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    Nous sommes à Madrid aux alentours de l'an 1620. Vétéran des guerres de Flandre, le capitaine Alatriste s'est retiré du combat pour soigner une blessure. Il survit en louant son épée à ceux qui souhaitent intimider ou se débarrasser d'un rival ou d'un adversaire. Mais Diego Alatriste n'est pas prêt à faire n'importe quoi pour de l'argent. Il a son sens de l'honneur et va se retrouver opposé à de puissants personnages qui supportent mal qu'on ne leur obéisse pas sans discuter.

     

    Arte a diffusé cet été une série (El capitan) inspirée de la suite de romans (il y en a 7) d'Arturo Perez-Reverte. Je l'ai trouvée plaisante à regarder et ça a donc été l'occasion d'aller voir du côté de l'original. Le feuilleton télé a rendu tout plus romanesque et trépidant. Dans le roman, il ne se passe pas grand chose en comparaison. L'auteur a plutôt installé une ambiance et brossé un tableau très critique du siècle d'or. Le narrateur est Inigo Balboa, jeune page du capitaine.

     

    "Si, dans ce demi siècle ou presque que dura le règne de notre bon et inutile monarque Philippe IV, mal nommé le Grand, les gestes de chevalerie et d'hospitalité, la messe aux jours de repos et les promenades avec l'épée bien roide et le ventre bien creux avaient pu remplir les caisses ou permis de nourrir nos armées en Flandre, moi, le capitaine Alatriste, les Espagnols en général et la pauvre Espagne tout entière nous aurions tous connu un autre sort. On a adonné le nom de Siècle d'or à cette époque infâme. Mais le fait est que nous qui l'avons vécue et en avons souffert, d'or n'avons vu miette, et d'argent, à peine. Sacrifices stériles, glorieuses déroutes, corruption éhontée, gueuserie et misère, oui nous en eûmes tout notre soûl. Mais aujourd'hui on regarde un tableau de Diego Velasquez, on entend quelques vers de Lope de Vega ou de Calderon, on lit un sonnet de Don Francisco de Quevedo, et on se dit que tous ces sacrifices valurent peut-être la peine."

    "(...)mon père fut tué d'un coup d'arquebuse sur un rempart de Jülich -ce qui explique pourquoi Diego Velasquez ne put le représenter plus tard sur son tableau de la prise de Breda, alors qu'on y voit Alatriste derrière le cheval (...)"

     

    Et justement le récit est illustré de descriptions de tableaux de Velasquez et d'extraits de poèmes. Tout cela contribue à la réussite d'un roman par ailleurs fort bien écrit.

     

    "Philippe IV, aussi sage qu'élégant cavalier et bon tireur, adorait la chasse et les chevaux -un jour, il en perdit un sous lui alors qu'il tuait de sa propre main son troisième sanglier de la journée-, et c'est ainsi que l'immortalisa Diego Velasquez sur ses toiles (...)"

     


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    Marek Halter, Khadija, Robert LaffontLes femmes de l'islam 1

     

    Khadija était la première femme de Muhammad, prophète de l'islam. Riche veuve, de dix ans son aînée, cette femme forte choisit d'épouser ce "fils de rien" pour ne pas tomber sous la coupe d'une famille puissante de Mekka (la Mecque). Le roman, qui va du mariage à la mort de Khadija, montre bien le cadre dans lequel est né l'islam, comment on a pu passer du polythéisme au monothéisme. Un caravanier comme Muhammad qui parcourait le désert d'Arabie était en contact avec de nombreuses obédiences religieuses, sectes juives et chrétiennes autant que polythéistes. Marek Halter fait comprendre les circonstances qui ont accompagné et permis la révélation. Ca a été pour moi l'intérêt majeur de cet ouvrage que j'ai lu facilement mais non sans un ennui persistant, hélas. Ceci est du au style que j'ai trouvé plat. On est dans un registre de langue de base, typique du best-seller. Voilà pourquoi ils me déçoivent généralement, même si ils peuvent avoir des qualités par ailleurs.

     

    L'avis d'Aaliz.


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    Zygmunt Miloszewsi, Un fond de vérité, MiroboleEntre sa précédente aventure et la présente le procureur Teodore Szacki à divorcé et obtenu sa mutation en province à Sandomierz. Il s'imaginait que ce changement lui permettrait de "séduire des filles dans les discothèques, courir le long du fleuve chaque matin, se délecter de l'air frais, vivre des aventures et des moments de ravissement et, pour finir, rencontrer le véritable amour de sa vie et vieillir à ses côtés dans une maison recouverte de vigne (...)". Six mois plus tard il est bien obligé de reconnaître qu'il s'est trompé et il est en fait complètement déprimé. A un point que je me demande d'ailleurs si son suicide social n'est pas en fait plutôt une conséquence qu'une cause de sa dépression.

     

    Heureusement pour Szacki, les circonstances vont lui présenter un travail apte à lui redonner goût à la vie : un crime. Et un crime horrible en plus. La victime a été égorgée et vidée de son sang. A côté du cadavre est déposé un couteau sacrificiel juif qui rappelle la vieille légende du sang dont Sandomierz est un épicentre : les Juifs sacrifieraient des enfants chrétiens et utiliseraient leur sang pour confectionner le pain azyme. On subodore une provocation antisémite et le mari de la victime est le premier suspect mais quand il est lui-même assassiné, l'affaire se complique.

