•  

    Hannelore Cayre, La daronne, MétailliéPatience Portefeux est traductrice français-arabe pour le ministère de la justice. Au tribunal pour les prévenus qui ne parlent pas le français, au commissariat lors des interrogatoires mais de plus en plus souvent pour la traduction des écoutes téléphoniques de petits dealers. C'est par ce biais qu'elle entre en possession d'une grande quantité de cannabis qu'elle va s'employer à vendre. Pour ses clients, elle devient alors La daronne.

     

     

    J'ai beaucoup apprécié ce réjouissant policier et son personnage amoral. Patience est bien placée pour connaître les arrangements avec la loi de la police et de la justice et elle s'en donne à coeur joie pour rouler un employeur qui la fait travailler au noir :

    "C'est d'ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là même qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu ni retraite. Franchement, comme incorruptibilité on fait mieux, non ?"

     

     

    Hannelore Cayre est avocate pénaliste et elle aussi est bien placée pour connaître ce dont elle traite. C'est donc un ouvrage qui a la saveur du vécu, très crédible. Par ailleurs elle porte un regard très critique sur la société française et ses travers. Il est notamment question des conditions de fin de vie des personnes âgées dans des EHPAD qui ressemblent à des mouroirs faute de personnel mais aussi du peu de perspectives laissées aux jeunes, particulièrement quand ils sont issus de l'immigration :

    "Malgré tous ses efforts, à la sortie des études, il avait pris en pleine face le Grand Mensonge français. La méritocratie scolaire -opium du peuple dans un pays où on n'embauche plus personne, encore moins un Arabe- ne lui apporterait pas les moyens de financer ses rêves".

    La critique est mordante, l'humour caustique et c'est très bien écrit : je me suis régalée.

     

     

    L'avis d'Hélène, celui d'Henri.

    Une interview de l'auteure par le JDD.

     


    6 commentaires
  •  

    Sara Lövestam, Dans les eaux profondes, Actes sudMalte est un petit garçon de cinq ans qui vit dans un foyer perturbé : maman et son compagnon, Ove, se disputent souvent. Ove frappe maman et après elle boit. Quand elle a bu, elle s'endort. A la maison le ménage est rarement fait. Des vêtements, des emballages, des cadavres de bouteilles traînent partout. Mais maman a prévenu Malte : il ne doit jamais parler à la crèche de ce qui se passe à la maison. Sinon on viendra le prendre et ils seront séparés.

     

     

    A la crèche, Malte est un enfant silencieux et bagarreur. Autour de la crèche tourne Roger qui entre en contact avec Malte puis avec sa mère à qui il propose de garder le petit à l'occasion, pour la décharger. En face de la crèche vit le Témoin qui sort rarement de chez lui mais observe tout depuis sa fenêtre. Les agissements de Roger ne lui échappent pas et lui rappellent de mauvais souvenirs.

     

     

    Il est question dans ce roman de prédateurs pédophiles, un sujet difficile mené avec délicatesse. L'histoire est racontée à hauteur d'enfant mais l'auteure nous fait partager aussi le point de vue des adultes. Ceux qui ne voient pas ce qui se passe sous leurs yeux, ceux qui voient et se demandent ce qu'ils doivent faire.
    Je retrouve le thème cher à Sara Lövestam de l'acceptation de la différence à travers un personnage transgenre : "J'aimerais que quand on me regarde, on voie un être humain, j'aimerais inspirer la curiosité ou le désintérêt en raison de mes connaissances ou de ma personnalité. Mais les gens que je rencontre se disent tous : Est-ce que c'est un homme ou une femme ?"

    J'ai apprécié cette lecture.


    votre commentaire
  •  

    Sara Lövestam, Chacun sa vérité, Pocket"Si la police ne peut rien pour vous, n'hésitez pas à faire appel à moi".

    Kouplan, jeune réfugié iranien en Suède, sans papiers, propose ses services sur internet comme détective privé. Il est contacté par Pernilla dont la fille Julia, six ans, a été enlevée il y a près d'une semaine. Pernilla n'a pas alerté la police. Tout comme Kouplan, elle ne tient manifestement pas à ce que les autorités s'intéressent à elle. Pourquoi ? En tant que clandestin, en tout cas, Kouplan a des contacts parmi les gens qui se cachent. Il va les activer pour retrouver Julia et découvrir des agissements pas bien sympathiques.

     

     

    J'ai beaucoup apprécié ce très bon policier que je pourrais qualifier de thriller psychologique. Ici, pas de tueur psychopathe mais des truands de base qui trempent dans la traite des femmes. Cela n'empêche pas qu'il y ait du suspense, qui repose sur les secrets des personnages. Sara Lövestam affectionne les gens différents, qui n'ont pas les bons papiers : étranger, fou, queer. Elle les décrit avec bienveillance, avant tout comme des êtres humains, ce que je trouve très plaisant.

