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Par Anne-yes le 16 Janvier 2023 à 14:35
Histoire d'un combat anthropologique sans fin
Pascal Picq est anthropologue évolutionniste c'est-à-dire, si j'ai bien compris, qu'il étudie les comportements humains à travers les temps, ceux qui changent et ceux qui perdurent. A propos du sexisme et des violences contre les femmes il constate que ces comportements existent depuis la préhistoire mais que, en Occident, la domination masculine s'est alourdie à partir de la fin du Moyen-âge. En suivant un découpage par siècles, du 16° au 20°, l'auteur étudie les étapes qui ont conduit à un contrôle croissant des femmes.
Au 16° siècle. La chasse aux sorcières déchaînes des violences inouïes, l'auteur parle de gynocide. Il s'agit de rejeter le savoir des femmes (accouchements, guérisseuses), de reprendre le contrôle sur leur corps et d'affirmer l'autorité de la corporation des médecins.
Au 17° siècle. C'est le début de l'expansion coloniale qui va permettre à l'Occident d'imposer son modèle de société patriarcale. Des cultures plus égalitaires disparaissent. Ce sujet de la colonisation est développé au 19° siècle, en lien avec l'image de la femme "exotique" qui alimente les fantasmes masculins.
Au 18° siècle. La classification des espèces renvoie les femmes à leur fonction de reproduction et à leur supposée plus grande proximité avec la nature : "Charles Linné nomme les mammifères mammalia ou mammifères en référence à une physiologie de la reproduction ne touchant que les femelles et non pas, par exemple, les pilosa en références aux poils, ce qui aurait concerné les deux sexes".
Au 19° siècle. Le code civil de Napoléon (1804) fait des femmes de perpétuelles mineures. La science arrive même à justifier cette idée : "Dans plusieurs représentations de squelettes d'homme, de femme et d'enfant, on s'aperçoit que, comme chez les jeunes enfants, la suture de l'os frontal -la suture métapique- n'est pas complètement fermée chez la femme. Dans la réalité elle se ferme bien à la fin de l'enfance mais chez les deux sexes".
Au 20° siècle. Les crises diverses entraînent, comme bien souvent, une dégradation du sort des femmes. L'auteur compare le phénomène des femmes tondues à la Libération à la chasse aux sorcières : "Les armées occupantes tuent et violent les femmes des pays envahis, mais les exactions contre les femmes du temps des sorcières ou de la Libération procèdent de violences des hommes envers ce qu'ils considèrent comme leurs femmes; et ils s'en prennent à leur corps et à leur sexualité. Autrement dit, dans un cas comme dans l'autre, les femmes deviennent les victimes des tensions provoquées par les profonds changements économiques, sociaux et politiques des sociétés européennes, une majorité d'hommes ayant le sentiment, plus ou moins conscient ou concret, de perdre leur statut".
J'ai choisi de vous présenter un sujet par siècle, Pascal Picq en traite beaucoup plus, les développe et les approfondit et j'ai trouvé dans ce livre des idées très éclairantes. La lecture n'est pas toujours facile, il y a des passages théoriques que j'ai trouvés un peu ardus mais il y a aussi beaucoup de choses qui m'ont semblé très claires. La conclusion c'est que les discriminations contre les femmes ont traversé des millénaires depuis la préhistoire mais que les violences contre les femmes sont des faits de culture et de civilisation et que nos sociétés peuvent donc changer radicalement sur la question de l'égalité des droits pour les femmes et les hommes.
Ma réserve c'est que Pascal Picq qui écrit beaucoup se cite beaucoup et à l'air de considérer que ses oeuvres antérieures sont déjà connues du lecteur, ce qui n'est pas mon cas. Je me demande si cette production nombreuse n'est pas responsable de quelques points qui me semblent traités à la légère. Je regrette ainsi que dans un passage il soit question de femmes -on ne saura pas leurs noms- passionnées par les sciences qui ont collaboré avec Carl von Linné, Jean-Jacques Rousseau, Bernard de Jussieu, Joseph Pitton de Tournefort ou Jean-Baptiste de Lamarck dont l'auteur déplore qu'ils aient pris toute la place dans l'histoire des sciences naturelles. C'était peut-être le moment de rendre justice à ces femmes et de les nommer ?
