• Epaminondas Remoundakis et Maurice Born, Vies et morts d'un Crétois lépreux, Anacharsis

     

    Epaminondas Remoundakis et Maurice Born, Vies et morts d'un Crétois lépreux, AnacharsisEpaminondas Remoundakis (1914-1978), Crétois, malade de la lèpre, fut, comme cela se faisait à l'époque, interné pendant 20 ans sur l'îlot rocheux de Spinalonga. En 1972, devenu aveugle à cause de sa maladie, il a, à la demande de Maurice Born, ethnologue suisse, enregistré le récit de sa vie qui fut ensuite retranscrit en grec puis traduit 30 ans plus tard. Ce récit est suivi ici d'un essai de Maurice Born, Archéologie d'une arrogance, présentant l'histoire de la lèpre et des lépreux en Grèce.

     

     

    Vies et morts d'un Crétois lépreux : Epaminondas Remoundakis était le fils d'un propriétaire terrien, notable local de son village. Malgré une aisance relative il raconte une vie encore très rustique dans un village reculé de Crète au début du 20° siècle. L'enfance prend vite fin quand on lui détecte la lèpre à l'âge de 12 ans. Le jeune Epaminondas doit alors quitter sa famille pour aller vivre à Athènes chez sa soeur, également atteinte : les lépreux crétois étaient en effet déportés vers l'îlot de Spinalonga. Cette loi ne concerna le reste de la Grèce que plus tard. C'est un deuxième déchirement pour cet enfant qui a perdu sa mère cinq ans plus tôt. A Athènes cependant Epaminondas bénéficie d'un suivi médical et va au lycée puis à l'université. Il est bon élève et envisage de devenir avocat.

     

     

    En 1935 Epaminondas est dénoncé comme lépreux et interné, d'abord à Agia Varvara, station antilépreuse proche d'Athènes, puis à Spinalonga. Quand il y arrive en 1936 il découvre des conditions de vie très précaires. Près de 300 malades vivent là dans des masures insalubres et sans même avoir droit à des soins palliatifs (on ne sait pas guérir la lèpre à l'époque). Epaminondas va devenir l'organisateur et le porte-parole de la communauté qu'il va organiser pour lui permettre de lutter pour ses droits. L'internement des lépreux grecs prend fin en 1957 après la découverte en 1942 d'un traitement qui stoppe la progression de la maladie et détruit le bacille. Le malade devient négatif, il est "blanchi".

     

     

    Epaminondas Remoundakis raconte bien comment la précocité de la maladie a influé sur son caractère, l'a rendu honteux de lui-même de par le regard stigmatisant porté sur les malades. En même temps, en ce qui le concerne, l'espérance n'est jamais totalement étouffée ce qui lui permet de devenir l'un des leaders de Spinalonga et d'obtenir des améliorations de la situation. La lutte est aussi pour lui un moyen de ne pas se laisser déborder par le désespoir. J'ai trouvé ce récit fort intéressant.

     

     

    Archéologie d'une arrogance : Le texte de Maurice Born contextualise et place dans un cadre plus vaste le récit personnel d'Epaminondas Remoundakis. Il s'agit d'une histoire de la lèpre et du traitement des lépreux en Crète de l'époque moderne à nos jours.

     

     

    On s'est longtemps demandé si la lèpre était une maladie contagieuse ou héréditaire. Elle est due au bacille de Hansen, proche de celui de la tuberculose, même si, au début du 21° siècle, on ne sait toujours pas vraiment comment elle se transmet. C'est une maladie très peu contagieuse qui sévissait encore à l'état endémique dans certaines régions d'Europe à la fin du 19° siècle : la Crète mais aussi la Norvège (d'où était originaire Hansen). Bien souvent la maladie et les malades ont été assimilés. On a pensé que quand il n'y aurait plus de lépreux la lèpre serait éradiquée. En Norvège cela a conduit à interner les gens dans des établissements surpeuplés où ils sont morts en masse. La lèpre frappant plus souvent les classes pauvres il y a là aussi une sorte d'hygiénisme social. Quand des personnes aisées sont atteintes de la maladie les mesures d'enfermement ne s'adressent pas à elles. Les médecins d'Europe du nord qui viennent en Crète étudier la maladie y arrivent avec leurs préjugés coloniaux dans un pays qu'ils considèrent comme sous-développé. L'auteur montre bien comment leur sentiment de supériorité les aveugle. Le régime alimentaire, jugé malsain, est mis en cause (le régime crétois !).

     

     

    En Crète les lépreux sont internés à Spinalonga à partir de 1904. Parfois l'interné est rayé des registres d'état-civil de son village : il n'existe plus. C'est ce qui arrive à Epaminondas Remoundakis. Spinalonga est un îlot rocheux impropre à l'agriculture. L'Etat verse une petite pension aux malades pour leur permettre de survivre. Dans une région pauvre cela fait figure de manne et les paysans des alentours vendent, à prix fort, leur production à cette clientèle captive. Après la découverte d'un traitement l'internement perdure encore plusieurs années par négligence, paresse intellectuelle mais aussi pour maintenir la ressource économique.

     

     

    J'ai trouvé cette deuxième partie passionnante. J'ai découvert plein de choses que j'ignorais totalement. L'histoire de la lutte contre la lèpre, bien sûr, mais aussi des aspects de l'histoire de la Grèce et de la Crète. Maurice Born présente de nombreux documents qui sont finement analysés pour faire ressortir les aspects peu sympathiques d'une certaine recherche médicale à la fin du 19° et au début du 20° siècle. Pas sûr que de tels errements dus au sentiment de supériorité ne soient plus possibles aujourd'hui.


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