie Templeton est une ville qui existe. Elle s'appelle Cooperstown et elle a été fondée par William Cooper, le père de Fenimore. Lauren Groff est originaire de Cooperstown et introduit dans son roman des personnages de Fenimore Cooper à qui elle donne un nouveau destin. En se lançant à la recherche de ses ancêtres et de son père Willie va ainsi rencontrer Chingachgook alias le dernier des Mohicans, son ami Bas de cuir et d'autres encore dont je fais la découverte.

     

    Il faudrait connaître l'oeuvre de Fenimore Cooper -ce qui n'est pas mon cas- pour savoir ce qui est de son invention et ce que Lauren Groff a rajouté mais j'apprécie d'en avoir cet aperçu.

     

     

     

    Ce que je trouve amusant aussi c'est que le roman est illustré de photos de personnages de la généalogie de Willie ce qui donne l'impression qu'on assiste à une vraie recherche historique.

     

    Au total j'ai trouvé ce roman -découvert dans le cadre du challenge Tous risques de Aaliz- sympathique et plaisant à lire.

     

    Lauren Groff, Les monstres de Templeton, Plon


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