Malgré cela je dirais que les points forts l'emportent et c'est une lecture que j'ai globalement appréciée.
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Par Anne-yes le 12 Janvier 2023 à 15:53
Une enfance en Turquie
Née en 1975 Özge Samancı est une artiste multimédia turque installée aux Etats-Unis. Dans ce roman graphique elle raconte son enfance et son adolescence en Turquie depuis ses six ans. Özge Samancı grandit à Izmir, sa ville natale, auprès de Pelin, sa soeur aînée et de parents enseignants. Le père veut que ses filles soient ingénieures pour gagner correctement leur vie et être indépendantes. Pour cela il faut intégrer un lycée de prestige puis une université de prestige ce qui passe par des cours du soir privés. Özge a bien du mal à se plier aux injonctions de son père. Elle s'imagine en nageuse olympique, en plongeuse comme le commandant Cousteau, en actrice, jamais en ingénieure. Comment être soi-même sans décevoir ceux que l'on aime ?
J'ai beaucoup apprécié cet excellent ouvrage. Quand Özge Samancı raconte sa scolarité primaire au début des années 1980 avec la figure d'Atatürk omniprésente, l'embrigadement des enfants, les punitions corporelles, cela me fait penser à ce que vit Riad Sattouf en Syrie à peu près à la même époque, toutes proportions gardées car Özge vit dans une famille libérale. J'aime la façon dont elle restitue l'innocence de l'enfance et le cadre matériel de la vie à cette époque. En grandissant elle garde intacte sa capacité à s'enthousiasmer ce que je trouve très plaisant. Elle m'apparaît très sympathique et son livre aussi où le dessin s'accompagne de photos d'objets, papiers collés et autres inventions plastiques. Une très bonne découverte due à Masse critique.
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Par Anne-yes le 4 Janvier 2023 à 15:39
Quand il travaillait sur Retour à Lemberg, Philippe Sands a fait la connaissance de Horst Wächter, fils de Otto von Wächter, et il a commencé à enquêter sur ce dernier. Autrichien, Otto von Wächter (1901-1949) a adhéré au parti nazi dès 1923. Après l'Anschluss il monte rapidement en grade et occupe différents postes de commandement, à Vienne, à Cracovie puis à Lemberg où il est chaque fois chargé des politiques anti-juives et s'en acquitte avec efficacité. Après la défaite des nazis Otto von Wächter se cache dans les Alpes autrichiennes pendant près de trois ans. Il est à cette époque l'un des chefs nazis les plus recherchés par les Alliés. En 1949 il passe en Italie grâce à des faux papiers fournis par sa femme. A Rome il bénéficie de complicités et prépare son départ pour l'Amérique du Sud mais meurt avant de pouvoir réaliser ce projet.
Pour écrire la biographie d'Otto von Wächter Philippe Sands a eu accès aux archives personnelles de Charlotte, la femme d'Otto. Journaux intimes, courriers entre les époux, bandes enregistrées, tous ces précieux documents ont été confiés à l'auteur par Horst Wächter avec qui Philippe Sands a noué une relation de confiance. Charlotte von Wächter apparaît comme une parfaite femme de nazi, parfaite nazie elle-même. Elle est tellement représentative que j'ai cru un moment la reconnaître comme une des protagonistes de Femmes de nazis. Mais non. Elle me fait aussi penser à Josée Laval, seulement intéressée par la vie mondaine qu'elle mène grâce à la position de son mari (son père dans le cas de la fille Laval) : "Les déjeuners de vingt personnes étaient parfois suivis de thés où se retrouvaient quarante invités. Dans la mesure où la ville [Lemberg] était sur la route du front russe, les gens pouvaient faire une halte chez eux : la guerre devenait ainsi un catalyseur d'événements mondains".
Charlotte est par ailleurs très amoureuse de son mari ce qui contribue aussi à la rendre totalement aveugle aux crimes auxquels il participe.