     

     

    Le dénouement est plutôt inattendu, bien amené, crédible et moralement satisfaisant. C'est une lecture positive, qui m'a fait du bien et qui m'a donné envie d'explorer plus avant l'oeuvre de cette auteure que je ne connaissais pas.

     

     

     


    votre commentaire
  •  

    Ivan Jablonka, En camping-car, SeuilDans les années 1980, à la faveur des vacances d'été, la famille Jablonka (Ivan, ses parents, son frère) accompagnée d'amis, souvent, a sillonné le bassin méditerranéen à bord de son camping-car, un combi VW aménagé. Dans les années 1970 (étant de dix ans l'aînée d'Ivan Jablonka), je faisais la même chose avec mes parents, mes soeurs et frère et des amis, souvent. C'est dire si En camping-car, à la fois recueil de souvenirs et étude sociologique des vacances en itinérance, avait de quoi me séduire.

     

     

    Les parents de M. Jablonka père ont été assassinés par les nazis quand il avait trois ans, il a grandi dans des foyers pour orphelins juifs, il n'a pas eu une enfance très heureuse. Sa revanche a été de tout faire pour que ses enfants soient heureux. C'était même une obligation pour eux : "Soyez heureux !" hurle-t-il aux enfants qui viennent de lui dire qu'ils s'ennuyaient. Pendant l'année scolaire ils vivent dans un petit appartement parisien, l'été ils s'évadent sur les routes pour jouir de la liberté. "[Mon père] professait qu'un enfant n'a pas à respecter son père et, d'ailleurs, le fait de voyager, d'être quotidiennement dépaysé, était un défi à toute autorité. Lui qui avait grandi sans père, il avait choisi de garder le meilleur de la paternité".

     

    Ivan Jablonka, En camping-car, Seuil

     

    Derrière ces choix individuels, Ivan Jablonka voit aussi des choix de classe. Enfants d'ouvriers, ses parents se sont élevés par les études. Ils font partie de la bourgeoisie à diplômes, celle qui a "le pressentiment que l'essentiel, pour réussir à l'école, ne s'apprend pas à l'école." Les voyages forment la jeunesse et lui permettent de faire sienne une culture vivante.

    Cette bourgeoisie-bohême, que l'on raille souvent sous l'appellation de "bobo", l'auteur la défend en disant qu'elle est le bastion de valeurs comme "la culture, le progrès social, l'ouverture à autrui, une certaine idée du vivre-ensemble".

     

    Ivan Jablonka, En camping-car, Seuil

     

    Dans cet ouvrage, qui est aussi un hommage de l'auteur à ses parents et plus particulièrement à son père, j'ai reconnu mes souvenirs d'enfance, les choix de mes parents et un peu de ce que je suis devenue. Cette chronique se veut un hommage à mes parents et plus particulièrement à mon père. Il avait construit, à partir de plans trouvés dans le magazine Système D, des caissons qui servaient de chambres sur le toit (notre camping-car n'était pas aménagé de série comme celui des Jablonka).

     

    Ivan Jablonka, En camping-car, Seuil

     

    L'avis d'Hélène.

     

    Ivan Jablonka, En camping-car, Seuil


    8 commentaires
  •  

    Jussi Adler-Olsen, Profanation, Le livre de pocheEn 1987, un frère et une soeur ont été littéralement massacré, battus à mort dans le chalet de vacances de leurs parents. Une bande de riches fils à papa, tous élèves dans le même lycée privé huppé, déjà soupçonnés d'autres violences, a été mise en cause puis innocentée grâce à l'argent et aux relations de leurs parents. Vingt ans ont passé. L'inspecteur Carl Mørck, chef du département des "cold cases" de la police de Copenhague, s'intéresse de nouveau à ces crimes. Les jeunes blousons dorés d'autrefois sont devenus des hommes d'affaire parmi les plus influents du Danemark. C'est dire si notre héros va trouver en face de lui des gens disposant de nombreux moyens pour l'empêcher d'agir.

     

     

    De cette série j'ai lu le un, j'ai lu le trois et c'est là que je me suis aperçue que je n'avais pas lu le deux. Voilà qui est fait. Ici je retrouve ce qui m'avait accrochée dans les deux autres épisodes : des méchants très méchants et une bonne maîtrise du suspense : un vrai thriller. Mais je lis aussi en cherchant si se confirme mon impression que l'auteur véhicule des préjugés sexistes et xénophobes. Voici ce que j'ai trouvé comme éléments :

    "Torsten Florin aurait pu être pris pour un homosexuel avec ses cheveux longs et sa peau de bébé, mais il était tout ce qu'il y a de plus hétéro, elle pouvait en témoigner."

    "La pièce de séjour était vaste, mais peu chaleureuse. Visiblement, il y avait longtemps qu'elle n'avait pas bénéficié des mains expertes et de l'oeil averti d'une femme. Des assiettes portant des traces de sauce figée s'empilaient sur le buffet, des bouteilles de Coca renversées jonchaient le sol. La pièce était poussiéreuse, sale et désordonnée."

    "Elle avait tout de suite compris qu'elle avait affaire à un véritable mâle."

    Et je vous épargne le passage insultant pour les femmes grosses qui m'a choquée.

     

     

    Est-ce que Jussi Adler-Olsen partage ces stéréotypes ou est-ce qu'il les inclut simplement parce qu'il pense que ça va amuser le lecteur ? Je ne sais pas mais l'essentiel c'est qu'en tout cas, à moi, ça me déplait et je ne suis donc pas sûre du tout de continuer la lecture de cette série.


    2 commentaires
  • Steinunn Jóhannesdóttir, L'esclave islandaise, GaïaLivre 1 :

    En 1627, un raid de Turcs barbaresques attaque les côtes de l'Islande. Les habitants qui résistent sont tués, les autres sont emmenés comme captifs à bord de trois bateaux. Hommes, femmes et enfants, 400 Islandais en tout, de Keflavik, de Grindavik, des îles Vestmann ou des fjords de l'est. C'est de cet épisode historique véridique que s'est inspirée Steinunn Jóhannesdóttir pour raconter l'histoire de Guðriður Simonardóttir, enlevée avec son fils Sölmundur âgé de quatre ans. Après un long voyage, les captifs débarquent à Alger où ils sont vendus comme esclaves. On estime qu'à l'époque les esclaves formaient 25 % de la population de cette ville de 100 000 habitants.

     

     

    Steinunn Jóhannesdóttir montre bien l'étendue du choc vécu par les captifs. Choc psychologique, bien sûr. Guðriður est arrachée à son cadre de vie habituel et à ceux qu'elle aime. Elle qui était une femme libre va subir la dure condition d'esclave. Enfin elle ignore tout de ce qu'il est advenu de son mari. A-t-il été tué ? A-t-il pu se cacher ou fuir ? A-t-il tenté de la secourir ou a-t-il avant tout pensé à lui-même ? Les questions sont nombreuses et sans réponses. Le roman suit le périple de l'héroïne et le lecteur n'en sait donc pas plus qu'elle.

    Choc thermique auquel ne survivent pas certains captifs qui meurent de maladies exotiques après leur arrivée.

    Choc culturel avec la découverte de nouvelles langues (arabe, turc, franco), d'une religion forcément hérétique puisqu'elle n'est pas celle enseignée par les pasteurs, de nouveaux modes de vie, de la ville pour ces paysans qui vivaient auparavant dans des fermes en tourbe.

     

     

    Au passage je découvre quelques éléments de l'histoire de l'Islande qui me donnent envie d'en savoir plus sur ce pays, beaucoup plus lointain pour moi que l'Algérie. Au 17° siècle elle dépendait de la couronne danoise. La distance permettait manifestement une certaine autonomie des communautés villageoises. Les pasteurs semblent constituer l'autorité principale. En théorie les commerçants danois avaient le monopole des échanges avec les îles mais on pratiquait la contrebande avec des marins britanniques. Je suis surprise de constater que Guðriður sait lire et écrire malgré son statut relativement modeste. Avantage sans doute du protestantisme sur le catholicisme : il faut pouvoir lire la Bible et les psaumes qui tiennent une grande place dans la liturgie.

     

     

    Steinunn Jóhannesdóttir, L'esclave islandaise, GaïaLivre 2 :

    La libération de Guðriður et de certains de ses compatriotes est un soulagement pour les captifs mais en même temps un nouvel arrachement. Pendant leurs années d'esclavage les Islandais ont tissé de nouveaux liens. Que découvriront-ils de retour au pays ? Ceux qu'ils ont quitté depuis si longtemps sont-ils encore en vie ? Pensent-ils encore à eux ? Les ont-ils attendus ? C'est de nouveau un saut dans l'inconnu.

     

     

    C'est une chose que j'ai appréciée dans ce roman, la capacité de l'auteure à montrer les nuances de la situation. Guðriður souhaite rentrer chez elle et en même temps elle est séduite par la civilisation raffinée qu'elle a découverte à Alger. Guðriður souhaite rester fidèle à son mari et en même temps elle est troublée par l'amitié de Brandur, esclave comme elle. Guðriður est une bonne chrétienne mais, au fond, elle se demande si ces musulmans si pieux ne prient pas le même dieu qu'elle. Steinunn Jóhannesdóttir a fait de son personnage une femme ouverte et attachante. J'ai apprécié cette lecture.

     


    2 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires