-
Par Anne-yes le 10 Avril 2024 à 08:57
A Reykjavik un vieil homme est retrouvé assassiné à son domicile. Sur place la police trouve des documents qui montrent que la victime, Stephan Thorson, s’intéressait à une vieille affaire de meurtre remontant à 1944. Le corps d’une jeune femme avait été retrouvé derrière le théâtre national qui servait alors d’entrepôt aux troupes d’occupation américaines. A cette époque Stephan Thorson était un jeune soldat canadien de parents islandais qui collaborait avec l’inspecteur Flovent de la criminelle dans les affaires impliquant des Islandais et des soldats. Aujourd’hui c’est l’ex-inspecteur Konrad, nouvellement retraité, qui reprend toute l’enquête de 1944 pour essayer de comprendre comment elle a pu entraîner la mort de Thorson plus de 60 ans après.
Le roman fait des aller-retour entre 1944 et le temps présent. Nous suivons simultanément l’enquête de Flovent et Thorson et celle de Konrad ce qui fait que le lecteur a toujours un pas d’avance sur ce dernier. Le cadre historique est celui de « la situation », l’occupation de l’Islande par les troupes britanniques puis américaines pendant la seconde guerre mondiale. Représentants d’une prospérité inconnue sur place, les soldats américains séduisent facilement de jeunes Islandaises ; des fréquentations très mal vues par la population locale, encore plus quand une jeune femme « dans la situation » se retrouve enceinte hors mariage. C’est aussi une époque de fort exode rural vers Reykjavik.
J’ai apprécié cette lecture et son rythme tranquille, l’ambiance de ce petit pays où quasiment tout le monde se connaît. Passage des ombres est le dernier épisode d’une trilogie dont j’avais déjà lu le premier tome qui m’avait moins plu. Il mettait aussi en scène Flovent et Thorson. Les trois peuvent se lire séparément.
L’avis de Dasola.
Voici une lecture pour le défi Auteurs des pays scandinaves.
8 commentaires -
Par Anne-yes le 7 Avril 2024 à 16:35
Le primatologue et éthologue d’origine néerlandaise Frans de Waal est mort le 14 mars 2024. Il était né en 1948. Au zoo d’Arnhem puis au centre zoologique Yerkes à Atlanta où il s’était installé dans les années 1980 il a étudié le comportement des grands singes qu’il croyait capables de manœuvres politiques, d’empathie, d’intelligence… Il a été accusé de faire de l’anthropomorphisme mais lui pensait que c’était ceux qui refusaient les résultats de ses études qui faisaient de l’anthropodéni.
Sommes nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ? Dans cet ouvrage Frans de Waal traite de la cognition animale. En partant de ses propres études sur les grands singes mais aussi du travail d’autres chercheurs sur d’autres animaux (oiseaux, cétacés, chauves-souris, pieuvres, poissons…) il montre que les animaux sont intelligents : certains utilisent des outils qu’ils améliorent au fil des générations, ils ont des souvenirs, ils se préparent pour des situations à venir. Ils peuvent concevoir beaucoup de choses que les humains conçoivent aussi et l’auteur pense qu’il n’y a pas, en fait, de barrière nette entre intelligence animale et humaine mais plutôt une continuité. J’ai été épatée par ce que montrent certaines expériences ou observations dont j’ai lu le compte-rendu. Ainsi des éléphants d’Afrique à qui on diffuse des enregistrements en plusieurs langues réagissent différemment si l’enregistrement est en massaï -les Massaïs chassent l’éléphant à l’occasion- ou en kamba -les Kambas interviennent rarement dans l’existence des éléphants.
Mais, au-delà d’anecdotes sur l’intelligence des animaux, ce que veut montrer Frans de Waal c’est pourquoi cette question de l’intelligence animale fait blocage chez certains scientifiques (de moins en moins cependant, semble-t-il). Il fait donc une historiographie de l’éthologie -étude biologique du comportement animal- apparue avant la seconde guerre mondiale, qui s’est opposée à ses débuts au béhaviorisme (comportementalisme). Les béhavioristes pensent que les animaux n’ont ni désirs ni intentions. Leur comportement n’est que réaction à des stimuli.
Frans de Waal critique aussi la méthodologie de certaines études, notamment les comparaisons enfants-grands singes. L’enfant est assis sur les genoux d’un de ses parents et testé par un être humain comme lui tandis que le singe est dans une cage et testé par quelqu’un qui n’est pas de son espèce. Pour l’auteur ces comparaisons ne sont pas concluantes car elles « désavantagent considérablement une catégorie de sujets ». Ils faut inventer des tests plus pertinents qui mettent en scène les animaux entre eux ou avec des testeurs auxquels ils soient habitués de longue date.
Pourquoi ce refus ou ce déni de l’intelligence animale ? Frans de Waal y voit de la peur comme lorsqu’en 1980 une conférence de linguistes a « demandé l’interdiction officielle de toute tentative pour enseigner le langage à des animaux ». Il y a aussi un fond de croyance religieuse dans l’idée que « notre corps descend du singe, mais pas notre esprit ».
J’ai trouvé cette lecture passionnante parce qu’elle m’a appris des choses sur l’intelligence animale mais aussi parce qu’elle interroge sur ce qui motive certains comportements humains. Comme le disait Frans de Waal : « J’ai rapproché les singes des humains en remontant un peu les singes, mais aussi en rabaissant un peu les humains ». Cela me paraît tout à fait bienvenu.
4 commentaires -
Par Anne-yes le 2 Avril 2024 à 10:00
L’ancien ministre de la culture (2009-2012, sous Sarkozy) et homme de télévision, Frédéric Mitterrand, est mort le 21 mars 2024. Il était né en 1947 dans une famille bourgeoise du 16° arrondissement de Paris et était le neveu de François Mitterrand. Il a été propriétaire d’une salle de cinéma, a tourné des films et a écrit des livres. A la télé il a animé Etoiles et toiles puis Du côté de chez Fred.
Une adolescence. En 1958 Frédéric Mitterrand a onze ans, il en a 22 en 1969. Entre ces deux dates c’est la 5° République du général de Gaulle. A raison d’un chapitre par année l’auteur raconte les événements politique de cette époque qui l’ont marqué. Il est question des essais nucléaires dans le Sahara, de la guerre d’Algérie, de l’assassinat de Kennedy, de la candidature de François Mitterrand aux élections présidentielles de 1965, de mai 68… Il faut connaître un peu l’histoire pour suivre car ce n’est pas un ouvrage historique, les événements ne sont pas expliqués mais décrits comme l’auteur a pu les voir et les comprendre sur le moment, en parallèle avec des épisodes de sa propre vie.
Frédéric Mitterrand se présente en enfant puis jeune homme tiraillé entre son admiration pour le général de Gaulle et celle pour « tonton François » (François Mitterrand). Le récit est écrit sur un ton faussement naïf, avec des tournures qui pourraient être celles de l’enfance et qui font ressortir les contradictions des adultes. Ainsi du « surgé » de son lycée, communiste, qui passe ses vacances dans l’Espagne de Franco ou de la critique du milieu bourgeois dans lequel il grandit.
C’est amusant et plaisant à lire.
4 commentaires -
Par Anne-yes le 30 Mars 2024 à 10:00
La journaliste et autrice Madeleine Chapsal est morte le 12 mars 2024. Elle était née en 1925. Sa mère était la grande couturière Marcelle Chaumont. Elle a été mariée à Jean-Jacques Servan-Schreiber et a travaillé à l’Express où elle a réalisé des interviews de qualité d’écrivains célèbres. Elle a 48 ans quand elle publie son premier roman mais c’est surtout après son départ de l’Express, à 60 ans, qu’elle s’est mise à écrire en continu. Elle est l’autrice d’une centaine de livres, essais, romans, nouvelles, livres pour enfants, poésie, théâtre.
Le corps des femmes est paru en 2014, l’autrice avait donc près de 90 ans quand elle l’a écrit.