Philippe Sands a mené l'enquête à Rome sur les filières d'exfiltration de nazis. Il y met à jour le rôle actif de l'Eglise catholique, notamment en la personne de l'évêque nazi Aloïs Hudal. Après la guerre cet Autrichien a fourni gîte, argent et faux papiers aux nazis réfugiés à Rome, il en a aidé à passer en Amérique du Sud comme par exemple Franz Stangl, le commandant de Treblinka. Je découvre qu'à la fin des années 1940, dans le contexte des débuts de la guerre froide, des nazis sont aussi recrutés par les services du contre-espionnage américain. Dans l'optique de lutter contre le communisme ("Les ennemis de mes ennemis sont mes amis") on ferme les yeux sur leurs crimes et on leur fourni une nouvelle identité. Les Allemands appellent cela le Persilschein (du nom de la lessive) qui lave plus blanc que blanc. L'auteur prouve que les Américains ont été au courant de la présence d'Otto dès son arrivée à Rome mais qu'ils n'ont rien fait pour arrêter ce criminel de masse, en théorie activement recherché.
Après le père et la mère Philippe Sands côtoie -et lui en chair et en os- un fils de la famille Wächter, Horst. Ce vieux monsieur affable et accueillant avec qui l'auteur a sympathisé a très peu connu son père. Il a été élevé par sa mère et son grand-père -qui a fait office de père de substitution- tous deux convaincus de l'innocence d'Otto. Aussi, tout en affirmant vouloir connaître toute la vérité sur les crimes dont son père est accusé -et sans doute le croit-il vraiment- Horst s'est enfermé dans un déni de plus en plus profond, assez fascinant à observer. Il arrive à trouver une explication édulcorante à toutes les preuves, même les plus incriminantes, que lui présente l'auteur. J'admire ce dernier qui reste très patient -il confesse cependant s'être énervé une fois.
L'enquête menée par Philippe Sands sur plusieurs années a débouché (avant le livre) sur un documentaire -What our fathers did. A nazi legacy- que je n'ai pas vu et un podcast disponible sur Radio France -que j'ai écouté en suivant la lecture du livre. J'ai trouvé l'un et l'autre passionnants et se complétant bien. Ce ne sont pas les mêmes points qui sont détaillés dans le podcast que dans le livre, il n'y a pas de redondance. Si Retour à Lemberg qui traite de points de droit international était parfois un peu technique, La filière est d'une lecture beaucoup plus accessible.
L'avis d'Henri, celui de Luocine.
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Par Anne-yes le 1 Janvier 2023 à 12:46
Sur le bassin d'Arcachon
Je souhaite une bonne année 2023 à toutes et à tous. Du courage et de la persévérance pour entreprendre et mener à bien vos projets, de bons moments, de bonnes lectures. J'en profite pour vous présenter celles qui m'ont le plus marquée en 2022 :
Marie-Claire Blais, Petites Cendres ou la capture
Sorj Chalandon, Enfant de salaud
Stefan Hertmans, Une ascension
Titiou Lecoq, Les grandes oubliées
Natascha Wodin, Elle venait de Marioupol
Ruth Zylberman, 209 rue Saint-Maur
Pour Noël on m'a offert des livres, bien sûr. Mon objectif est de les lire d'ici juillet (date de mon anniversaire). En matière de lectures je prévois, en 2023, de participer à différents défis. Le premier en date sera les lectures communes autour de l'Holocauste à la fin de ce mois. Je compte aussi continuer mon entreprise de lecture d'auteurs à l'occasion de leur mort. Ce projet m'a permis de nombreuses découvertes dont quelques unes de notables.
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Par Anne-yes le 22 Décembre 2022 à 10:00
Arne (et non pas Arnes comme écrit sur la couverture !) et Carlos sont deux designers tricot norvégiens. Je découvre cet ouvrage à ma médiathèque où, à cette époque de l'année, les bibliothécaires ont mis en place une étagère sur le thème de Noël. Comment résister à ces mignonnes boules de Noël, d'autant plus que je constate que la laine préconisée pour les tricoter est la même que celle que j'ai utilisée pour mes moufles et dont il me reste du stock ? Au travail, c'est bientôt Noël !
Les auteurs préconisent de travailler avec un jeu de 5 aiguilles, j'ai fait ça avec une aiguille circulaire en magic loop, je préfère. Les explications sont claires, chaque boule est accompagnée de son diagramme et il y a des points techniques sur les augmentations et les diminutions. Il y a de nombreuses illustrations : des boules proposées mais aussi des auteurs au travail et d'objets anciens en rapport avec Noël qu'ils ont collecté chez eux. Une boule se tricote en un peu plus de deux heures et à cette vitesse c'est assez addictif, je dois dire. Ca va me faire des petits cadeaux de Noël, c'est très bien, il m'en manquait.
Bonnes fêtes à tous !
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Par Anne-yes le 19 Décembre 2022 à 16:04
De la nourriture disparaît dans la grande maison bourgeoise de Londres où est employée comme domestique la jeune Millie Foster. Craignant d'être accusée de vol et de perdre sa place elle contacte Gracie Tellman, autrefois domestique elle aussi, aujourd'hui mariée à un inspecteur de police. Gracie accepte de prendre la place de Millie chez les Harcourt afin d'y mener l'enquête. Elle va découvrir un bien sombre secret de famille.
L'histoire se déroule peu avant Noël, à la fin du 19° ou au début du 20° siècle. C'est un de ces petits romans que Anne Perry sort avant les fêtes depuis quelque temps déjà et que je lis à l'occasion quand il m'en tombe sous la main. Ici ce qui m'a le plus intéressée c'est la description de la vie des domestiques -dix pour servir deux personnes !-, des relations entre eux et avec leurs maîtres. En ce qui concerne l'histoire elle-même j'y ai trouvé des aspects peu crédibles comme l'arrivée trop facile de Gracie dans une maison où on a des choses à cacher et le dénouement merveilleux. C'est un conte de Noël où les gentils reçoivent des cadeaux inattendus et où les méchants sont punis.
Je suis capable de prendre plaisir à des histoire gentillettes mais là j'ai trouvé que l'autrice avait la main un peu lourde sur la magie de Noël et les bons sentiments.
L'avis de Cléanthe.
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Par Anne-yes le 15 Décembre 2022 à 11:36
Au début du 20° siècle de nombreux hommes de Paimpol s'engagent pour aller pêcher la morue au large des côtes islandaises. On les appelle les Islandais. Sur le bateau le travail est dur, les accidents fréquents et les conditions d'hygiène innommables : pas de toilettes, chacun fait ses besoins sur le pont puis rince d'un seau d'eau ou pas-; les marins couchent à deux dans de petits espaces et les éventuelles maladies contagieuses s'en donnent à coeur joie. Tout ceci pour le plus grand profit des armateurs qui ont bâti une légende qui dépeint les Islandais en hardis chevaliers des mers afin de flatter ces hommes et d'éviter qu'ils ne se révoltent.
Quand le Catherine fait naufrage à l'est de l'Islande près du fjord de Fáskrúdsfjördur les blessés sont soignés à l'hôpital français installé là. En cette année 1904 le gouvernement français vient en effet de reprendre la charge des soins aux pêcheurs français, confiée jusqu'à présent aux congrégations religieuses.
Rescapés du naufrage les marins Lequéré et Kerano s'installent à Fáskrúdsfjördur pour quelque temps. Lequéré est révolté contre le sort des Islandais et voudrait que ses collègues se syndiquent. Kerano, instituteur de profession est un inadapté sur un bateau. Il fait la connaissance d'Eilin, l'institutrice locale.Il y a aussi Marie, infirmière française qui vient d'arriver en Islande, professionnelle mais un peu rigide, et soeur Elisabeth, une religieuse danoise.
C'est un roman dont j'ai plutôt apprécié la lecture avec des passages qui tiennent en haleine, très romanesques, comme la tempête du début et le naufrage du Catherine. L'auteur apporte de nombreuses informations sur les conditions de vie de ces marins, que j'ignorais totalement et qui m'ont intéressée. J'aimerais bien en savoir plus sur les relations historiques entre la France et l'Islande. Par contre j'ai trouvé que les informations étaient souvent amenées de façon maladroite, comme une leçon qu'un personnage fait à un autre. Cela ne fait pas très naturel.
J'ai apprécié aussi les descriptions des beaux paysages islandais.
La Paimpolaise raconte l'histoire des pauvres Islandais.
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Par Anne-yes le 12 Décembre 2022 à 15:52
Née en 1945 Natascha Wodin est une écrivaine allemande d'origine soviétique. Ses parents sont arrivés en Allemagne comme travailleurs forcés en 1944. Evguénia Iakovlevna Ivachtchenko (1920-1956), la mère de l'autrice, s'est suicidée quand celle-ci avait dix ans. Natascha Wodin sait très peu de choses sur sa mère et sa famille maternelle. Un jour de 2013, cependant, elle trouve le nom de sa mère sur l'internet russe. S'en suivent plusieurs coups de chance ou hasards miraculeux. Natascha Wodin fait la connaissance de Konstantine, un Grec de Marioupol, généalogiste amateur qui, de fil en aiguille, reconstitue l'histoire de ses ancêtres. Natascha Wodin entre même en contact avec des cousins dont elle ignorait auparavant l'existence. Elle qui a vécu une enfance misérable et se rêvait en princesse pour la supporter découvre alors une famille qui fut une des plus riches de Marioupol.
Derrière l'histoire de la famille Ivachtchenko, très représentative, c'est le sort tragique du peuple ukrainien au 20° siècle qui nous est rappelé : révolution russe et guerre civile ("Au cours des cinq années de guerre civile, le pouvoir administratif à Marioupol change de main à dix-sept reprises"), Grande famine, procès truqués et déportation au goulag, invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie ("Au moment de l'entrée des troupes allemandes, 240000 personnes vivent à Marioupol, deux ans plus tard ils ne seront plus que 85000"), travail forcé en Allemagne et encore le goulag pour ceux qui en sont revenus. On ne peut pas dire que le 21° siècle soit pour l'instant plus favorable. Cette histoire a séparé et détruit les familles et Natascha Wodin est loin d'être la seule à rechercher les siens : Konstantine est surchargé de travail. Il existe une émission de recherche de disparus à la télé ukrainienne, "Attendez-moi", mais il y a tellement de monde qui fait appel à elle que le temps d'attente est de plus d'un an.
Natascha Wodin raconte aussi la vie de sa mère en Allemagne. Evguénia et son mari (le père de l'autrice) sont affectés comme travailleurs forcés à une usine du groupe Flick à Leipzig, logés dans un camp. L'autrice ne sait rien de la vie de ses parents à cette époque. Elle s'appuie sur des documents et des récits d'autres travailleurs de la même usine pour imaginer leurs conditions d'existence dans un groupe "connu pour ses conditions de travail et de logement particulièrement inhumaines". J'ai trouvé très intéressant ce que j'ai appris à ce sujet. L'Holocaust Memorial Museum de Washington estime à 30000 le nombre de camps de travailleurs forcés sur le territoire du Reich allemand.
Après la guerre la famille Wodin connaît des conditions d'hébergement très précaires jusqu'en 1952 : ils vivent dans un hangar puis dans un camp de personnes déplacées. L'autrice s'appuie sur ses souvenirs de petite fille pour raconter l'ouverture qu'a été pour elle le fait d'aller à l'école à l'extérieur du camp et d'y apprendre la langue allemande mais aussi la façon dont elle a été maltraitée par les petits Allemands, avec la complicité de l'institutrice, car en tant que Russe on se vengeait sur elle de la défaite de l'Allemagne. La famille n'est pas vraiment un refuge. Le père bat femme et filles puis disparaît pendant de longues périodes, la mère sombre peu à peu dans la folie. La fin est poignante.
J'ai beaucoup apprécié cet excellent ouvrage. J'ai trouvé très intéressante l'histoire de la famille ukrainienne de l'autrice et sa quête pour en renouer les fils. Natasca Wodin raconte comment elle a pendant longtemps fantasmé la vie de sa mère et la façon dont ses découvertes valident ou invalident ce qu'elle avait imaginé. J'aime bien sa façon de présenter le contraste qu'il peut y avoir entre le rêve et la réalité et de montrer comment sa recherche réactive des souvenirs enfouis. Elle croyait ne rien savoir, elle découvre que ce n'est pas tout à fait le cas.
