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    Anne Perry, Du sang sur la Tamise, 10-18

     

    Londres, 1868. William Monk, chef de la brigade fluviale, est témoin de l'explosion d'un bateau mouche sur la Tamise. Il y a près de 200 victimes. Face à ce qui apparaît comme un attentat, l'opinion publique choquée demande une arrestation et vite. Avant même le début de l'enquête l'affaire est retirée à la fluviale et confiée à la police métropolitaine. Quand le peu recommandable Habib Beshara est arrêté, il apparaît comme le coupable idéal. Un peu trop peut-être. N'y aurait-il pas en haut lieu des personnes désireuses de cacher la vérité ?

     

    J'ai bien aimé cette enquête. Les scènes de procès qui auparavant me semblaient parfois longues m'accrochent beaucoup plus depuis que j'ai lu L'affaire de Road hill house et La déchéance de Mrs Robinson. Je comprends mieux aussi ce que pouvait être l'influence de la presse à l'époque. Comme toujours j'ai eu plaisir à retrouver les personnages que je connais et fréquente depuis longtemps au point que ça m'a donné envie de relire le premier épisode de la série, que je commence dans la foulée.


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    Arundhati Roy, Le Dieu des Petits Riens, Folio"Ceci est une oeuvre de fiction. Tous les personnages sont imaginaires. La situation des fleuves, des passages à niveau, des églises et des crématoriums n'est pas exacte."

     

    A Ayemenem, village près de Cochin dans le Kérala, vit une famille élargie de propriétaires terriens et notables du lieu. L'histoire est vue à travers les yeux des jumeaux Rahel (la fille) et Estha (le garçon), âgés de huit ans. Leur mère, Ammu, a quitté son mari alcoolique pour revenir chez ses parents après un mariage qu'ils n'avaient pas approuvé et qui avait été pour elle un moyen de fuir sa famille. Autant dire qu'elle n'a pas été accueillie à bras ouverts et qu'on lui fait sentir à l'occasion qu'on la tolère par obligation. Quand on découvre qu'Ammu a une liaison avec Velutha, un Intouchable, un drame éclate qui va bouleverser la vie des jumeaux.

     

    Le présent de la narration se situe en fait 23 ans plus tard et l'histoire fait des aller-retour entre cet aujourd'hui et le passé. Très vite des éléments du drame à venir sont annoncés au lecteur et on comprend que cela ne va pas bien se terminer. C'est comme dans un spectacle de kathakali, un théâtre dansé originaire du Kérala et dont il est plusieurs fois question dans le roman :

     

    "Le kathakali sait depuis longtemps que le secret des Grandes Histoires c'est précisément de n'en point avoir. Les Grandes Histoires sont celles que l'on a déjà entendues et que l'on n'aspire qu'à réentendre. Celles dans lesquelles on peut entrer à tout moment et s'installer à son aise. Elles ne cherchent ni la mystification par le biais du suspense et de dénouements inattendus, ni la surprise de l'incongru. Elles sont aussi familière que la maison qui vous abrite. Que l'odeur d'un amant. On les écoute jusqu'au bout, alors qu'on en connaît la fin. De même que l'on vit comme si l'on ne devait jamais mourir, tout en sachant pertinemment qu'on mourra un jour. Dans les Grandes Histoires, on sait d'avance qui vit, qui meurt, qui trouve l'amour et qui ne le trouve pas. Mais on ne se lasse jamais de le réentendre."

     

    Alors, est-ce que Le Dieu des Petits Riens est une Grande Histoire ?

    Pour moi en tout cas c'est une relecture, celle de septembre même si octobre est déjà bien entamé. Mon édition date de 2000, ma première lecture date sans doute de cette époque, je n'en avais pratiquement aucun souvenir si ce n'est que ça m'avait plu. J'apprécie encore aujourd'hui. Je trouve ça fort bien écrit. Il y a des images bien trouvées : "Le ventilateur paresseux épluchait l'air lourd et peureux en une interminable spirale qui retombait au sol comme une pelure de pomme de terre interminable." et de belles descriptions des paysages. J'avais fait une halte dans le Kérala lors de mon voyage en Inde en 2005 et un petit tour dans les backwater, les canaux qui sillonnent l'arrière-pays. Je les retrouve dans ma lecture :

     

    "Au-delà du marais qui sent l'eau stagnante, ils passent devant des arbres vénérables recouverts de vigne vierge. Des maniocs gigantesques. Des poivriers sauvages. Des cascades violettes d'acuminus.

    Devant un scarabée bleu foncé en équilibre sur un brin d'herbe qui ne plie pas sous le poids.

    Devant des toiles d'araignées géantes qui ont résisté à la pluie et courent comme des rumeurs colportées d'un arbre un autre.

    Une fleur de bananier dans son fourreau de bractées bordeaux s'accroche à un arbre rugueux aux feuilles arrachées. Joyau offert par un écolier dépenaillé. Bijou de la jungle veloutée."

     

     Arundhati Roy, Le Dieu des Petits Riens, Folio


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    Kate Summerscale, La déchéance de Mrs Robinson, 10-18Après L'affaire de Road hill house, Kate Summerscale s'attaque à une autre affaire qui secoua la bonne société victorienne : le divorce d'Henry et Isabella Robinson. C'est une histoire vraie, ce n'est pas un roman.

     

     

    En 1844 Isabella Walker, veuve avec un bébé, épouse l'ingénieur Henry Robinson. Elle ne l'aime pas mais il faut bien qu'elle se case, lui s'intéresse surtout à sa dot qui va lui permettre de développer son entreprise. Bien vite Isabella est insatisfaite et malheureuse. Elle s'intéresse à la littérature, à la médecine, sujets qui laissent froid Henry, de surcroit fréquemment absent pour affaires. A Edimbourg où la famille réside, Isabella fréquente les Lane. Edward Lane est un jeune médecin séduisant qui la fait fantasmer. Dans son journal intime elle rapporte leurs rencontres, leurs conversations, les rêves qu'elle fait de lui, ses espoirs que leur amitié évolue puis le premier baiser, la relation intime, enfin. Peu après Henry met la main sur ce journal et va s'en servir pour demander le divorce.

     

     

    Dans la première partie de son étude Kate Summerscale introduit le lecteur auprès des intellectuels progressistes du milieu du 19° siècle. Dans l'entourage des Lane gravitent en effet Charles Darwin et George Combe, pionnier de la phrénologie en Grande-Bretagne. La phrénologie c'est cette tentative de déduire le caractère des gens d'après la forme de leur crâne. D'après ce que je comprends elle m'apparaît comme un premier pas vers la psychanalyse sauf que les phrénologues sont restés à la surface des choses, si je puis dire, tandis que Freud est allé à l'intérieur. La phrénologie en tout cas a fait perdre la foi à Isabella.

     

    Dans une lettre à Combe elle explique que "les gens comme lui, qui ont accompli de grandes choses, ont la possibilité de "se consoler avec le sentiment de n'avoir pas vécu en vain", mais pour elle et d'innombrables autres femmes, "qui ne font qu'exister sans bruit, qui (pour certaines) élèvent une famille, suivant en cela l'exemple inutile de celles qui les ont précédées, quelle motivation, quelle espérance peut-on trouver, qui soient suffisamment puissantes pour leur permettre de faire face aux épreuves, aux séparations, au grand âge et à la mort même ?"

     

    Malgré tout je constate que la phrénologie de Combe est entachée de préjugés sexistes et racistes. Il pense ainsi que l'amour de l'approbation, bien développé chez Isabella, est une faculté "souvent prononcée chez les femmes, les Français, les chiens, les mulets et les singes."

     

     

    Dans cette première partie on fait la connaissance d'un autre personnage fort intéressant. Il s'agit de George Drysdale, frère de Mme Lane. A l'âge de 15 ans ce pauvre garçon a découvert fortuitement la masturbation et se masturbe bientôt deux à trois fois par jour. Pour se débarrasser de son "vice" "il subit une série d'opérations destinées à lui cautériser le pénis -c'est-à-dire à en détruire les terminaisons nerveuses en introduisant dans l'urètre une fine tige métallique enduite d'une substance caustique. Il se soumit sept ou huit fois à cette intervention." (Bien que n'étant pas équipée d'un pénis, j'en ai mal pour lui!) George consulte enfin le dr Claude François Lallemand, spécialiste français de la lutte contre l'onanisme qui lui suggère d'essayer le coït. Et ça fonctionne ! George étudie ensuite la médecine et publie des livres dans lesquels il préconise des relations sexuelles épanouissantes pour tous, hommes et femmes et donc l'usage de la contraception. Tout ceci avec pour objectif de lutter contre la masturbation, considérée comme une maladie mentale à cette époque. Encore une fois un mélange d'ouverture d'esprit bienvenue et de résidus du passé.

