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David Graeber et David Wengrow, Au commencement était…, Les liens qui libèrent
Une nouvelle histoire de l’humanité
Je viens enfin à bout de ce gros pavé de plus de 700 pages que j’ai traîné tous l’été à tel point qu’il s’est à présent désolidarisé en plusieurs morceaux. Les auteurs, de sensibilité anarchiste, se sont donné pour objectif d’apporter une réponse nouvelle à la question souvent posée de l’origine des inégalités sociales. Dans ce but ils montrent que c’est une erreur de croire que l’histoire de l’humanité à été linéaire. On serait passé des chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs avec la fameuse révolution néolithique, sorte de point de non retour. Avec l’agriculture viendraient la propriété privée -et donc les inégalités- les villes et enfin l’État. En fait, nous disent-ils, les archéologues et anthropologues occidentaux ont trop souvent analysé les sociétés qu’ils étudiaient au prisme de celle dans laquelle ils vivaient. Mais les êtres humains ont été, à travers les temps, capables d’une grande imagination sociale et ce n’est pas parce qu’un mode de vie n’existe plus qu’il n’a jamais existé. Les auteurs prennent leurs exemples chez des peuples de la préhistoire, de l’antiquité ou chez des peuples premiers.
J’ai été particulièrement intéressée par ce qui est dit de ces organisations sociales originales et diverses. J’ai trouvé fascinante la variété qui nous est présentée. J’apprends ainsi que certains peuples ont été socialement et politiquement organisés de façon saisonnière : vivant une partie de l’année en petits groupes autogérés, l’autre en grands rassemblements sous l’autorité d’un chef tout puissant capable d’organiser la construction de monuments d’envergure (Stonehenge). Les grandes vacances à la française sont présentées comme une survivance de cette organisation.
L’inéluctabilité de la révolution néolithique est remise en question : des peuples qui auraient pu le faire ont refusé d’adopter l’agriculture, d’autres l’ont fait puis sont revenus en arrière. Dans le Croissant fertile le passage à l’agriculture est un processus qui dure 3000 ans, elle est d’abord saisonnière à la saison des pluies en complément de la chasse et de la cueillette. Enfin l’agriculture n’est pas née dans le seul Croissant fertile. Il existe de nombreux berceaux indépendants de la domestication des plantes et des animaux et on en découvre encore de nouveaux.
J’apprécie que les auteurs aient à coeur de questionner le regard occidentalocentré des historiens et anthropologue du temps passé. C’est une critique décoloniale que j’ai croisée à plusieurs reprises dans mes lectures cette année (Les femmes aussi sont du voyage, Une femme à la mer, L’exploration du monde) et que je trouve très intéressante. Il existe de sérieuses raisons de penser, nous disent les auteurs, que les penseurs des Lumières ont puisé les idées de liberté individuelle et d’égalité dans les récits de débats avec des Amérindiens écrits par des missionnaires.
Il est aussi question dans cet ouvrage des premières villes, qui sont plus anciennes qu’on ne le croyait et de la façon dont elles étaient gérées, qui n’était pas nécessairement verticale ; de sociétés qui s’organisent pour éviter les différences sociales.
C’est une lecture que j’ai appréciée. Si les auteurs revendiquent d’avoir placé au coeur de leur réflexion des civilisations insolites, habituellement considérées comme marginales, leurs thèses sont étayées par de nombreuses sources et donnent à réfléchir. C’est une mise au point bienvenue sur l’état de la recherche contemporaine en archéologie.
L’avis de Sunalee.
Avec cette lecture je participe aux défis Pavés et Epais de l’été.
Tags : Essai, Histoire, Défi/Lecture commune
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Commentaires
C'est le type de sujet qui me passionne mais 700 pages !... Ta technique de fractionnement me semble pas mal dans ces circonstances.
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Lundi 11 Septembre 2023 à 08:49
Le fractionnement physique du bouquin n'est pas de ma volonté. C'est un malheureux accident lié à la manipulation d'un volume de 5 cm d'épaisseur. J'ai fractionné la lecture sur tout l'été, par contre, en prenant des notes.
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3keishaLundi 11 Septembre 2023 à 07:13Déja noté aussi suite à l'avis de Miss Sunalee, et sur mes étagères, aux côtés de Sapiens d'Harari, dont la vision est remis en cause par cet ouvrage si j'ai bien compris. Bon je n'ai lu pour l'instant aucun des deux, ils ont comme point commun d'être de sacrés pavés !
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Mercredi 13 Septembre 2023 à 08:46
En effet, tu as bien compris. C'est notamment -mais pas seulement - autour de la question de la révolution néolithique. À mon avis il vaudrait mieux commencer par le Harari qui est antérieur.
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Mon exemplaire s'est également décomposé en plusieurs morceaux, quel dommage !
Un an après ma lecture, ce livre reste toujours dans mon esprit. J'ai vraiment beaucoup aimé leur vision du monde et de son histoire.
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Dimanche 17 Septembre 2023 à 08:19
C'est fascinant cette multitude de civilisations possibles et cette imagination sociale.
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Bonjour Agnès
Merci pour cette troisième participation!
C'est compliqué, l'Histoire. mais, pour être enseignée aux gamins, il faut qu'elle soit simple... voire simplifiée.
Alors c'est vrai que le "croissant fertile", c'est surtout l'orge et le blé (les céréales consommées en Europe). Mais ailleurs,, ce sont le riz, le maïs, le mil... qui ont été "domestiqués" (ou bien, comme je l'ai parfois lu, qui ont "domestiqué" les hommes)!
D'autres auteurs insistent sur l'importance de sociétés matriarcales passées... Les civilisations sont mortelles (comme disait l'autre). On se souvient essentiellement de celles qui ont lalaissé des écrits, et/ou qui ont triomphé des autres...
Les sociétés "possibles" et/ou "alternatives" qui ont disparu, je doute qu'elles puissent revenir dans un monde à 8, bientôt 10 milliards d'êtres humains. Dommage...
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Je n'en ai pas parlé dans mon compte rendu mais il est question aussi de la place et du rôle des femmes dans les premières civilisations.
Les auteurs présentent de nombreuses civilisations qui ne connaissaient pas l'écriture. Les avancées de la science permettent aux archéologues de tirer de nombreuses informations d'artefacts ou restes humains. L'exploitation de tombes permet d'en savoir beaucoup sur une civilisation, semble t'il.
Les auteurs récusent l'argument du trop grand nombre d'habitants, ils citent des exemples de villes très peuplées sans gouvernement vertical.