•  

    Germaine Acremant, Ces dames aux chapeaux verts, HachetteDe passage chez ma belle-mère je tombe sur ce roman, lu et sans doute relu dans mon enfance, c'est à dire il y a environ 40 ans. Le copyright est de 1922 et l'édition que j'ai entre les mains de 1964. Est-ce que c'est encore lisible en 2014 ? Mais oui, tout à fait. Germaine Acremant a une bonne plume, le style est enlevé et je ne m'ennuie pas un instant. Si le regard porté sur la société est bien de son époque il y a aussi ici ou là une prise de position qui me paraît plus originale.

     

    De quoi s'agit-il ?
    Après le suicide de leur père ruiné par des placements hasardeux, Arlette, une jeune fille de 18 ans, et son frère Jean se retrouvent bien démunis (au passage, la perte de la fortune familiale semble les affecter plus que la mort du paternel). Heureusement, leur notaire a des solutions à proposer, comme l'explique Jean à Arlette :

     

    "- Moi, il m'envoie aux colonies. (...) Je serai très raisonnablement payé. Avec de l'initiative et du courage, on estime que je peux gagner une petite fortune...

    -Tu acceptes donc de partir ?

    -Dame ! Je n'ai pas le choix... Quand un homme a été élevé comme je l'ai été, il ne peut pas s'abaisser à prendre une place inférieure dans une administration... Il doit songer à ses relations... Et puis j'ai un besoin d'indépendance que Paris ne permet qu'aux gens riches... Evidemment je connaîtrai des heures pénibles là-bas... Il y aura des efforts à donner... il y aura des privations à endurer... il y aura de très longues soirées, dans une solitude navrante, devant des horizons mortels... Mais j'aurai pour me soutenir, la perspective du retour...

    -Tu as raison... D'ailleurs, ces longues soirées, nous ferons tout pour les égayer... Et nous y parviendrons...

    -Nous ?

    -Bien sûr ! tu ne t'imagines pas que je vais rester ici toute seule. Je t'accompagnerai... (...)

    -Hélas ! ma petite chérie, c'est impossible !

    -Pourquoi ?

    -Parce que la place d'une jeune fille n'est pas au milieu des nègres..."

    (Pauvre Jean, il va devoir travailler, tout seul chez les nègres...)

     

    Mais que va devenir Arlette ?

    Elle sera recueillie par ses cousines Davernis de Saint Omer, quatre vieilles filles âgées de 35 à 55 ans et surnommées "Ces dames aux chapeaux verts". Pauvre Arlette, parisienne dans l'âme recluse en province entre quatre bigotes. On se demande si son sort n'est pas pire que celui de son frère. Quand elle découvre qu'une de ses cousines a eu autrefois un amoureux que sa mère a refusé qu'elle épouse, elle décide de relancer l'affaire.

     

    Germaine Acremant adopte le point de vue de son héroïne et sans doute de sa lectrice que j'imagine parisienne, moderne, de bonne famille, visitant des expositions, conduisant une automobile ou jouant au tennis en attendant de faire un beau mariage. La vie de province, les vieilles filles et les professeurs de collège sont des repoussoirs, plus ou moins gentiment ridiculisés. L'action se déroule dans une France hors de l'histoire. Pas une allusion à la Grande Guerre qui a pris fin quatre ans avant la rédaction du roman et qui pourrait expliquer l'abondance de femmes sans hommes. Aucun parallèle entre la situation d'Arlette, qui ne peut espérer se "libérer" que par le mariage, et celle de ses cousines. Si elles sont vieilles filles, ça doit être de leur faute. C'est dire si je n'attendais pas un véritable plaidoyer pour la vieille fille sur lequel je tombe soudain :

     

    "Vieilles filles ! Nous sommes des vieilles filles ! On nous désigne ainsi quand nous passons. On fait presque de ce nom une injure qu'on nous jette à la face. (...) Nous ne sommes pas élégantes, nous sommes laides, nous demeurons isolées. Comment nous jugerait-on si nous vivions autrement ? Nous voyez-vous, en toilettes tapageuses, courant les fêtes ? Vieilles filles ? c'est certain que nous le sommes, vieilles filles ! mais pourquoi le sommes-nous, est-ce qu'on s'en inquiète ? (...) Il y a les femmes d'un seul amour, qui ont attendu d'un homme, qui ne leur a pas été donné, l'aveu qu'une autre a reçu... Il y a les femmes de devoir, qui ont consacré leur jeunesse à des parents malades (...) Il y a des femmes pauvres, dont le seul crime était de n'avoir pas de dot... Il y a... il y en a des quantités d'autres,... mais surtout il y a le troupeau lamentable des femmes qui n'ont jamais été jolies. Peu importe qu'elles aient eu la bonté, l'éducation, l'intelligence, tout ce que la volonté personnelle peut acquérir et développer."

