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Ursula K. le Guin, La main gauche de la nuit, Le livre de poche
Nivôse ou Géthen est une planète glacée située à des dizaines d’années lumières de la terre. Ses habitants sont des personnes non binaires et asexuelles la plupart du temps (paru en 1969 le roman parle d’hermaphrodites asexués ou d’androgynes). Quelques jours par mois ces habitants « entrent en kemma » : ils adoptent alors, aléatoirement, des caractères masculins ou féminins et s’accouplent avec qi est aussi dans la même situation. Envoyé de la planète terre, Genly Aï a débarqué deux ans plus tôt sur Nivôse avec pour mission de convaincre les Gétheniens d’adhérer à l’Ekumen, une confédération de planètes. Pétri de préjugés sexistes et misogynes (« un rôle typiquement féminin : charme, tact, manque de solidité, subtilité, finasserie ») Aï est très mal à l’aise dans cette société où l’on n’est pas jugé selon son genre mais « uniquement comme être humain ». Pour lui « c’est une expérience bouleversante ». Il ne m’est, au début, pas très sympathique. Ce qui est amusant c’est que Ursula K. le Guin montre bien comment chacun est le monstre de l’autre. Vu comme « continuellement en chaleur » Aï passe, aux yeux des Gétheniens, pour un pervers sexuel.
Devenu un élément dans un conflit politique à la tête de l’État de Karhaïde, Aï doit fuir pour sauver sa vie. Il est accompagné d’Estraven, proscrit, ancien premier ministre. Les deux personnages vont traverser ensemble une calotte glaciaire, périple fantastique qui donne lieu à des descriptions magnifiques de paysages polaires. Cette expérience de survie en conditions extrêmes va être l’occasion pour Aï et Estraven d’apprendre à se connaître et à s’apprécier malgré leurs différences. L’autrice explore les incompréhensions qui peuvent naître du fait de modes de pensée différents.
Avec ce roman Ursula K. le Guin critique de façon très subtile le capitalisme, le patriotisme ou la destruction de l’environnement. C’est fait de façon fine, sans jamais nous asséner de leçon. J’ai apprécié aussi la réflexion philosophique, certains aspects désuets du futurisme (on communique instantanément d’une planète à l’autre grâce à des ordinateurs qui fonctionnent avec des cartes perforées) et la belle écriture. Le récit comporte plusieurs narrateurs, ce qui donne plusieurs compréhensions des événements, et inclut des légendes de Géthen.
C’est un roman riche que j’ai trouvé excellent à tous points de vue. De Ursula K. le Guin je n’avais lu jusqu’à présent que Les dépossédés qui ne m’avait guère emballée et je n’avais pas prévu de relire cette autrice. Cependant je n’ai pas pu résister à l’attrait du petit concours organisé par Sacha que je remercié de cette belle découverte.
Tags : Roman, Genre, LGBTQI
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Commentaires
Un roman qui fera assurément partie de mon best of 2024.