A une foire aux livres, Madeleine Chapsal constate que les femmes sont bien court vêtues. Elle a alors une sorte de révélation féministe : « le corps des femmes appartient aux hommes », ce qu’elle s’attache à démontrer dans ce court essai. Elle a aussi le pressentiment que la domination masculine est intériorisée par les femmes mais elle ne pousse pas assez sa réflexion. Elle questionne trop peu ses propres formatage et aliénation qu’elle projette sur les autres, ce qui donne un ouvrage entaché de préjugés grossophobes, homophobes, sexistes ; confus et horripilant à lire pour qui a un minimum de conscience féministe.
Grossophobie et sexisme : les femmes dévêtues, passe encore si elles sont jeunes et jolies mais si elles sont vieilles ou grosses, quelle horreur ! « ces semi-dévêtues ne sont pas d’appétissantes rivales : les « boudins » n’hésitent pas plus à faire l’offrande de morceaux choisis de leurs corps, fussent-ils sans charme ! » C’est moi qui souligne, je reviendrai sur la rivalité entre femmes.
Homophobie : « Les homosexuels qui parodient la féminité ne tiennent pas pour autant à oublier qu’ils sont des hommes, et leur façon de prendre le dessus sur le corps des femmes consiste à prétendre le dédaigner : « J’ai essayé avec une copine, rien à faire, je n’y arrive pas... »
Madeleine Chapsal a une conception très normative de la féminité dont j’imagine qu’elle est due au fait d’avoir grandi dans le milieu de la haute couture et de n’avoir ensuite guère évolué en dehors de la (grande) bourgeoisie parisienne.
« Où est donc passé ce qui personnifiait la femme : la grâce, la retenue, la mesure, la pudeur ? On ne le repère presque mieux que chez celles qui se réfugient sous une burka…
Ou chez les toutes petites filles ! A ces mignonnes seulement on réserve la joliesse des fanfreluches féminisantes telles que dentelles, volants, chaussures à barrette, nœuds de ruban ! »
Madeleine Chapsal vit les relations entre femmes comme une compétition pour gagner les faveurs masculines. De ce fait elle s’interroge sur le désir des hommes et arrive à la conclusion que c’est bien mystérieux.
« J’en ai eu un premier aperçu en lisant le livre de Klossowski, Roberte ce soir, illustré par des photos de sa femme, la dénommée Roberte. Plus toute jeune elle était photographiée en porte-jarretelles (en « ja-ja », disent-elles maintenant), ses chairs un peu molles débordant sur le haut des bas… Selon mon esthétique, le spectacle ne pouvait que déplaire. Eh bien, pas du tout, le texte disait à quel point ce semi-déshabillage d’une femme « avancée » était sensuel ! »
Je suis choquée par le regard méprisant que l’autrice porte sur le corps de Roberte. Un regard qui l’empêche de voir que le désir, celui des hommes comme celui des femmes, il me semble, ne se nourrit pas seulement d’une apparence fraîche mais aussi de ce qui fait l’individualité de la personne, d’une histoire commune, de l’amour, pourquoi pas ?
Au fond, ce qui transparaît dans cet ouvrage, c’est le dégoût de Madeleine Chapsal pour le corps féminin : « L’affiche du film Le bal des actrices, où l’on voit une douzaine de filles entièrement nues vautrées les unes sur les autres, fait penser à un grouillement de vermine ».
C’est un aperçu sur la façon de penser d’une femme qu’on a éduquée dans l’idée qu’il fallait absolument plaire aux hommes et qui en est arrivée à porter sur les autres femmes le regard même qu’elle déplore que les hommes portent sur elle. Sur ce point elle me fait penser à certains personnages féminins de la saga des Cazalet. A côté de ça, Madeleine Chapsal a mené une vie professionnelle de femme indépendante.
Le livre ne compte que 130 pages mais je pourrais multiplier encore les citations malaisantes. Pourtant, Madeleine Chapsal évoque aussi les féminicides -sans utiliser le mot- à un moment où le concept apparaît tout juste en France. Sa révélation féministe m’apparaît comme étant survenue trop tard pour qu’elle soit en mesure de la mener à bien. Dommage.
Une lecture à éviter ou à prendre avec beaucoup de recul si vous êtes une femme mal à l’aise dans son corps.
6 commentaires -
Par Anne-yes le 27 Mars 2024 à 11:05
La narratrice, Calista, est une femme d’origine grecque d’une cinquantaine d’années qui s’inquiète au sujet de ses filles, des jumelles de 19 ans. Elle se remémore alors sa propre jeunesse quand, à peine âgée de 20 ans, elle a fait par hasard la connaissance de Billy Wilder qui l’a engagée comme traductrice sur le tournage en Grèce de Fedora, son avant-dernier film. Une expérience qui va marquer la vie de Calista.
Nous suivons donc Calista qui découvre le cinéma, l’amour et le brie de Meaux. Les courts passages dans son présent de femme adulte sont de peu d’intérêt. Le récit est surtout l’occasion de nous présenter Billy Wilder et sa façon de travailler, son amitié avec son co-scénariste Iz Diamond, le traumatisme lié à la disparition de sa mère, victime de la shoah. Les personnages sont sympathiques, il y a des passages touchants, d’autres amusants et la lecture est plutôt plaisante mais clairement c’est une œuvre mineure de Jonathan Coe qui sera vite oubliée.
8 commentaires -
Par Anne-yes le 23 Mars 2024 à 10:00
Berlin, novembre 1975. Un cadavre de jeune femme est découvert en pleine nuit pluvieuse. Il a été découpé et les organes disposés autour du corps, la signature de celui que la police surnomme le Tiergarten Metzger, auteur maintenant de huit meurtres et toujours insaisissable. Chargé de l’enquête, l’inspecteur Viktor Eberhard aimerait bien résoudre l’affaire avant que la police politique chinoise ne se l’attribue. La police politique chinoise ? C’est que nous sommes dans une uchronie où la Chine est maîtresse de l’Europe contre laquelle elle a gagné une guerre dans les années 1950, aidée en cela par un virus meurtrier qui en a décimé les populations.
Dans un Berlin où la propagande de Mao est omniprésente et la pluie quasi permanente, l’inspecteur Eberhard achète ses nouilles chinoises à un food-truck et consacre le gros de son temps à son enquête. Il peut compter sur sa mémoire photographique et son attention aux petits détails. Ce flic désabusé cache une blessure intime derrière une façade de raideur. Il ne fait pas de politique et a toujours refusé de s’intéresser au combat de la résistance.
J’ai trouvé cette bande dessinée post-Covid habilement menée. Les craintes liées à la récente pandémie sont bien exploitées : épidémie meurtrière venue de Chine, Chine qui fournit ensuite le vaccin en même temps qu’elle colonise le vieux continent -ici il s’agit de hard et non pas de soft power. L’enquête sur le tueur en série et le flic solitaire m’apparaissent comme des classiques du genre policier. C’est amusant de les avoir placés dans ce cadre original. Le dessin est efficace et soutient bien le texte. Il est entièrement en noir et blanc, le trait est fin. C’est une lecture qui m’a plu.
4 commentaires -
Par Anne-yes le 20 Mars 2024 à 11:51
En Yougoslavie, en septembre 1989, Silva, 17 ans, a disparu à l’issue de la fête de son village, une disparition qui coïncide avec le début de l’éclatement du pays. Au milieu des troubles, l’affaire est classée. Au fil des années seul Mate, frère jumeau de Silva, continue de chercher sa sœur, persuadé qu’elle est toujours en vie, à l’étranger.
Le roman court de 1989 à 2017. L’enquête policière prend peu de place, c’est surtout une étude des conséquences d’une disparition inexpliquée pour les proches. Conséquences sur la famille marquée à tout jamais, dont la vie s’est comme arrêtée le 23 septembre 1989 ; sur les petits amis, soupçonnés tour à tour ; sur les habitants du village de Misto. L’analyse psychologique est fort bien menée. En toile de fond, le passage de la Yougoslavie à la Croatie avec la guerre civile, la disparition d’un cadre de vie et de ses valeurs, la découverte de la société de consommation, le développement du tourisme et la spéculation immobilière. J’ai trouvé tout cela très bien fait et prenant et j’ai dévoré ce roman en deux jours.
8 commentaires -
Par Anne-yes le 17 Mars 2024 à 12:01
Le 4 mai 1886 à Haymarket square, Chicago, un meeting politique rassemble des centaines de militants et grévistes. Alors que la foule commence à se disperser pacifiquement, la police charge les manifestants et une bombe est jetée sur les forces de l’ordre. Il y a des morts. Suite à cet attentat, 8 leaders anarchistes sont lourdement condamnés. Il est prouvé qu’aucun ne fut le lanceur de bombe. Encore aujourd’hui les historiens ne sont pas sûrs de qui a jeté l’engin.
Rudolph Schnaubelt, narrateur du roman, se présente dès la première page comme l’auteur de l’attentat. Pauvre mais éduqué, ce jeune homme d’origine allemande a émigré pour les Etats-Unis où il travaille comme journaliste pigiste à Chicago, essentiellement dans la presse de langue allemande. Sensible aux dures conditions de vie et de travail des ouvriers, Rudolph fréquente les rassemblements militants. Il y fait son éducation politique et la connaissance de Louis Lingg, un jeune anarchiste charismatique avec qui il va nouer une relation d’amitié très forte.
La bombe est paru en 1909. Frank Harris (1856-1931) était un journaliste d’origine britannique (je n’ai pas trouvé d’informations sur ses idées politiques. A lire sa fiche Wikipédia il apparaît comme une sorte d’aventurier). Le roman dénonce les conditions de travail des ouvriers étrangers aux Etats-Unis à la fin du 19° siècle. Ils sont nombreux à Chicago où ils participent au développement de l’industrie. Ils risquent leur vie pour des salaires de misère et sont renvoyés sans indemnités en cas de maladie, accident du travail ou si on a besoin de moins de main d’oeuvre. Il est question des abattoirs de Chicago et de leurs conditions d’hygiène indignes. Cela m’a fait penser à ce que j’avais lu dans La jungle qui, à mon avis, est beaucoup plus réussi que le présent roman. Les grèves et manifestations ouvrières sont réprimées avec violence, violences policières approuvées et parfois même encouragées par la justice, la presse à grand tirage et l’opinion publique. La xénophobie et la peur de l’anarchisme confinent à l’hystérie collective lors du procès de l’attentat du 4 mai.
C’est la description du procès qui m’a le plus intéressée. Tous les personnages nommés sont des protagonistes historiques des événements et j’ai d’ailleurs trouvé que l’aspect historique était beaucoup mieux traité que le volet romanesque. Je pense notamment à la relation amoureuse entre Rudolph et sa bonne amie Elsie qui m’a semblé parfois niaise et traversée de préjugés sexistes. Le questionnement sur la place des femmes est absent de ce roman. En matière de sentiments je trouve beaucoup plus juste ce qui est dit de l’admiration/adoration de Rudolph pour Louis Lingg.
Une lecture qui entre dans le défi Lire sur le monde ouvrier organisé par Ingannmic.
6 commentaires -
Par Anne-yes le 13 Mars 2024 à 11:24
Les grands-parents maternels d’Agnès Desarthe étaient des Juifs de Bessarabie (ouest de l’URSS) émigrés en France dans les années 1930, survivants de la shoah. A 65 ans ils avaient acheté un appartement dans une tour de la rue du Château des rentiers, dans le 13° arrondissement de Paris, et convaincu leurs amis d’en faire autant, constituant ainsi une petite communauté de fait dont l’autrice se souvient avec nostalgie. Réfléchissant à son propre vieillissement, cette dernière fantasme la création d’un logement participatif -qu’elle appelle Ehpad autogéré ou phalanstère- pour elle et ses amis.