     

    Une affaire bien compliquée, peut-être un peu trop pour être tout à fait crédible, mais qui a le mérite d'interroger le vieux fond antisémite de la Pologne. Le héros, et son auteur derrière lui, sont très clairs là-dessus : il est urgent de passer à d'autres relations. Par contre ce que je déplore c'est tout un tas d'autres préjugés, filés bien régulièrement et sans beaucoup de recul. Teodore Szacki est un misogyne -ce que j'avais déjà aperçu dans le premier roman. Ses collègues de travail, habillées de façon sévère, sont des femmes "frigides". Elles sont procureures. Il voudrait quoi ? Qu'elles viennent au bureau avec un nez rouge ?

    Quelques stéréotypes concernant les homosexuels, que l'on pourrait reconnaître à leur "garde-robe soignée", à la décoration de leur maison, "élégante sans être tape-à-l'oeil" et à leur démarche exagérée m'agacent aussi et je suis choquée par l'idée selon laquelle les Algériens de France "brûl[ent] des voitures, s'organis[ent] en mafias et viv[ent] du trafic des stupéfiants".

    Des idées qui me déplaisent et pourtant le personnage a aussi des côtés sympathiques et j'en arrive à le trouver attachant malgré tout. Finalement c'est le talent de l'auteur d'avoir réussi à créer un héros dont les contradictions font l'épaisseur. Comme une vraie personne, quoi.

     

    Zygmunt Miloszewsi, Un fond de vérité, Mirobole

    "Sandomierz, c'est la capitale mondiale du meurtre rituel. C'est la ville où les enlèvements d'enfants et les pogroms qui en résultaient étaient aussi cycliques que les saisons d'une année. C'est la ville où l'Eglise encourageait cette bestialité, l'avait presque érigée en institution. Dans notre cathédrale, on voit encore aujourd'hui un tableau représentant le meurtre d'enfants catholiques par des Juifs".

     

    Les avis de Jean-Marc et Dominique.


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    Leonardo Padura, Les brumes du passé, MétailliéLa Havane, 2003. Ancien policier, Mario Conde est devenu revendeur de livre anciens. Quand il entre, sur un pressentiment, dans une grande demeure délabrée pour demander à ses habitants s'ils n'ont pas des livres à vendre, il ne s'attend pas à ce qu'il va découvrir : une bibliothèque intouchée depuis 40 ans, pleine de trésors de l'édition cubaine. La découverte dans un de ces ouvrages d'une coupure de presse datant de 1960 et annonçant les adieux à la scène de la chanteuse de boléros Violeta del Rio bouleverse le Conde. Sans qu'il comprenne vraiment pourquoi il lui faut savoir qui était Violeta del Rio, pourquoi elle a pris sa retraite à 25 ans, au faîte de sa gloire et ce qu'elle est devenue.

     

    Pour le découvrir, Conde va être amené à enquêter dans les bas-fonds de la capitale dont les habitants survivent de tous les trafics : "A travers quelques fenêtres ouvertes sur la rue, de petits étalages annonçaient des pizzas aux fromages apocryphes, des gâteaux de farine volée dans quelque boulangerie, du café mélangé à des griffes de chat et des croquettes de mauvaises tripes. A chaque coin de rue, quelques hommes bavardaient comme s'ils étaient les maîtres du temps. Le Conde calcula que dans ces cent mètres de rue, il devait y avoir plus de soixante personnes en train d'inventer une façon quelconque de se débrouiller dans la vie ou de la voir passer de la façon la moins traumatisante possible. La sensation de dégradation qui flottait dans l'air inquiéta l'ex-policier qui ressenti sur sa peau un tremblement trop semblable à la peur : cette atmosphère était définitivement explosive, étrangère à la ville agréable où il avait vécu tant d'années. Trop de gens sans rien à perdre ou à faire. Trop de gens sans rêves ni espoirs. Trop de feu sous la cocotte qui, tôt ou tard, exploserait sous l'effet des pressions accumulées".

     

    Dans ces quartiers sordides Conde rencontre des contemporains de Violeta del Rio qui lui racontent l'époque où la Havane était la ville la plus vivante du monde, où l'on pouvait faire la fête de six heures du soir jusqu'au lever du jour en passant de cabaret en cabaret.

     

    Encore un très bon ouvrage de Leonardo Padura qui décidément semble vouloir se placer pour moi comme auteur découvert avec profit en 2015. Dans ce roman noir le sujet c'est d'abord la Crise qui a suivi la chute de l'URSS à partir de 1990. Alors, ceux qui n'ont pas quitté l'île se sont mis à vendre, pour ne pas mourir de faim, tout ce qui pouvait avoir de la valeur et d'autres se sont réorientés dans le commerce des objets de seconde main. Pour gagner sa vie, cependant, Mario Conde n'est pas prêt à tout. Ainsi il refuse de monnayer certains ouvrages rares dont la place lui paraît être à la bibliothèque nationale et certainement pas entre les mains de collectionneurs étrangers.

    Le personnage est sympathique aussi dans ses relations avec son groupe d'amis qu'il fait aussitôt profiter de sa chance en organisant des repas mémorables. L'enquête sur la disparition de Violeta del Rio qui fait émerger des secrets de famille enfouis depuis des dizaines d'années est la trame de ce roman riche et fort bien écrit.

     

     


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