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    Erika Mann, Quand les lumières s'éteignent, Le livre de pocheDans une petite ville de Bavière, dans les années qui précèdent le début de la seconde guerre mondiale, différents personnages expérimentent la perte des libertés individuelles et la montée de la terreur liées au régime nazi. Un régime dont la plupart d'entre eux pensaient au départ qu'il n'affecterait pas leurs vies, voire même auquel ils étaient favorables.

     

     

    Ecrit en 1939 en allemand, l'ouvrage est paru peu après en traductions américaine, française et espagnole. Le manuscrit est perdu et les éditions contemporaines ont été faites à partir de ces plus anciennes. Le récit adopte une forme romancée mais Erika Mann (la fille de Thomas et la soeur de Klaus) affirme que toutes les histoires qu'elle rapporte sont basées sur des faits réels. Elle s'est appuyée notamment sur des discours de dirigeants nazis ou sur la presse du parti dont les références sont citées en fin. Il y a aussi une préface de la traductrice Danielle Risterucci-Roudnicky et une postface de Irmela von der Lühe, biographe d'Erika Mann qui présentent le livre et son auteure.

     

     

    Je découvre un pays où les restrictions et l'inflation poussent agriculteurs et commerçants à mettre la clé sous la porte pour aller s'engager dans des usines d'armement qui produisent des avions qui s'écrasent et des chars qui explosent (ça, cela me surprend car ce n'est pas l'impression que m'avait laissé la guerre éclair). La durée des études est raccourcie et la carte de membre du parti nazi sert de référence à des étudiants médiocres pour être engagés comme médecins. Les salaires baissent, les civils sont requis pour le travail obligatoire et ne mangent plus à leur faim, la santé de la population se dégrade.

    Je me rends compte en lisant cet ouvrage que, si j'ai pas mal lu sur les méfaits des nazis hors de l'Allemagne, je suis peu documentée sur la vie quotidienne dans l'Allemagne nazie. Un oubli qu'il va falloir que je répare.


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    Elizabeth von Arnim, Christopher et Columbus, 10-18Anna-Rose et Anna-Felicitas ont 17 ans, elles sont jumelles et orphelines. Après la mort de leur mère elles ont été recueillies à Londres par la soeur de celle-ci, une anglaise. Mais leur père était allemand, nous sommes en 1916 et la germanophobie ambiante pousse bientôt leur oncle à les mettre dans un bateau pour les Etats-Unis. Leur tante est dans l'incapacité de s'opposer : "Il l'avait rudoyée avec une telle constance, tout au long de leur vie conjugale, qu'elle lui était à présent indéfectiblement attachée".

     

     

    Pour se donner du courage, les deux Anna décident de se surnommer Christopher et Columbus. C'est durant la traversée qu'elles font la connaissance de Mr. Twist qui se prend d'intérêt pour les abandonnées. L'amitié qui naît entre eux va bouleverser leurs vies. Celle des jumelles parce que Mr. Twist va être le protecteur de leur installation dans un pays dont les habitants vont se montrer aussi germanophobes que les Anglais mais, de plus, terriblement puritains. Celle de Mr. Twist surtout parce que ce vieux garçon, qui est resté sous la coupe de sa mère jusqu'à plus de 30 ans, va s'appuyer sur les jumelles pour s'émanciper enfin de cette veuve qui a exploité les bons sentiments de ses enfants pour se les assujettir : "Tout gravitait autour de leur mère. Elle-même se donnait bien de la peine, surtout désireuse de ne pas être une charge. Par exemple, elle ne changeait pas de place, si elle se trouvait malencontreusement assise dans un courant d'air, mais demeurait impassible jusqu'à ce qu'un de ses enfant se rappelle ne pas avoir fermé la porte. Une fois l'inévitable coup de froid tombé sur sa poitrine, elle faisait allusion à la porte restée ouverte, entre deux quintes de toux à fendre l'âme, ajoutant qu'elle n'avait pas voulu les ennuyer en leur demandant de la fermer, car ils paraissaient si pris par leurs propres affaires".

     

     

    J'ai beaucoup apprécié la lecture de ce roman. L'histoire est charmante avec ces personnages de jeunes filles pleines d'entrain et de courage. J'ai retrouvé avec plaisir l'humour ironique d'Elizabeth von Arnim. Les travers des personnages, leurs sentiments et les situations sont très finement observés. Il y a des dialogues vraiment drôles. Par moments cela me fait un peu penser à Jane Austen.