J'ai été choquée par ce que j'ai appris du sort des travailleurs déplacés pendant et après la guerre. J'ai pensé bien sûr à L'Ukrainienne de Josef Winkler. Il est clair que Valentina Steiner a eu beaucoup plus de chance qu'Evguénia. D'après ce que j'ai lu il semble que ce soit le cas de la première qui soit l'exception. Autre différence : Valentina a gardé le contact avec sa mère, Evguénia ne savait pas ce que la sienne était devenue, ignorance qui l'a minée.
Enfin j'ai été impressionnée par ce qu'est devenue Natascha Wodin après un début de vie très difficile : une traductrice et une autrice, une femme qui semble apaisée et je lui dis bravo. Avec cet ouvrage elle restitue une humanité à sa mère que le père a toujours traitée de folle après sa mort.
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Par Anne-yes le 8 Décembre 2022 à 10:33
Berlin, 1964. Toute la ville se prépare à célébrer le Führertag -les 65 ans d'Hitler- dans des festivités qui doivent durer plusieurs jours. Nous sommes dans une Allemagne qui a vaincu l'URSS et le Royaume-Uni, une Allemagne maîtresse de l'Europe, une Allemagne nazie installée dans la durée. L'inspecteur Xavier March, Sturbannführer à la Kriminalpolizei est chargé de l'enquête concernant la mort par noyade de Josef Bühler, un nazi de la première heure. Mais voici que la Gestapo, en la personne d'Odilo Globocnik, semble très désireuse de faire classer l'affaire comme accident, ce à quoi March ne croit pas. En continuant l'enquête malgré tout il met sa vie en jeu face à des gens prêts à tout pour maintenir dans l'ombre leurs crimes.
L'action de cette uchronie se déroule dans une ville de Berlin en partie transformée selon les plans d'Albert Speer. Ce n'est pas tout à fait Germania -trop cher- mais les constructions monumentales sont nombreuses. Les Allemands sont embrigadés ou préfèrent se taire cependant Xavier March est un personnage qui doute et exprime de plus en plus de questions notamment sur le sort des Juifs qui semblent avoir disparu. Le génocide des Juifs, nous dit Robert Harris, a bien eu lieu mais les autorités en ont fait disparaître toutes les traces. Si, aux Etats-Unis, des bruits circulent il n'y a aucune preuve et cela n'intéresse pas grand monde. J'ai pensé d'abord qu'une dissimulation d'une telle ampleur n'était pas crédible puis j'ai changé d'avis : l'URSS a bien réussi pendant des décennies à passer sous silence ou à minimiser ses crimes (famine en Ukraine, grandes purges, Katyn...). Le message de l'auteur ici c'est que ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire à leur convenance.
Ce que j'ai apprécié dans ce roman c'est la peinture de ce monde nazi des années 1960 qui mêle modernité technique du moment et permanence des caractères d'un régime totalitaire : enfant qui dénonce un parents "mal pensant", pratique de l'humour comme seul moyen de critiquer le régime, corruption des dirigeants. On se croirait en URSS à la même époque.
L'avis de Cléanthe.
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Par Anne-yes le 5 Décembre 2022 à 10:00
Une jeunesse au Moyen-Orient (1994- 2011). En 1994 Riad Sattouf a 16 ans et vit à Rennes avec sa mère et son frère Yaya. Cela fait deux ans que le père a enlevé Fadi, le cadet de la fratrie. Pour retrouver son fils la mère s'en remet à divers charlatans et escrocs : voyante, avocat véreux, soi-disant ex des services secrets. Après le bac Riad Sattouf étudie les arts appliqués à Rennes puis à Paris. Dans le même temps il cherche à se faire éditer et commence une psychothérapie dans le but de se débarrasser de ses angoisses et de l'image de son père qui l'obsède.
Dans ce dernier tome de L'Arabe du futur on assiste à l'émancipation du héros. L'adolescent complexé devient petit à petit un adulte autonome. J'ai beaucoup apprécié cette évolution qui m'a fait plaisir. Bravo à Riad Sattouf pour le travail qu'il a fait pour en arriver là, bravo à sa psy. Autour j'apprécie aussi de suivre l'histoire de cette famille : les grands-parents qui vieillissent, le devenir des parents syriens.
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