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Julia Boyd, Voyage en Allemagne sous le III° Reich, Alisio
Pour rédiger ce passionnant ouvrage, Julia Boyd a étudié des récits de voyage, journaux intimes et courriers écrits par des étrangers amenés à se trouver en Allemagne entre 1919 et 1945. Il ne s'agit donc pas seulement de touristes -il y a des journalistes, des diplomates, des étudiants...- et pas seulement sous le III° Reich (1919-1933 : République de Weimar). La majorité de ces témoins sont Britanniques ou Américains. Je découvre que l'Allemagne était dans l'entre-deux-guerres une destination prisée pour eux. Beaucoup de voyageurs sont d'accord : les Allemands sont quand même plus agréables que les Français, beaucoup trop imbus d'eux-mêmes et pas toujours très honnêtes. L'Allemagne attire aussi les rejetons des familles aisées que l'on envoie y passer une année au cours de leurs études. Il y a des traditions d'échanges entre le Royaume-Uni et l'Allemagne qui vont rendre difficile pour les germanophiles britanniques le fait de prendre conscience des dangers du nazisme. De son côté le gouvernement ne lésine pas sur la propagande pour faire croire que l'Allemagne est un pays "normal" et attirer les touristes. Les visiteurs de marque obtiennent facilement, semble-t-il, la possibilité de rencontrer Hitler.
La fête des récoltes du Reich, Bückeberg
Beaucoup d'étrangers sont conquis par les grands événements collectifs, parades et cérémonies de masse où l'on accumule les effets grandioses pour embrigader la population : festival de Bayreuth, jeux olympiques de 1936, congrès du parti nazi à Nüremberg mais aussi des festivités que je ne connaissais pas comme la fête des moissons de Bückeberg ou les jeux de la Passion d'Oberammergau. En 1933 peu nombreux sont les visiteurs critiques envers le nazisme. Avec le temps cependant il devient de plus en plus difficile de ne pas voir ce qui se trame. Après 1938 (Anschluss : annexion de l'Autriche et pogrome de la nuit de cristal) il n'y a plus que les sympathisants nazis qui défendent le régime. J'apprécie que, en contrepoint de certains commentaires élogieux, l'autrice dise ce qu'il en est réellement. Ainsi Anne Lindbergh (la femme de l'aviateur, une admiratrice d'Hitler, comme son mari) écrit à propos du général von Reichenau qu'il est "un homme civilisé, un homme équilibré et bien élevé comme l'on aimerait en trouver". Julia Boyd précise que cet homme charmant s'est ensuite rendu responsable du massacre de 33 000 Juifs d'Ukraine. Certains questionnements de l'autrice me paraissent tout à fait d'actualité. "Y aller ou ne pas y aller ?" demande-t-elle. Aller aujourd'hui faire du tourisme en Turquie, en Chine ? Rendre visite à Bachar al-Assad comme l'ont fait certains de nos députés ?
J'ai trouvé cet ouvrage très intéressant. A travers les textes présentés ici je découvre aussi des aspects de la vie quotidienne sous le III° Reich. Hélas ! Mon plaisir est perturbé par une traduction de bien piètre qualité. Concordance des temps hasardeuse, utilisation fantaisiste des mots de liaison, maîtrise approximative du vocabulaire rendent parfois la lecture chaotique et je tombe régulièrement sur des erreurs grossières qui me hérissent :
"Par défiance, un certain nombre d'étrangers faisaient leurs courses dans les magasins juifs vides." Defiance en anglais se traduit pas défi en français. Faux ami.
"Les seuls autres objets que la pièce contenait étaient une radio et une rangée de choppe de bière -trophées de veuleries étudiantes." De beuveries, sans doute.
Ou "la masse salariale de l'entreprise" à la place des salariés.
La maison d'édition nous signale qu'elle emploie une relectrice-correctrice. Ca ne m'avait pas sauté aux yeux !
Tags : Histoire, Nazisme
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