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    Nathan Davidoff, Journal de Nathan Davidoff, Gingko éditeurLe Juif qui voulait sauver le Tsar

    Nathan Davidoff (1880-1977) était un riche entrepreneur juif originaire de Boukhara, en Asie centrale (dans l'empire russe à sa naissance). A 14 ans Nathan intègre l'entreprise familiale de commerce de tissu, fondée par son grand-père et dirigée par son père et ses oncles. Il fait rapidement prospérer l'affaire. Il est responsable d'un magasin à 15 ans, directeur d'une carderie de coton à 16. Il n'a pas 25 ans quand, estimant que ses qualités ne sont pas reconnues à leur juste valeur, il quitte l'entreprise familiale pour se mettre à son compte. Il se lance alors dans la concentration horizontale (achat de plusieurs carderies) et verticale (achat de terrains pour y faire pratiquer la culture du coton) puis il diversifie ses activités avec l'achat d'une mine de de charbon, d'une scierie... Je suis fascinée par cette boulimie d'entreprendre tous azimuts.

     

     

    Si Nathan aime gagner de l'argent il considère aussi que celui-ci doit être dépensé. Il n'est pas un patron chiche. Il finance des oeuvres sociales, forme et loge ses employés méritants, prête à ses concurrents en difficulté. Il se constitue ainsi un réseau d'obligés, utile en affaires et qui lui sauva sans doute la vie lors des révolutions de 1917. Il est à Moscou au moment du coup d'Etat des bolchéviques et raconte quelques anecdotes qui montrent à quel point c'était la pagaille. Ceci dit, pendant la révolution, les affaires continuent. Nathan se lance dans la production de bois et de savon.

    Nathan Davidoff a quitté l'URSS en 1923 pour Paris. En 1972 il s'installe en Israël où il finit sa vie.

     

     

    Le Journal de Nathan Davidoff n'est pas un journal mais des mémoires, sans doutes rédigées entre 1917 et 1923 et découvertes par la famille après sa mort. Le manuscrit comptait 1300 pages. Benjamin Ben David qui en a assuré la traduction du russe et la présentation est le petit-fils de Nathan. Il est aussi l'auteur de la postface qui replace le "Journal" dans son contexte et explique les conditions d'enrichissement d'une frange des Juifs-boukhariotes à la fin du 19° siècle.

    Contrairement à ce que prétend la quatrième de couverture, on n'apprend pas grand chose sur la communauté juive de Boukhara. J'ai cependant trouvé intéressant ce personnage de capitaine d'industrie, sorte de génie des affaires et qui a vu changer son monde.


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    Patrick Deville, Taba-Taba, SeuilA la mort de sa tante Monne, Patrick Deville récupère les archives familiales qui lui sont prétexte pour voyager à travers la France sur les traces de sa branche paternelle, depuis ses arrières-grands-parents, au 19° siècle. C'est l'occasion pour nous raconter la petite et la plus grande histoire de France auxquelles il adjoint des éléments autobiographiques, plus que dans ses précédents ouvrages. Il s'y présente en petit garçon précoce, hypermnésique et qui a tenté d'en finir avec la vie à l'âge de 8 ans. Il dévoile sa rencontre amoureuse avec Véronique Yersin, survenue après la parution de Peste et choléra.

     

     

    Comme à son habitude, c'est à un voyage vagabond que nous invite l'auteur : au verso d'une coupure de journal conservée depuis 1914, il lit dans la rubrique des faits divers une histoire de suicide par amour et décide de se rendre au café situé aujourd'hui à l'adresse indiquée, pour y boire "aux belles amours mortes".

    Durant la réalisation de son projet (qui se déroule pendant l'année 2015), il s'interrompt pour des séjours en Amérique du sud, en Afrique ou en Asie.

     

     

     

    Ses pérégrinations à travers la France sont aussi l'occasion pour Patrick Deville de nous parler de la situation contemporaine. Il est beaucoup question de l'attentat contre Charlie-Hebdo. Passant dans la Meuse il fait le parallèle entre les terres polluées au plomb et au mercure par les munitions de la première guerre mondiale et l'enfouissement des déchets radioactifs : "Dans ce concours de longue durée qui semblait une farce, Electricité de France prévoyait de démanteler dans un siècle son parc nucléaire et d'en enfouir les déchets, dont la durée de radioactivité atteignait pour certains le million d'années, tout au sud de ce département de la Meuse, sous le village de Bure, au long de trois cents kilomètres de galeries creusées à cinq cents mètres de profondeur. Sur les conteneurs serait bien précisée, dans tous les calendriers connus, la date avant laquelle il était préférable de ne pas les ouvrir, et le texte de ces étiquette serait sans doute traduit en arabe et en chinois, peut-être en swahili et en zapotèque, parce que l'avenir souvent est capricieux."

     

     

    J'ai beaucoup aimé cette lecture, l'écriture à laquelle je trouve des accents poétiques et tout le projet qui m'apparaît comme une performance artistique complète, pas seulement littéraire.


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