• Philippe Sands, Retour à Lemberg, Le livre de poche

     

    Philippe Sands, Retour à Lemberg, Le livre de pochePhilippe Sands est un juriste international spécialisé dans la défense des droits humains et qui a travaillé pour le Tribunal Pénal International. En 2010 il est invité à Lviv, en Ukraine, pour y faire une conférence sur ses travaux concernant le génocide et les crimes contre l'humanité. Avant la seconde guerre mondiale la ville s'appelait Lemberg et elle appartenait à la Pologne. C'est à l'université de Lemberg que Hersch Lauterpacht (1897-1960), créateur du concept de crime contre l'humanité, et Raphaël Lemkin (1900-1959), inventeur de la notion -et du mot- de génocide, ont fait leurs études. C'est aussi à Lemberg qu'est né Léon Buchholz (1904-1997), grand-père maternel de l'auteur. La conférence est pour Philippe Sands l'occasion d'enquêter et d'en apprendre plus sur ces trois hommes. Le quatrième personnage important du livre est Hans Frank (1900-1946), Allemand et nazi, gouverneur général de la Pologne occupée et qui fut condamné à mort au procès de Nüremberg.

     

     

    Léon Buchholz ne parlait pas de sa jeunesse et de sa famille. Sa fille, la mère de l'auteur, était ignorante de beaucoup de choses concernant l'histoire de ses parents et la sienne propre quand elle était toute petite. Léon est né à Lemberg mais, quand il a dix ans, son père meurt et sa mère s'installe alors à Vienne où vit déjà sa fille aînée. Après l'Anschluss, en 1938, Léon quitte l'Autriche pour Paris. Sa fille l'y rejoint en 1939, sa femme en 1941, à la veille de la fermeture des frontières au Juifs. Pourquoi ces départs en ordre dispersé ? En s'appuyant sur des documents de famille conservés par sa mère, en les complétant par des recherches en archives et en faisant appel à une détective privée, l'auteur découvre une nombreuse famille presque entièrement disparue lors de la shoah, un secret de famille et l'existence d'une Miss Elsie Tilney qu'il a fait reconnaître plus tard comme Juste parmi les nations.

     

     

    L'objet de l'ouvrage est aussi de présenter un aperçu de l'histoire de la défense des droits humains par le droit international. Les prémices en remontent aux traités de la première guerre mondiale mais les choses ont surtout avancé à partir du moment où les Alliés ont eu connaissance des crimes nazis. Je pensais que le génocide était "le crime des crimes" et se situait, en matière de gravité, un cran au-dessus du crime contre l'humanité. En fait ce n'est pas ainsi que l'ont pensé les concepteurs de ces notions. Les juristes juifs Lauterpacht et Lemkin ont cherché tous les deux une réponse à la même question : "comment le droit peut-il faire en sorte de prévenir les assassinats de masse", comment faire pour que les Etats ne puissent plus maltraiter impunément leurs populations ? Pour Lauterpacht il faut placer la protection de l'individu au coeur de l'ordre juridique international en s'appuyant sur une charte ou des conventions des droits de l'homme. Pour Lemkin les Arméniens, les Juifs, ont été assassinés parce qu'ils étaient Arméniens ou Juifs. Il faut donc protéger les groupes. Ces deux conceptions se sont affrontées. Les défenseurs de la notion de crime contre l'humanité pensaient que parler de génocide c'était adopter une pensée biologisante et enfermer les individus dans leur groupe, ainsi que l'avaient fait les bourreaux. Ils craignaient aussi une concurrence entre victimes. L'opposition entre ces deux conceptions est due aussi aux personnalités de leurs auteurs : Lauterpacht était rigoureux tandis que Lemkin était plus expansif, avait tendance à embellir des épisodes de sa vie et parlait parfois à tort et à travers, choses pas toujours appréciées chez les juristes.

     

     

    Lauterpacht et Lemkin ont chacun tenté de faire prévaloir leur conception lors du procès de Nüremberg qui se déroule de novembre 1945 à octobre 1946. Les principaux chefs nazis encore en vie -et sur lesquels on a pu mettre la main- y sont jugés par les Alliés américains, britanniques, français et soviétiques. Les accusations de crime contre l'humanité et de génocide y apparaissent toutes les deux bien que la seconde ne soit utilisée que de façon très limitée. Ce procès -et auparavant son organisation- apparaît comme un moment clé de la mise en place d'une justice internationale. Les débats d'idées qui ont accompagné la construction de cette justice, la quantité de travail et l'importance du droit sont bien montrés.

     

     

    Au cours de son enquête Philippe Sands a visité les lieux où les événements dont il parle se sont déroulés et il a tenu à rencontrer des témoins quand ils étaient encore en vie ou des personnes qui les avaient connus. Sa rencontre la plus intéressante est celle avec Niklas Frank, le fils de Hans Frank, avec qui il s'est lié d'amitié. Niklas Frank est un des premiers enfants de dirigeant nazi à avoir écrit un livre très critique sur son père. Il dit : "Je suis contre la peine de mort, sauf pour mon père". L'auteur a aussi beaucoup échangé avec Horst von Wächter, le fils de Otto von Wächter, un autre criminel nazi, mais qui lui cherche à excuser son père. Quels que soient ses interlocuteurs Philippe Sands apparaît comme à l'écoute et capable d'empathie mais sans renoncer à son but. C'est son talent de s'appuyer sur les histoires personnelles de ses personnages, sur l'histoire de sa propre famille, sur les péripéties de son enquête et sur ses rencontres pour rendre vivant et accessible le récit de la construction de la justice internationale. J'ai trouvé cette lecture fort intéressante.

     

    L'avis de Keisha.


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  • Commentaires

    1
    keisha
    Jeudi 20 Février 2020 à 07:45
    keisha

     penses bien que j'ai fort aimé cette lecture, pas toujours facile, mais passionnante!

      • Jeudi 20 Février 2020 à 11:28

        Passionnante, en effet. C'est le genre de livre qui aide à comprendre des notions complexes.

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