     

     

    La deuxième partie présente le déroulement du procès en divorce intenté par Henry Robinson contre son épouse et qui a lieu en 1858. Henry attaque aussi Edward Lane à qui il demande des dommages et intérêts pour adultère. La principale preuve à charge présentée et qui va être disséquée tout au long des audiences est le journal d'Isabella. Pour préserver la réputation d'Edward (à qui des maris confient leur femme en cure d'hydrothérapie) celle-ci et ses avocats adoptent la ligne de défense suivante : il ne s'est rien passé de répréhensible entre Edward et Isabella. Le récit qu'elle en fait dans son journal est entièrement fantasmé. Edward et ses soutiens vont s'engouffrer dans cette voie. La déchéance de Mrs Robinson est en marche. Tous ceux avec qui elle discutait littérature ou science, mais qui sont avant tout des amis d'Edward, vont avoir à coeur de se démarquer d'elle pour ne pas être entraînés dans sa chute. Il s'agit de prouver qu'elle est folle et qu'elle l'a toujours été.

     

    "Chacune des actions de Mrs Robinson ne nous laisse le choix qu'entre deux conclusions (...) : ou bien elle est la créature la plus ignoble et débauchée qui revêtit jamais forme féminine, ou bien elle est folle. Dans l'un et l'autre cas, son témoignage est sans valeur." cqfd ! L'hystérie, diagnostique fourre-tout, s'avère bien commode pour réduire au silence une femme qui a eu le culot de vouloir exprimer ses sentiments.

     

    Kate Summerscale, La déchéance de Mrs Robinson, 10-18

    La femme adultère, tableau d'Augustus Leopold Egg, 1858

     

    Cette femme intelligente est bafouée de façon scandaleuse. On vient au procès comme on irait au spectacle pour se repaître des "bonnes feuilles" du journal. Il y a là un mélange de voyeurisme et de pudibonderie très hypocrite. Cette société patriarcale qui réprouve tout ce qui peut s'apparenter à une volonté d'autonomie chez une femme est effrayée par celles qui, comme Isabella, n'apparaissent pas entièrement soumises à leur mari.

     

     

    J'ai trouvé passionnant cet ouvrage qui aborde de nombreux sujets. Ce qui m'a le plus intéressée c'est tout ce qui concerne la sujétion des femmes mariées à leur époux (l'auteur cite aussi d'autres cas de divorces difficiles à cette époque) et les questions de sexualité. J'apprends qu'il y a controverse au sujet de l'usage du spéculum pour les consultations gynécologiques. Peu de médecins l'utilisent par crainte d'exciter leurs patientes qui bientôt ne pourraient plus s'en passer... Une information qui me remémore ma lecture du Choeur des femmes.

     

    L'avis de Maggie.


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    Hans Magnus Enzensberger, Hammerstein ou l'intransigeance, FolioKurt von Hammerstein était le chef d'état major général de la Reichswehr, comme on appelait encore l'armée allemande après la première guerre mondiale. Au début des années 1930 il est un des premiers opposants au nazisme. Il intervient dans l'espoir d'empêcher la nomination d'Hitler comme chancelier puis, en 1933, il demande sa mise à la retraite anticipée. Hans Magnus Enzensberger montre bien -notamment en produisant des documents- comment dès les premiers jours le caractère antidémocratique et agressif du régime nazi est affirmé. On voit mal comment quelqu'un qui était à un poste de responsabilité à cette époque-là aurait pu l'ignorer.