Cette autofiction mêle souvenirs d’enfance, histoire familiale et considérations sur le vieillissement.
Le grand-père de l’autrice n’est en fait que le second mari de la grand-mère, le vrai grand-père a été assassiné à Auschwitz et la mère d’Agnès Desarthe a été une enfants cachée. Comment ces traumatismes laissent-ils leur marque sur les générations suivantes qui n’ont pas connu la shoah ? J’ai trouvé cette réflexion intéressante.
En ce qui concerne le sujet du bien vieillir, mon avis est plus mitigé, la réalisation m’a semblé inégale. Il y a des anecdotes concernant des personnes âgées qui sont plaisantes à lire mais s’oublieront vite. Il y a une réflexion qui est parfois intéressante mais manque souvent d’approfondissement à mon goût. Il y a des dialogues entre Agnès Desarthe et elle-même qui peuvent être un peu trop longs.
Le résultat est un livre facile à lire dont j’ai apprécié l’écriture fluide et les jolies formules mais qui ne me marquera guère.
L'avis de Je lis, je blogue, celui de Keisha et de Luocine.
4 commentaires -
Par Anne-yes le 10 Mars 2024 à 18:11
Nivôse ou Géthen est une planète glacée située à des dizaines d’années lumières de la terre. Ses habitants sont des personnes non binaires et asexuelles la plupart du temps (paru en 1969 le roman parle d’hermaphrodites asexués ou d’androgynes). Quelques jours par mois ces habitants « entrent en kemma » : ils adoptent alors, aléatoirement, des caractères masculins ou féminins et s’accouplent avec qi est aussi dans la même situation. Envoyé de la planète terre, Genly Aï a débarqué deux ans plus tôt sur Nivôse avec pour mission de convaincre les Gétheniens d’adhérer à l’Ekumen, une confédération de planètes. Pétri de préjugés sexistes et misogynes (« un rôle typiquement féminin : charme, tact, manque de solidité, subtilité, finasserie ») Aï est très mal à l’aise dans cette société où l’on n’est pas jugé selon son genre mais « uniquement comme être humain ». Pour lui « c’est une expérience bouleversante ». Il ne m’est, au début, pas très sympathique. Ce qui est amusant c’est que Ursula K. le Guin montre bien comment chacun est le monstre de l’autre. Vu comme « continuellement en chaleur » Aï passe, aux yeux des Gétheniens, pour un pervers sexuel.
Devenu un élément dans un conflit politique à la tête de l’État de Karhaïde, Aï doit fuir pour sauver sa vie. Il est accompagné d’Estraven, proscrit, ancien premier ministre. Les deux personnages vont traverser ensemble une calotte glaciaire, périple fantastique qui donne lieu à des descriptions magnifiques de paysages polaires. Cette expérience de survie en conditions extrêmes va être l’occasion pour Aï et Estraven d’apprendre à se connaître et à s’apprécier malgré leurs différences. L’autrice explore les incompréhensions qui peuvent naître du fait de modes de pensée différents.
Avec ce roman Ursula K. le Guin critique de façon très subtile le capitalisme, le patriotisme ou la destruction de l’environnement. C’est fait de façon fine, sans jamais nous asséner de leçon. J’ai apprécié aussi la réflexion philosophique, certains aspects désuets du futurisme (on communique instantanément d’une planète à l’autre grâce à des ordinateurs qui fonctionnent avec des cartes perforées) et la belle écriture. Le récit comporte plusieurs narrateurs, ce qui donne plusieurs compréhensions des événements, et inclut des légendes de Géthen.
C’est un roman riche que j’ai trouvé excellent à tous points de vue. De Ursula K. le Guin je n’avais lu jusqu’à présent que Les dépossédés qui ne m’avait guère emballée et je n’avais pas prévu de relire cette autrice. Cependant je n’ai pas pu résister à l’attrait du petit concours organisé par Sacha que je remercié de cette belle découverte.
7 commentaires
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique