• Gitta Sereny, Au fond des ténèbres, Texto

     

    Un bourreau parle : Franz Stangl, commandant de Treblinka

     

    J'avais beaucoup apprécié le travail mené par Gitta Sereny dans Une si jolie petite fille et j'ai donc emprunté Au fond des ténèbres, disponible aussi à ma bibliothèque. Paru en 1974, cet ouvrage est le troisième de l'auteure.

     

     

    En 1970 l'Allemagne juge Franz Stangl qui commença sa carrière de serviteur de la politique nazie d'extermination au programme T4 (assassinat des handicapés) puis fut commandant des centres de mise à mort de Sobibor puis de Treblinka. Il est condamné à la prison à vie pour complicité dans l'assassinat de 900 000 personnes à Treblinka. Après le verdict, Gitta Sereny obtient l'autorisation de s'entretenir avec lui. Son objectif est de comprendre "comment des êtres humains apparemment normaux [ont] été amenés à perpétrer de tels crimes". Les entretiens s'étendent sur 6 semaines. Stangl est mort le lendemain du dernier. Pour réaliser ce "livre fondamental et jusqu'ici insurpassé", comme le dit Annette Wieviorka dans sa préface à Je suis le dernier Juif, Gitta Sereny a aussi rencontré de nombreux témoins, bourreaux ou survivants, familles, et étudié des documents d'archives.

     

     

    On découvre un personnage assez pitoyable qui a intériorisé les préjugés antisémites (notamment sur la richesse des Juifs) si bien qu'il peut jurer à son interlocutrice qu'il n'est absolument pas antisémite alors même qu'il lui ressert ces stéréotypes. En ce qui concerne sa carrière, Franz Stangl se présente comme agi et non acteur : les circonstances l'ont amené là, il n'en est en rien responsable et une fois engagé il ne pouvait pas refuser sans mettre en danger sa vie et sa famille. Il s'est contenté de faire son travail consciencieusement mais c'était un travail administratif et il n'a donc pas de sang sur les mains. Gitta Sereny recoupe les informations pour déconstruire ces défenses, mettre Stangl face à ses contradictions et faire apparaître "l'homme double qu'il [est] devenu pour survivre". Il me semble que celui que Himmler surnommait "notre meilleur commandant" représente parfaitement la banalité du mal.

     

     

    Sur le fonctionnement du camp, les conditions de survie des déportés sélectionnés pour faire le travail et leurs relations avec les gardiens, il y a des témoignages fort intéressants de survivants parmi lesquels je distingue celui de Richard Glazar, un homme intelligent dont je trouve les analyses très pertinentes.

     

     

    Enfin, Gitta Sereny a aussi été amenée à interroger le comportement de l'Eglise catholique et du Vatican face au nazisme, à l'assassinat des handicapés et à la shoah (Stangl était Autrichien et sa femme une catholique pratiquante) : réactions tardives et peu véhémentes aux massacres et -à partir de 1945- aide apportée aux nazis qui souhaitaient quitter l'Europe. Stangl en a profité et a vécu au Brésil en famille et sans se cacher jusqu'au moment où il a été "découvert" par le chasseur de nazis Simon Wiesenthal. Là aussi l'auteure démonte les excuses qui voudraient que ces agissements n'aient été que le fait de quelques individus : "La structure, la discipline particulière et le paternalisme foncier de l'Eglise catholique empêchent pratiquement tout prêtre catholique (comme tout autre religieux) d'accomplir n'importe quelle action de poids à l'insu de son confesseur et de son supérieur hiérarchique. (...) Il est improbable (...) -sinon impossible- que des prêtres aient pu aider individuellement à Rome, à l'insu de leurs supérieurs, des criminels nazis à fuir au-delà des mers". Il me semble que tout cela n'a pas changé quand je pense aux récents scandales de pédophilie.

     

     

    C'est donc un ouvrage passionnant et instructif à plus d'un point quoique parfois un peu dur du fait de son contenu. Encore une fois je suis admirative devant le travail de qualité mené par Gitta Sereny, sa capacité à poser les questions justes, à aller au fond des choses tout en gardant un regard objectif et à susciter ainsi la confiance de ses interlocuteurs. Dans la foulée j'ai relu Je suis le dernier Juif, de Chil Rajchman, survivant de Treblinka. L'optique n'est pas du tout la même car dans ce témoignage "à chaud" on est précisément au fond des ténèbres mais ça vient bien compléter, de même que la préface d'Annette Wieviorka.

     


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  • Commentaires

    1
    keisha
    Jeudi 30 Juin 2016 à 07:25

    J'ai tellement apprécié Une si jolie petite fille (un sujet fort la aussi) que celui ci me dit beaucoup (mais tranquillement)

      • Jeudi 30 Juin 2016 à 17:25

        Je vais m'intéresser aussi à ses autres oeuvres, c'est vraiment une auteure remarquable.

    2
    Samedi 2 Juillet 2016 à 11:28

    Oui, ca a l'air d'un témoignage passionant. As-tu la mort est mon métier de Robert Merle ? Ca parle aussi d'un directeur de camp de concentration mais ca a été fictionnalisé.

      • Samedi 2 Juillet 2016 à 14:03

        Non, je n'ai pas lu ça.

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