     

     

    Retiré de l'armée Hammerstein se consacre à la chasse, une de ses activités favorites, et garde, jusqu'à sa mort de maladie en 1943, une grande liberté de parole, n'hésitant jamais à dire tout le mal qu'il pense des nazis. Ses nombreux enfants sont engagés eux aussi dans la résistance au régime. Les filles Marie-Luise et Helga sont des communistes qui travaillent pour les renseignements soviétiques. C'est l'occasion pour l'auteur d'évoquer les grandes purges des années 1936-38. Les garçons Kunrat et Ludwig sont plus ou moins engagés dans la tentative d'attentat contre Hitler du 20 juillet 1944.

     

     

    J'ai apprécié cette lecture qui m'a appris des choses sur les débuts du nazisme, la résistance dans l'armée allemande. Hans Magnus Enzensberger alterne les documents d'archives, ses commentaires et aussi des "conversations posthumes" imaginaires avec ses personnages principaux, ce qui rend la lecture vivante.


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    Dan Waddell, Code 1879, Babel noir"- Il faut trouver ce qui a bien pu arriver en 1879. (...) Il faut que nous voyions clair dans tout ce qui s'est passé à l'époque. Quelqu'un n'a-t-il pas dit, "le passé est un autre pays ?"

    - La France aussi. Et je n'ai jamais eu envie d'aller là-bas."

     

    Londres, un hommes est retrouvé assassiné de façon particulièrement brutale : avant d'être poignardé, il a eu les mains coupées. Lors de l'autopsie, l'inspecteur Grant Foster remarque une inscription gravée au couteau sur le torse de la victime : 1A137. Son adjointe Heather Jenkins pense qu'il pourrait s'agir d'une référence d'archives généalogiques. La police fait alors appel à Nigel Barnes, historien spécialisé dans les recherches de généalogie. Il va découvrir qu'en 1879 cinq hommes ont été assassinés dans le même quartier de Londres. Et voilà qu'un deuxième cadavre est retrouvé, à l'endroit où une personne avait été tuée en 1879 et le même jour. Sauf qu'aujourd'hui le tueur ne se contente pas de poignarder, il mutile auparavant ses victimes.

     

    J'ai beaucoup aimé ce roman facile à lire. L'accent est mis sur les recherches en archives et bibliothèques. Les rares fois où j'ai fait ce genre de travail, j'ai sorti beaucoup de documents pour pas grand chose d'exploitable. Nigel Barnes, lui, travaille pour la police. Il peut donc obtenir tout ce qu'il demande et à toute heure (et puis c'est un professionnel...). Mise à part la facilité un peu dégoûtante avec laquelle il procède, j'ai apprécié de le suivre dans ses démarches. Il y a aussi des descriptions comparées du Londres du 19° siècle et de celui du début du 21° siècle qui m'ont donné envie de me promener dans cette ville. Ah! Ça tombe bien, je vais sans doute avoir l'occasion d'y aller au printemps.

    Il y a une deuxième aventure déjà parue en poche et que j'ai envie de lire maintenant.

    L'avis de Maggie, celui de Keisha.


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    Jonathan Coe, Le cercle fermé, Gallimard"J'ai beaucoup appris de mes erreurs, et je suis sûr de pouvoir les répéter à la perfection."

     

    Le cercle fermé est la suite de Bienvenue au club (que j'avais lu en mai et déjà presque oublié) qui se déroulait dans les années 1970. Nous sommes maintenant au début des années 2000. Vingt ans plus tard, que sont devenus les personnages du premier roman ? Un petit groupe de ces amis de jeunesse sont restés liés, les circonstances et le hasard vont leur donner des nouvelles des autres.

     

    Cicely a quitté Benjamin et il n'a plus eu de nouvelles d'elle. Lui qui se projetait en écrivain et compositeur travaille dans un cabinet d'experts-comptables et n'a rien publié de l'oeuvre à laquelle il travaille depuis son adolescence et dont le manuscrit atteint maintenant plus de 1000 pages. Mais dans ce tome l'action tourne principalement autour de Paul Trotter, le frère cadet de Benjamin. Paul qui a été de droite dès son enfance est devenu un député néo-travailliste. Jonathan Coe critique la politique de Tony Blair, notamment l'engagement dans la guerre en Irak. On voit Paul, personnage essentiellement soucieux de ses intérêts propres, pas très sympathique à priori, se transformer par la grâce de l'amour.

     

    On retrouve également Claire, hantée par la disparition mystérieuse de sa soeur 20 ans plus tôt.

     

    J'ai trouvé ce roman sympathique et plaisant à lire. Pas sûr qu'il me laisse un souvenir plus marquant que le précédent.

     


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    Lauren Groff, Les monstres de Templeton, PlonSuite à une déconvenue amoureuse et professionnelle (elle a couché avec son directeur de thèse) Willie Upton retourne chez sa mère, Vivienne, à Templeton. Pour l'obliger à se changer les idées, celle-ci lui révèle alors qu'elle lui a toujours menti sur l'identité de son père. Il ne s'agit pas d'un des trois hippies avec qui elle vivait en communauté à San Francisco avant la naissance de sa fille mais d'un habitant de Templeton. Par contre il va falloir que Willie trouve elle-même l'identité de son père à l'aide d'un indice : il est, comme Vivienne, un descendant (illégitime) de Marmaduke Temple, le fondateur de Templeton. Willie devra mener l'enquête dans le passé de sa famille.

     

     

     

    Dans la vraie vie Templeton est une ville qui existe. Elle s'appelle Cooperstown et elle a été fondée par William Cooper, le père de Fenimore. Lauren Groff est originaire de Cooperstown et introduit dans son roman des personnages de Fenimore Cooper à qui elle donne un nouveau destin. En se lançant à la recherche de ses ancêtres et de son père Willie va ainsi rencontrer Chingachgook alias le dernier des Mohicans, son ami Bas de cuir et d'autres encore dont je fais la découverte.

     

    Il faudrait connaître l'oeuvre de Fenimore Cooper -ce qui n'est pas mon cas- pour savoir ce qui est de son invention et ce que Lauren Groff a rajouté mais j'apprécie d'en avoir cet aperçu.

     

     

     

    Ce que je trouve amusant aussi c'est que le roman est illustré de photos de personnages de la généalogie de Willie ce qui donne l'impression qu'on assiste à une vraie recherche historique.

     

    Au total j'ai trouvé ce roman -découvert dans le cadre du challenge Tous risques de Aaliz- sympathique et plaisant à lire.

     

    Lauren Groff, Les monstres de Templeton, Plon


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  • Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ?, PointsCa commence comme ça : "Enfant, j'allais souvent  passer le week-end chez ma grand-mère. A mon arrivée, le vendredi soir, elle me soulevait du sol et me serrait contre elle à m'étouffer. Et au moment de mon départ, le dimanche soir, j'étais une nouvelle fois hissé dans les airs. Ce n'est que des années plus tard que j'ai réalisé qu'en fait elle me pesait."

    C'est que la grand-mère est une rescapée de la shoah, elle a connu la faim, elle a failli en mourir et elle a transmis à ses descendants un rapport très fort à la nourriture.

     

    Et donc Jonathan Safran Foer qui flirte avec le végétarisme depuis des années -un coup oui, un coup non, un coup peut-être- part mener l'enquête à travers les Etats-Unis. Et que découvre-t-il ?

    Les animaux sont des êtres intelligents et sensibles. Forts intéressants passages sur les capacités des cochons, des volailles, des poissons -qui ont beaucoup plus qu'une "mémoire de poisson rouge".

    L'élevage industriel est une horreur, les animaux sont maltraités du début à la fin : "Ce dont l'industrie a pris conscience -et c'est ça qui a été la véritable révolution-, c'est que ça ne vaut plus le coup d'élever des animaux sains pour gagner de l'argent. Les animaux malades sont plus rentables. Les animaux ont payé le prix fort pour satisfaire notre désir d'avoir tout à notre disposition à tout moment pour une somme dérisoire."

    L'élevage industriel menace aussi la santé humaine. Dans les poulaillers gigantesques où s'entassent des milliers de volailles au patrimoine génétique identique et bourrées d'antibiotiques les conditions sont réunies pour une pandémie (épidémie de rang mondial) meurtrière.

    Comment de telles choses sont-elles possibles ? "L'élevage industriel n'est pas là pour nourrir les gens, il est là pour faire de l'argent."

    Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ?, Points

    Après No steak et Bidoche voilà donc encore un ouvrage traitant des méfaits de la viande. Qu'est-ce que ça m'apporte de nouveau ?

    Une vision américaine de la question. La situation est bien plus grave aux Etats-Unis qu'en France. A l'occasion des négociations autour du traité transatlantique (tafta) j'ai entendu parler de poulets américains rincés à l'eau de javel. J'ai envie de dire que c'est le moindre de leurs défauts car avant ils sont trempés dans la merde !

    "(...) les poulets sont plongés dans une énorme cuve réfrigérée remplie d'eau, dans laquelle sont refroidis des milliers d'oiseaux en même temps. (...) "L'eau de ces cuves a pu être qualifiée à juste titre de "soupe fécale" en raison des déchets et bactéries qu'elle contient. En immergeant des oiseaux propres et sains dans la même cuve que des oiseaux souillés, vous êtes quasiment certain de provoquer une contamination croisée". (...) Alors qu'un nombre significatif de sites d'abattage européens et canadiens ont recours à des systèmes de refroidissement par air, 99% des ateliers américains de transformation de volailles utilisent toujours le système de l'immersion dans l'eau froide (...). Il n'est guère difficile d'en deviner la raison : le refroidissement par air diminue le poids des carcasses de poulet, alors que l'immersion permet de l'augmenter du fait que les poulets se gorgent d'eau (la "soupe fécale")."

    Des informations sur les poissons, la pêche industrielle, la pisciculture industrielle, que je n'avais pas trouvées dans les deux livres cités précédemment.

    Une (rapide) évocation de l'abattage rituel où j'apprends que "dans l'islam et le judaïsme [l'éthique du manger responsable] s'est traduite par l'obligation d'un abattage rapide." Il s'agit de ne pas infliger de souffrances inutiles aux animaux. Je trouve cela très intéressant parce que en France ce n'est pas du tout ce que les personnes qui se sont exprimées sur l'abattage rituel ces derniers temps ont choisi de mettre en avant. Du coup ça me donne envie d'en savoir plus sur cette question et notamment de me renseigner sur ce qu'en disent les musulmans eux-mêmes. J'ai déjà trouvé un article sur l'islam et le végétarisme.

     

    Jonathan Safran Foer est un welfariste c'est à dire qu'il pense que si les animaux étaient élevés et tués dans des conditions décentes on pourrait les manger. Ce n'est pas le cas avec l'élevage industriel donc il est végétarien. Chez les végétariens militants il y a aussi les abolitionnistes qui voudraient mettre fin à la consommation de viande. Certains d'entre eux jugent sévèrement les welfaristes. Ce que je constate moi, c'est que Jonathan Safran Foer s'engage en faveur du végétarisme. Il prend position et tente de convaincre son lecteur de considérer sérieusement cette option. Un dernier argument ?

    "L'élevage industriel prendra fin un jour à cause de l'absurdité de son économie. Il n'est tout simplement pas viable. La terre finira par se débarrasser de l'élevage industriel comme un chien se débarrasse de ses puces. La seule question est de savoir si elle ne se débarrassera pas de nous par la même occasion."

     

    Si vous m'avez suivie jusque là vous avez sans doute compris que ce livre m'a passionnée. Il est en plus fort bien écrit. Souvent choquant, parfois même horrifiant, il lui arrive aussi d'être drôle.


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  • Timur Vermes, Il est de retour, BelfondHitler se réveille de nos jours dans un terrain vague de Berlin. Passés les premiers instants d'incompréhension et de surprise il prend acte du fait et décide de profiter de la deuxième chance qui lui est offerte de réaliser son programme. Il est très vite repéré par la télévision qui le prend pour un comique déguisé en Hitler et qui lui offre son émission. Le public en redemande. Bien sûr certains propos sont parfois problématiques mais c'est de l'humour, du second degré, n'est-ce pas ? Et puis il dit aussi tellement de choses justes.

     

    J'ai commencé ce roman avec un peu de circonspection et puis je l'ai trouvé facile à lire, amusant et donnant à réfléchir. C'est Hitler lui-même le narrateur.

    L'auteur jour d'abord sur le ressort assez classique de la découverte de son environnement par quelqu'un qui a été soudain projeté dans le futur. Cela donne lieu à des confusions amusantes et à une critique de notre société de consommation et notamment de la télévision et de l'internet pointés comme des moyens de contrôle des populations. Hitler passe sur Youtube et a son site internet, il vend des produits dérivés.

     

    Ce qui est un peu dérangeant c'est que le personnage apparaît presque sympathique mais cette situation m'a aussi permis de mieux comprendre ce qui avait pu faire son succès. On dit souvent qu'Hitler était charismatique mais là on le voit fonctionner. Je retrouve dans ce fonctionnement des choses décrites dans Dans la tanière du loup et ça les rend beaucoup plus claires. Je suppose que l'auteur a utilisé les mémoires de Traudl Junge comme source.

     

    Economies en berne, chômage, étrangers désignés comme boucs émissaires des malheurs du temps, classe politique qui s'est coupée des citoyens... le début du 21° siècle ressemble fort aux années 1930 et Hitler, finalement, ne doit pas se sentir trop dépaysé. Timur Vermes nous appelle à la vigilance. Attention, il pourrait bien être de retour.

     

    L'avis d'Henri.

    Un livre qui coûte 19.33 € !

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  • Simone de Beauvoir, La femme rompue, FolioLa femme rompue est un recueil de trois nouvelles, trois histoires de femmes qui souffrent.

    L'âge de discrétion : La narratrice est une jeune retraitée, ancienne professeure de littérature, auteure de biographies d'écrivains. Un dernier livre raté, une brouille avec son fils qui entraîne un désaccord avec son mari, lui font soudain prendre conscience qu'elle vieillit.

    Je l'apprécie cette femme. Même si dans sa brouille avec son fils elle me paraît un peu excessive, c'est une femme qui réfléchit, qui accepte de se remettre en question ce qui finalement lui permet de dépasser ce moment difficile.

     

    Monologue : Le soir du nouvel an, seule dans son appartement parisien, une femme aigrie se console d'un monologue contre tous ceux qu'elle hait : sa famille, ses voisins, le reste de l'humanité. C'est un texte violent avec peu de ponctuation. Je ne sais pas trop quoi penser de cette femme. Elle ne m'est pas du tout sympathique, en tout cas. Par moments je me dis que c'est une victime de l'oppression patriarcale mais en même temps cette oppression, elle l'a transformée en haine contre ses proches et elle a fait, de ses enfants par exemple, ses propres victimes.

     

    La femme rompue : Après 20 ans de mariage Monique, femme au foyer, découvre que son mari la trompe. Sur les conseils de ses amies, elle tente d'abord de le reconquérir en partant du principe que ce qui arrive est plus ou moins sa faute :

     

    "Non, je ne dois pas essayer de suivre Noëllie sur son propre terrain, mais me battre sur le mien. Maurice était sensible à tous les soins dont je l'entourais, et je le néglige. J'ai passé la journée à mettre de l'ordre dans nos armoires, j'ai définitivement rangé les affaires d'été, sorti de la naphtaline et aéré les vêtements d'hiver, dressé un inventaire. Demain j'irai lui acheter les chaussettes, les pull-overs, les pyjamas dont il a besoin."

    Petit à petit cependant son univers, construit autour de son couple et de ses enfants, commence à s'effondrer.

    C'est un texte rédigé sous forme de journal, les sentiments de Monique sont présentés de façon très crédible ce qui rend la lecture poignante. Il m'est arrivé d'interrompre la lecture car ça m'indisposait la façon dont cette femme intelligente est bafouée. Par son entourage qui lui dit que c'est normal, qu'un homme ne peut pas rester fidèle aussi longtemps. Et surtout par son mari qui se pose en victime et l'accuse d'égoïsme car elle ne prend pas en compte sa souffrance à lui. L'enfoiré ! Rien qu'en l'écrivant ça m'indigne de nouveau.

     

    Je dois avouer que c'est la première fois que je lis Simone de Beauvoir et je trouve ça excellemment écrit, chacune des nouvelles dans un genre particulier (narration à la première personne, monologue, journal) qui colle parfaitement au propos et qui exprime très bien les sentiments.

     

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