     

    Même si, tout du long du roman, c'est le ton moqueur qui l'emporte voilà un effort de réflexion critique qui est bienvenu et qui montre que Germaine Acremant était capable de me surprendre. Celles qui ont apprécié ce roman autrefois doivent pouvoir encore y trouver de l'intérêt.

     

    L'avis d'Elynor.

     


    2 commentaires
  •  

    Tracy Chevalier, La dernière fugitive, Quai Voltaire

     

    Honor Bright est une Quaker, une Amie. Elle vit avec ses parents à Bridport en Angleterre. En 1850, quand sa soeur Grace part pour les Etats-Unis épouser son promis installé dans l'Ohio, Honor l'accompagne. Malheureusement Grace décède peu après leur arrivée en Amérique et Honor se retrouve isolée dans un pays si différent du sien.

     

     

    Ce roman me permet de découvrir la communauté quaker. A la lecture de la dédicace je comprends que Tracy Chevalier a fréquenté des Quakers et qu'elle a vécu dans les lieux où elle situe l'action de son roman. Les Quakers mènent une vie réglée et tempérée. Pas d'alcool, pas de tabac, pas de distractions inconvenantes ou d'oisiveté. Quand elle n'est pas occupée par les tâches ménagères, Honor confectionne des quilts. Il s'agit de courtepointes matelassées en patchwork (à la mode anglaise) ou en appliqué (à la mode américaine). En visite chez des voisines ou pendant ses moments de pause, Honor est toujours occupée. Elle découpe, elle faufile, elle assemble. Il y a plein de détails sur la fabrication et les différents motifs qui m'ont presque donné envie de me mettre au quilt. Le style d'écriture qui m'a paru un peu ennuyeux au début rend en fait fort bien l'ambiance de cette vie simple, généralement sans événements marquants.

    Tracy Chevalier, La dernière fugitive, Quai Voltaire

    Un quilt en patchwork avec le motif "étoile de Béthléem"

    Bon mais c'est un roman quand même et il faut donc bien des événements marquants. Il s'agira de la découverte par Honor et de sa participation au chemin de fer clandestin, le réseau d'aide aux esclaves en fuite. L'Ohio se situe à la frontière du Canada, pays refuge pour les fugitifs et les Quakers sont des abolitionnistes donc disposés à apporter leur soutien à ceux qui cherchent la liberté. Il y a une intéressante réflexion sur l'origine du coton utilisé pour les quilts et une volonté de s'approvisionner en produits du "commerce équitable" :

     

     

    Tracy Chevalier, La dernière fugitive, Quai Voltaire

     

    "Il y a eu un débat sur l'origine de ce coton : on s'est demandé s'il avait été cultivé et récolté par des esclaves. Judith Haymaker nous a assuré qu'Adam Cox l'avait acheté pour elle à un marchand de Cleveland qui travaille avec des plantations du Sud ne recourant pas aux esclaves. J'ai entendu parler d'un magasin à Cincinnati, tenu par un Ami, où toutes les marchandises sont garanties de provenance inattaquable sur ce plan-là."

     

    C'est donc finalement une lecture que j'ai trouvé plaisante. Une rapide recherche complémentaire sur les Quakers me confirme qu'il s'agit d'une intéressante communauté.

     

    Un quilt en appliqué


    4 commentaires
  •  

    Dan Waddell, Depuis le temps de vos pères, Babel noirUne femme est retrouvée assassinée dans son jardin de Londres, sa fille de 14 ans a disparu. L'ADN d'un cheveu d'homme retrouvé sur le cadavre montre qu'il appartient à un parent de la victime. La police a alors recours aux services du généalogiste Nigel Barnes pour dresser l'arbre généalogique de la famille et arrêter une liste de suspects potentiels.

     

    Comme dans Code 1879 on retrouve dans ce deuxième épisode de la série les racines du crime dans un lointain passé familial troublé. Ici leur enquête historique et policière emmène nos héros jusqu'à Salt Lake City chez les Mormons. Il faut dire que cette secte s'y prête particulièrement puisque, dans un souci de sauver l'humanité, elle a entrepris de baptiser un maximum de personnes déjà décédées. Dans ce but les Saints des derniers jours copient des registres d'état civil dans le monde entier, les numérisent et les stockent dans leur capitale de l'Utah où ils sont accessibles au public. Un rêve pour un généalogiste passionné comme Nigel Barnes. Il est question d'une branche dissidente des Mormons, des intégristes, qui pratiquent toujours la polygamie, et pire encore.

     

    Je lis avec grand plaisir ce deuxième épisode. Le récit est bien mené, il y a du suspense, une pointe d'humour et j'ai peine à lâcher ma lecture. Il y a une happy end qui fait plaisir même si la facilité avec laquelle certaines situations évoluent paraît un peu facile après la série de crimes atroces qui précède.

     

    L'avis de Maggie.


    votre commentaire
  •  

    Anne Perry, Un étranger dans le miroir, 10-18Quand il se réveille à l'hôpital bien mal en point et avec des côtes cassées William Monk ne sait ni comment il est arrivé là ni qui il est. Il semblerait que l'accident dont il a été victime l'a laissé amnésique. Pour lui c'est comme si la vie commençait ce 30 juillet 1856. Il comprend vite que si la police s'intéresse à lui ce n'est pas parce qu'il est un repris de justice mais un membre des forces de l'ordre. Il va reprendre le travail et tenter de résoudre l'affaire de meurtre qui lui est confiée en enquêtant aussi sur son propre passé. Il ne révèle pas son handicap car il a vite compris aussi que l'ancien Monk était un personnage fort déplaisant, arriviste et imbu de lui-même, qui s'est mis à dos son supérieur Runcorn, lequel serait trop content d'avoir un prétexte de se débarrasser de lui.

    Anne Perry, Un étranger dans le miroir, 10-18

     

     

    C'est étrange et fascinant cette histoire d'amnésie. Penser qu'on puisse tout oublier de soi-même au point de changer de caractère. Il me semble que c'est un signe qu'on ne se supportait vraiment plus. Anne Perry a expérimenté cela. A l'âge de 15 ans, alors qu'elle vivait en Nouvelle Zélande, elle a aidé sa meilleure amie à tuer sa mère. Cette histoire est racontée par le film Créatures célestes de Peter Jackson. Plus tard elle a elle-même traversé une période d'amnésie concernant cette époque de sa vie.

     

     

     

    C'est avec un grand plaisir que je relis ce premier épisode de la série des William Monk dont la première lecture doit remonter à la sortie de l'ouvrage c'est à dire 1998. Je retrouve des personnages qui ont depuis disparu de la série comme lady Callandra Daviot, une veuve qui ne veut pas se contenter de jouer les potiches à la différence de nombre de dames de sa classe. Elle est bien sur l'amie de la dérangeante Hester Latterly, une jeune femme qui revient tout juste de Crimée où elle a servi comme infirmière aux côtés de la célèbre Miss Nightingale. La première rencontre entre nos deux héros fait des étincelles :

    "-Vous posez trop de questions, madame. Vous êtes arrogante, autoritaire, irascible et suffisante. Et vous portez des jugements hâtifs qui ne reposent sur rien. Mon Dieu ! j'ai horreur des femmes intelligentes.

    Elle se figea un instant avant que la réponse ne lui monte aux lèvres.

    -Et moi, j'aime les hommes intelligents !

    Elle le toisa de la tête aux pieds.

    -A l'évidence, la désillusion nous guette, l'un comme l'autre."

    Ces chamailleries ne font que commencer, pour le plus grand plaisir du lecteur, si vous voulez mon avis.

     

    L'avis de Soie.


    2 commentaires
  •  

    Anne Perry, Du sang sur la Tamise, 10-18

     

    Londres, 1868. William Monk, chef de la brigade fluviale, est témoin de l'explosion d'un bateau mouche sur la Tamise. Il y a près de 200 victimes. Face à ce qui apparaît comme un attentat, l'opinion publique choquée demande une arrestation et vite. Avant même le début de l'enquête l'affaire est retirée à la fluviale et confiée à la police métropolitaine. Quand le peu recommandable Habib Beshara est arrêté, il apparaît comme le coupable idéal. Un peu trop peut-être. N'y aurait-il pas en haut lieu des personnes désireuses de cacher la vérité ?

     

    J'ai bien aimé cette enquête. Les scènes de procès qui auparavant me semblaient parfois longues m'accrochent beaucoup plus depuis que j'ai lu L'affaire de Road hill house et La déchéance de Mrs Robinson. Je comprends mieux aussi ce que pouvait être l'influence de la presse à l'époque. Comme toujours j'ai eu plaisir à retrouver les personnages que je connais et fréquente depuis longtemps au point que ça m'a donné envie de relire le premier épisode de la série, que je commence dans la foulée.


    votre commentaire
  •  

    Arundhati Roy, Le Dieu des Petits Riens, Folio"Ceci est une oeuvre de fiction. Tous les personnages sont imaginaires. La situation des fleuves, des passages à niveau, des églises et des crématoriums n'est pas exacte."

     

    A Ayemenem, village près de Cochin dans le Kérala, vit une famille élargie de propriétaires terriens et notables du lieu. L'histoire est vue à travers les yeux des jumeaux Rahel (la fille) et Estha (le garçon), âgés de huit ans. Leur mère, Ammu, a quitté son mari alcoolique pour revenir chez ses parents après un mariage qu'ils n'avaient pas approuvé et qui avait été pour elle un moyen de fuir sa famille. Autant dire qu'elle n'a pas été accueillie à bras ouverts et qu'on lui fait sentir à l'occasion qu'on la tolère par obligation. Quand on découvre qu'Ammu a une liaison avec Velutha, un Intouchable, un drame éclate qui va bouleverser la vie des jumeaux.

     

    Le présent de la narration se situe en fait 23 ans plus tard et l'histoire fait des aller-retour entre cet aujourd'hui et le passé. Très vite des éléments du drame à venir sont annoncés au lecteur et on comprend que cela ne va pas bien se terminer. C'est comme dans un spectacle de kathakali, un théâtre dansé originaire du Kérala et dont il est plusieurs fois question dans le roman :

     

    "Le kathakali sait depuis longtemps que le secret des Grandes Histoires c'est précisément de n'en point avoir. Les Grandes Histoires sont celles que l'on a déjà entendues et que l'on n'aspire qu'à réentendre. Celles dans lesquelles on peut entrer à tout moment et s'installer à son aise. Elles ne cherchent ni la mystification par le biais du suspense et de dénouements inattendus, ni la surprise de l'incongru. Elles sont aussi familière que la maison qui vous abrite. Que l'odeur d'un amant. On les écoute jusqu'au bout, alors qu'on en connaît la fin. De même que l'on vit comme si l'on ne devait jamais mourir, tout en sachant pertinemment qu'on mourra un jour. Dans les Grandes Histoires, on sait d'avance qui vit, qui meurt, qui trouve l'amour et qui ne le trouve pas. Mais on ne se lasse jamais de le réentendre."

     

    Alors, est-ce que Le Dieu des Petits Riens est une Grande Histoire ?

    Pour moi en tout cas c'est une relecture, celle de septembre même si octobre est déjà bien entamé. Mon édition date de 2000, ma première lecture date sans doute de cette époque, je n'en avais pratiquement aucun souvenir si ce n'est que ça m'avait plu. J'apprécie encore aujourd'hui. Je trouve ça fort bien écrit. Il y a des images bien trouvées : "Le ventilateur paresseux épluchait l'air lourd et peureux en une interminable spirale qui retombait au sol comme une pelure de pomme de terre interminable." et de belles descriptions des paysages. J'avais fait une halte dans le Kérala lors de mon voyage en Inde en 2005 et un petit tour dans les backwater, les canaux qui sillonnent l'arrière-pays. Je les retrouve dans ma lecture :

     

    "Au-delà du marais qui sent l'eau stagnante, ils passent devant des arbres vénérables recouverts de vigne vierge. Des maniocs gigantesques. Des poivriers sauvages. Des cascades violettes d'acuminus.

    Devant un scarabée bleu foncé en équilibre sur un brin d'herbe qui ne plie pas sous le poids.

    Devant des toiles d'araignées géantes qui ont résisté à la pluie et courent comme des rumeurs colportées d'un arbre un autre.

    Une fleur de bananier dans son fourreau de bractées bordeaux s'accroche à un arbre rugueux aux feuilles arrachées. Joyau offert par un écolier dépenaillé. Bijou de la jungle veloutée."

     

     Arundhati Roy, Le Dieu des Petits Riens, Folio


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires