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Sophie Chauveau, La fabrique des pervers, Gallimard
Un pervers : "un qui ne sait pas que l'autre existe, qui pioche, prélève des morceaux choisis de l'autre sans imaginer que cela peut lui faire mal. Puisque lui ne sent rien."
En 2014, après la parution de ses Noces de charbon, Sophie Chauveau est contactée par une lointaine cousine qu'elle ne connaissait pas et qui lui dit qu'elle a été violée par son père de 4 à 14 ans. "Bienvenue au club", répond Sophie Chauveau. Les deux femmes sympathisent, parlent de leur famille et prennent conscience d'un nombre incroyable d'incestes sur quatre générations. Sophie Chauveau décide alors de mener l'enquête pour comprendre ce qui a pu faire de sa famille une fabrique de pervers.
On part de l'ancêtre qui, en 1870, a fait fortune en volant les animaux du Jardin des Plantes pour en faire de la viande de boucherie. A partir de là, tout est permis. J'ai découvert avec sidération une famille d'une grande dépravation où le viol incestueux est l'aboutissement de comportements déviants : frères qui échangent leurs femmes entre eux, adultes qui se promènent nus et se tripotent devant les enfants sous prétexte de naturisme... On est dans la bonne bourgeoisie et ces agissements sont camouflés derrière une apparence de respectabilité.
C'est le talent de Sophie Chauveau de dire très clairement le crime tout en évitant le voyeurisme et sans mettre en avant d'autres victimes qui ne l'auraient pas souhaité. Elle interroge le comportement de l'entourage : pourquoi les mères n'ont-elles pas protégé leurs enfants, pourquoi les amis qui savaient n'ont-ils rien dénoncé ? Elle analyse les sentiments de honte et de culpabilité qui frappent les enfants victimes d'inceste. Elle s'appuie sur la philosophie, la psychologie, le droit, la littérature, pour comprendre. Le résultat est un ouvrage de grande qualité. J'ai trouvé ce travail très courageux de sa part et très bien mené. Après des années d'amnésie et de déni puis d'analyse, après avoir poussé ses parents dans leurs retranchements pour tenter de leur faire prendre conscience de leurs actes, elle s'est sortie du traumatisme.
"Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté". Rimbaud.
Quant à moi, ce que j'ai ressenti à la lecture c'est de la colère à l'idée que de telles choses puissent rester impunies.
Je participe au défi Voix d'autrices, catégorie Une histoire de famille.
Tags : Récit autobiographique, Défi/Lecture commune
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