• Maryse Condé, Ségou 1, Les murailles de terre, Robert LaffontL’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé est morte le 2 avril 2024. Elle était née en 1934 dans une famille de la bourgeoisie guadeloupéenne qui a élevé ses enfants dans l’amour de la culture française et l’ignorance de leur ascendance africaine. Elle découvre l’esclavage et la colonisation alors qu’elle est en classe préparatoire à Paris. Elle refusait les carcans identitaires et les étiquettes, en désaccord avec la créolité mais pour la liberté de création des auteurs antillais. Elle ne se considérait pas comme une romancière francophone, elle écrivait en « Maryse Condé ». En cela elle me fait penser à Mohamed Kacimi.

     

     

    Maryse Condé, Ségou 1, Les murailles de terre, Robert LaffontLes murailles de terre. A la fin du 18° siècle, Ségou (Mali actuel) est un royaume puissant le long du fleuve Joliba (Niger). C’est là que vit Dousika Traoré avec ses épouses, concubines et esclaves, ses fils. Conseiller du Mansa (le roi), Dousika est victime d’une cabale et disgracié au moment où son fils aîné se convertit à l’islam. Les Bambaras sont en effet des animistes et pratiquent traditionnellement une religion où l’on se méfie en permanence des esprits malfaisants. Ces derniers rodent principalement la nuit, moment de toutes les terreurs. On a affaire à des forgerons-féticheurs pour les empêcher de nuire, interpréter les signes de l’invisible et du visible et tenter de prévenir les événements défavorables.

    Ce roman se déroule dans la période où l’islam s’impose peu à peu en Afrique de l’ouest et le lecteur suit les étapes de cette conquête, souvent très violente. L’autrice envoie les quatre fils de Dousika dans tout l’ouest de l’Afrique, du Maroc au golfe de Guinée et même au-delà, ce qui lui permet de présenter une grande fresque de l’histoire de ces régions entre 1797 et le milieu du 19° siècle.

     

     

    Convertit à l’islam à l’adolescence, Tiékoro, devenu Oumar, part étudier à Tombouctou où il est maltraité car les Bambaras y ont la réputation d’être des musulmans mal dégrossis, encore imprégnés de superstitions animistes. Ce néo-musulman se sent donc obligé d’en rajouter dans ses démonstrations de foi. C’est un personnage rigide et facilement pontifiant qui agace vite son entourage -à part sa mère.

    Capturé par des esclavagistes lors d’une chasse, Naba est déporté au Brésil. J’ai trouvé fort intéressant l’aperçu sur la culture que les esclaves ont développée dans ce pays. Convertie au christianisme, affranchie, Ayodélé, la femme de Naba, est revenue en Afrique où elle s’est installée au Nigéria dans une petite communauté d’anciens esclaves christianisés.

    Devenu commerçant à Fès, Siga en a ramené à Ségou les techniques du travail du cuir inconnues dans sa ville natale. Il espérait y faire fortune grâce à ce nouveau savoir mais a dû déchanter.

    Le cadet Malobali s’est fait soldat au service du royaume ashanti pour quitter une famille où il ne se sentait pas suffisamment considéré.

     

     

    Car Ségou est aussi la critique d’une société patriarcale qui opprime les femmes, bien sûr, mais aussi les enfants et les cadets. La naissance du premier fils est une occasion de liesse. Les garçons sont gâtés, habitués à ce que les femmes fassent leurs quatre volontés. Cela donne des adultes impulsifs qui agissent avant de réfléchir et qui ne supportent pas la frustration. Les personnages masculins ne me sont pas sympathiques. Leurs rapports avec les femmes oscillent entre la prédation et l’idéalisation. Prédation quand il s’agit de femmes socialement inférieures (servantes, esclaves) ou d’étrangères ; idéalisation de l’amour pour celles qu’on peut épouser. Les déconvenues sont brutales et rapides.

     

     

    J’ai apprécié la lecture de ce roman bien documenté sur un espace et une période que je connais peu. Je lirai prochainement le tome 2.

     

     

    L’avis d’Henri.


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  • Cécile Baudin, Marques de fabrique, 10-18Ain, 1894. Claude Tardy est une jeune inspectrice du travail. En tant que femme elle ne peut inspecter que les entreprises où travaillent femmes et enfants. Aussi, avec l’accord de son supérieur, Edgar Roux, un vieil homme fatigué, elle se travestit en homme pour pouvoir le soulager dans les ateliers où la main d’oeuvre est masculine. A trois mois d’intervalle, aux deux bouts du département, dans deux entreprises différentes, Claude et Edgar tombent sur les cadavres de deux jeunes ouvriers se ressemblant comme des sosies, l’un suicidé, l’autre accidenté. Coïncidence ?

     

     

    Dans l’Ain également, la religieuse sœur Placide encadre les jeunes ouvrières au sein de l’usine-pensionnat des soieries Perrin. Les jeunes filles qui travaillent ici, principalement des orphelines, sont menées à la baguette par des religieuses chargées de veiller à leur bonne moralité. Leur salaire est mis de côté pour constituer un pécule qui leur sera restitué à leur départ. Soeur Placide est bouleversée quand elle découvre qu’une nouvelle arrivante ressemble comme deux gouttes d’eau à Léonie, une pensionnaire à laquelle elle s’était attachée, partie 15 ans plus tôt pour se marier et qui ne lui a plus donné de nouvelles. Pourrait-il y avoir un lien entre Léonie et la petite Victorine ?

     

     

    Deux mystères avec, au départ de chacun, des personnes qui se ressemblent fort, toutes orphelines et, au début de ce roman, deux histoires menées en parallèle, un chapitre sur deux, jusqu’au moment où -je l’attendais- les deux histoires n’en forment plus qu’une. C’est à ce moment que le roman qui se traînait un peu devient palpitant, à grands coups de rebondissements et trouvailles rocambolesques qui nous mènent à un dénouement que je trouve peu crédible. Le principal intérêt de cette lecture pour moi est la présentation des ouvriers et ouvrières dans l’Ain à la fin du 19° siècle. Outre l’usine-pensionnat, l’autrice nous présente l’exploitation de la glace du lac de Sylans (passionnant) et des mines de phosphate (pas mal aussi).

     

     

    Cette lecture me permet donc de participer au défi Lire sur le monde ouvrier organisé par Ingannmic.

    Cécile Baudin, Marques de fabrique, 10-18


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  • Guy Goffette, Géronimo a mal au dos, GallimardLe poète et éditeur belge Guy Goffette est mort le 28 mars 2024. Il était né en 1947 dans une famille ouvrière repliée sur elle-même, battu par son père. Il a été d’abord enseignant puis éditeur, poète, écrivain.

     

     

    Guy Goffette, Géronimo a mal au dos, GallimardGéronimo a mal au dos. Simon, le narrateur, revient dans la maison de ses parents à l’occasion du décès de son père Georges, dit Géronimo. C’est l’occasion pour lui de se remémorer son enfance douloureuse : Simon a été un enfant battu, recevant ses torgnoles quasi quotidiennes. Il a souffert de grandir dans un foyer sans tendresse ni gestes d’affection. Il reproche enfin à ses parents leur pingrerie maladive.

    Simon a tenu grâce à son amour des livres -interdits à la maison- et de la nature environnante -ce dernier partagé avec son père. A l’âge adulte il a quitté cette famille qui l’étouffait et a cherché l’amour ailleurs. Il est passé de femme en femme, il a voyagé, il a évité les réunions de famille, ce que lui reprochent ses frères et sœur. La mort de son père l’a ramené sur les lieux de son enfance où il revisite ses souvenirs à la recherche de preuves que celui-ci l’aimait malgré tout.

     

     

    Je comprends que ce père s’est conformé à un modèle social de pater familias à qui on doit respect et obéissance. Ce faisant il a rendu son fils malheureux et s’est privé lui-même d’une relation apaisée avec celui-ci. Il me semble que la rigidité du père a poussé le fils à se comporter en rebelle. Devant le cercueil de Géronimo les sentiments de Simon sont très ambivalents, mélange de rancoeur, de fierté pour l’homme juste qu’était son père à l’extérieur de la famille, de pitié pour le vieillard invalide qu’il était devenu. Je souhaite au narrateur que ses réflexions lui apportent un apaisement.

     

     

    Ce livre est dédié « A l’homme de ma vie, Géronimo, mon père ». Ce que je lis par ailleurs sur Guy Goffette me confirme que cet ouvrage est fortement autobiographique. L’auteur analyse finement les sentiments de son personnage, c’est un texte émouvant et fort bien écrit. Pas de doute, l’auteur était poète.

     

    L'avis de Keisha.


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  • Mohamed Kacimi, L’Orient après l’amour, Actes sudMohamed Kacimi est né en 1956 à El-Hamel près de Bou-Saâda, en Algérie, dans une zaouïa, un lieu saint soufi, fondée au milieu du 19° siècle par un de ses ancêtres. L’auteur est donc issu d’une aristocratie religieuse éclairée. A l’école il découvre la langue française, découverte fondamentale pour lui : « Cette langue était donc humaine, vulnérable, elle était langue d’enfants et de rêves. Elle m’a permis, pour la première fois, d’utiliser la première personne du singulier, « Je », sans la faire suivre de la traditionnelle formule : « Que Dieu me préserve de l’usage d’un pareil pronom, car il est l’attribut du diable. »

    A partir de ce jour allait commencer ma longue transhumance vers un autre imaginaire.
    Je n’ai point quitté une langue maternelle mais une langue divine. La langue français est devenue pour moi la langue natale du Je, langue de l’émergence pénible du Moi. Il ne s’agit point de bilinguisme, ni de déchirement. Le partage est clair. A ma langue d’origine je donne l’au-delà et le ciel ; à la langue française, le désir, le doute, la chair. En elle, je suis né en tant qu’individu. (…)
    Je n’écris pas en français. J’écris en « moi-même ». »

     

     

    Les premiers chapitres du livre sont consacrés aux jeunes années de l’auteur. J’ai trouvé très intéressant ce que j’ai appris sur la vie dans la zaouïa. Je ne savais pas qu’il y avait des confréries soufies en Algérie. Il est beaucoup question de l’indépendance du pays. Enfant à El-Hamel Mohamed Kacimi ne comprend pas pourquoi il doit aller à l’école puisque maintenant les Algériens sont libres. Adolescent puis étudiant à Alger il constate la corruption et les abus de pouvoir à tous les niveaux. Il est particulièrement critique envers Boumédiène et sa politique d’arabisation forcée. En 1982, Mohamed Kacimi quitte l’Algérie pour la France. La suite de l’ouvrage est consacrée à des récits de voyage dans le monde arabo-musulman : la Mecque (1991), Sanaa, le Caire (2004), Alger (2003), Beyrouth, Jérusalem. Le recueil est paru en 2008 mais ces textes sont d’époques diverses, sans doute pour certains la reprise d’articles pour Actuel où l’auteur a travaillé. La préface ne le dit pas. Lors de ces voyages Mohamed Kacimi a constaté la montée de l’islamisme. Il s’inquiète des progrès de cet obscurantisme générateur de violences.

     

     

    Mohamed Kacimi écrit bien, il a le sens de l’humour et de la formule assassine. C’est souvent très plaisant à lire. J’ai été fort intéressée par les points historiques qu’il fait sur le village de son enfance, sa famille ou les villes où il se rend. Il me semble par contre que, dans sa critique de l’islam, l’auteur manque parfois de nuance. C’est notamment le cas quand il dit que la confrontation de l'occident et de l’islam « dure depuis les croisades. De Jérusalem à Lépante en passant par Constantinople, l’islam sent, en Europe, l’épée, la poudre et le sang. » En ce qui concerne les croisades, ce sont quand même les Européens qui ont commencé, si je ne m’abuse...

     

     

     

    L’avis d’Henri.

     

     


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  • Kaoutar Harchi, Comme nous existons, BabelNée en 1987, Kaoutar Harchi est chercheuse en sociologie. D’origine marocaine, ses parents, Hania et Mohamed, ont émigré en France avec leurs propres parents quand ils étaient encore enfants. Dans ce récit l’autrice raconte sa jeunesse d’enfant de l’immigration dans un quartier populaire de Strasbourg.

    Des parents aimants qui, par le contournement de la carte scolaire, ont voulu extraire leur fille de son milieu d’origine, la protéger d’un danger jamais nommé qui me semble surtout fantasmé par les Français. En 6° Kaoutar Harchi est inscrite dans un collège privé catholique du centre ville. Elle s’y trouve confrontée au racisme conscient ou inconscient de camarades et de professeurs, assignée à ses origines.
    Des vacances au pays où l’autrice découvre ses parents sous un autre jour, épanouis dans leur famille élargie tandis qu’elle se languit du retour.

     

     

    En terminale, alors qu’elle n’a encore aucune idée de l’orientation qu’elle veut suivre, Kaoutar Harchi découvre un texte du sociologue algérien Abdelmalek Sayad. Cette lecture est une révélation qui éclaire de façon réjouissante tout ce qu’elle présentait, à travers sa famille, de la place des travailleurs immigrés en France : elle fera des études de sociologie. A l’université elle fréquente des étudiants d’origine maghrébine comme elle, jeunes dont elle avait été tenue écartée jusque là par sa scolarité dans le privé. Elle prend conscience, rétrospectivement, d’un manque.

    Le récit se termine quand l’autrice quitte le domicile parental pour aller poursuivre ses études en master à Paris. Ce départ est vécu par elle comme une émancipation alors même qu’elle souhaite garder sa relation privilégiée avec ses parents. Elle exprime l’ambivalence de ses sentiments.

     

     

    J’ai apprécié cette lecture. J’ai trouvé intéressant ce mélange de récit autobiographique et d’étude sociologique. C’est un ouvrage court qui se lit vite. Le style se veut descriptif, détaché, mais néanmoins on sent bien le très fort attachement qui lie l’autrice à ses parents.

     

     

    L’avis d’Henri.


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  • Arnaldur Indridason, Passage des ombres, Points A Reykjavik un vieil homme est retrouvé assassiné à son domicile. Sur place la police trouve des documents qui montrent que la victime, Stephan Thorson, s’intéressait à une vieille affaire de meurtre remontant à 1944. Le corps d’une jeune femme avait été retrouvé derrière le théâtre national qui servait alors d’entrepôt aux troupes d’occupation américaines. A cette époque Stephan Thorson était un jeune soldat canadien de parents islandais qui collaborait avec l’inspecteur Flovent de la criminelle dans les affaires impliquant des Islandais et des soldats. Aujourd’hui c’est l’ex-inspecteur Konrad, nouvellement retraité, qui reprend toute l’enquête de 1944 pour essayer de comprendre comment elle a pu entraîner la mort de Thorson plus de 60 ans après.

     

     

    Le roman fait des aller-retour entre 1944 et le temps présent. Nous suivons simultanément l’enquête de Flovent et Thorson et celle de Konrad ce qui fait que le lecteur a toujours un pas d’avance sur ce dernier. Le cadre historique est celui de « la situation », l’occupation de l’Islande par les troupes britanniques puis américaines pendant la seconde guerre mondiale. Représentants d’une prospérité inconnue sur place, les soldats américains séduisent facilement de jeunes Islandaises ; des fréquentations très mal vues par la population locale, encore plus quand une jeune femme « dans la situation » se retrouve enceinte hors mariage. C’est aussi une époque de fort exode rural vers Reykjavik.

     

     

    J’ai apprécié cette lecture et son rythme tranquille, l’ambiance de ce petit pays où quasiment tout le monde se connaît. Passage des ombres est le dernier épisode d’une trilogie dont j’avais déjà lu le premier tome qui m’avait moins plu. Il mettait aussi en scène Flovent et Thorson. Les trois peuvent se lire séparément.

     

     

    L’avis de Dasola.

    Voici une lecture pour le défi Auteurs des pays scandinaves.

     

    Arnaldur Indridason, Passage des ombres, Points


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  • Frans de Waal, Sommes nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?, Les liens qui libèrentLe primatologue et éthologue d’origine néerlandaise Frans de Waal est mort le 14 mars 2024. Il était né en 1948. Au zoo d’Arnhem puis au centre zoologique Yerkes à Atlanta où il s’était installé dans les années 1980 il a étudié le comportement des grands singes qu’il croyait capables de manœuvres politiques, d’empathie, d’intelligence… Il a été accusé de faire de l’anthropomorphisme mais lui pensait que c’était ceux qui refusaient les résultats de ses études qui faisaient de l’anthropodéni.

     

     

    Frans de Waal, Sommes nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?, Les liens qui libèrentSommes nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ? Dans cet ouvrage Frans de Waal traite de la cognition animale. En partant de ses propres études sur les grands singes mais aussi du travail d’autres chercheurs sur d’autres animaux (oiseaux, cétacés, chauves-souris, pieuvres, poissons…) il montre que les animaux sont intelligents : certains utilisent des outils qu’ils améliorent au fil des générations, ils ont des souvenirs, ils se préparent pour des situations à venir. Ils peuvent concevoir beaucoup de choses que les humains conçoivent aussi et l’auteur pense qu’il n’y a pas, en fait, de barrière nette entre intelligence animale et humaine mais plutôt une continuité. J’ai été épatée par ce que montrent certaines expériences ou observations dont j’ai lu le compte-rendu. Ainsi des éléphants d’Afrique à qui on diffuse des enregistrements en plusieurs langues réagissent différemment si l’enregistrement est en massaï -les Massaïs chassent l’éléphant à l’occasion- ou en kamba -les Kambas interviennent rarement dans l’existence des éléphants.

     

     

    Mais, au-delà d’anecdotes sur l’intelligence des animaux, ce que veut montrer Frans de Waal c’est pourquoi cette question de l’intelligence animale fait blocage chez certains scientifiques (de moins en moins cependant, semble-t-il). Il fait donc une historiographie de l’éthologie -étude biologique du comportement animal- apparue avant la seconde guerre mondiale, qui s’est opposée à ses débuts au béhaviorisme (comportementalisme). Les béhavioristes pensent que les animaux n’ont ni désirs ni intentions. Leur comportement n’est que réaction à des stimuli.

    Frans de Waal critique aussi la méthodologie de certaines études, notamment les comparaisons enfants-grands singes. L’enfant est assis sur les genoux d’un de ses parents et testé par un être humain comme lui tandis que le singe est dans une cage et testé par quelqu’un qui n’est pas de son espèce. Pour l’auteur ces comparaisons ne sont pas concluantes car elles « désavantagent considérablement une catégorie de sujets ». Ils faut inventer des tests plus pertinents qui mettent en scène les animaux entre eux ou avec des testeurs auxquels ils soient habitués de longue date.

     

     

    Pourquoi ce refus ou ce déni de l’intelligence animale ? Frans de Waal y voit de la peur comme lorsqu’en 1980 une conférence de linguistes a « demandé l’interdiction officielle de toute tentative pour enseigner le langage à des animaux ». Il y a aussi un fond de croyance religieuse dans l’idée que « notre corps descend du singe, mais pas notre esprit ».

     

     

    J’ai trouvé cette lecture passionnante parce qu’elle m’a appris des choses sur l’intelligence animale mais aussi parce qu’elle interroge sur ce qui motive certains comportements humains. Comme le disait Frans de Waal : « J’ai rapproché les singes des humains en remontant un peu les singes, mais aussi en rabaissant un peu les humains ». Cela me paraît tout à fait bienvenu.


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  • Frédéric Mitterrand, Une adolescence, Robert Laffont L’ancien ministre de la culture (2009-2012, sous Sarkozy) et homme de télévision, Frédéric Mitterrand, est mort le 21 mars 2024. Il était né en 1947 dans une famille bourgeoise du 16° arrondissement de Paris et était le neveu de François Mitterrand. Il a été propriétaire d’une salle de cinéma, a tourné des films et a écrit des livres. A la télé il a animé Etoiles et toiles puis Du côté de chez Fred.

     

     

    Frédéric Mitterrand, Une adolescence, Robert Laffont

     

    Une adolescence. En 1958 Frédéric Mitterrand a onze ans, il en a 22 en 1969. Entre ces deux dates c’est la 5° République du général de Gaulle. A raison d’un chapitre par année l’auteur raconte les événements politique de cette époque qui l’ont marqué. Il est question des essais nucléaires dans le Sahara, de la guerre d’Algérie, de l’assassinat de Kennedy, de la candidature de François Mitterrand aux élections présidentielles de 1965, de mai 68… Il faut connaître un peu l’histoire pour suivre car ce n’est pas un ouvrage historique, les événements ne sont pas expliqués mais décrits comme l’auteur a pu les voir et les comprendre sur le moment, en parallèle avec des épisodes de sa propre vie.

     

     

    Frédéric Mitterrand se présente en enfant puis jeune homme tiraillé entre son admiration pour le général de Gaulle et celle pour « tonton François » (François Mitterrand). Le récit est écrit sur un ton faussement naïf, avec des tournures qui pourraient être celles de l’enfance et qui font ressortir les contradictions des adultes. Ainsi du « surgé » de son lycée, communiste, qui passe ses vacances dans l’Espagne de Franco ou de la critique du milieu bourgeois dans lequel il grandit.

    C’est amusant et plaisant à lire.


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  • Madeleine Chapsal, Le corps des femmes, FayardLa journaliste et autrice Madeleine Chapsal est morte le 12 mars 2024. Elle était née en 1925. Sa mère était la grande couturière Marcelle Chaumont. Elle a été mariée à Jean-Jacques Servan-Schreiber et a travaillé à l’Express où elle a réalisé des interviews de qualité d’écrivains célèbres. Elle a 48 ans quand elle publie son premier roman mais c’est surtout après son départ de l’Express, à 60 ans, qu’elle s’est mise à écrire en continu. Elle est l’autrice d’une centaine de livres, essais, romans, nouvelles, livres pour enfants, poésie, théâtre.

     

     

    Madeleine Chapsal, Le corps des femmes, FayardLe corps des femmes est paru en 2014, l’autrice avait donc près de 90 ans quand elle l’a écrit.

    A une foire aux livres, Madeleine Chapsal constate que les femmes sont bien court vêtues. Elle a alors une sorte de révélation féministe : « le corps des femmes appartient aux hommes », ce qu’elle s’attache à démontrer dans ce court essai. Elle a aussi le pressentiment que la domination masculine est intériorisée par les femmes mais elle ne pousse pas assez sa réflexion. Elle questionne trop peu ses propres formatage et aliénation qu’elle projette sur les autres, ce qui donne un ouvrage entaché de préjugés grossophobes, homophobes, sexistes ; confus et horripilant à lire pour qui a un minimum de conscience féministe.

    Grossophobie et sexisme : les femmes dévêtues, passe encore si elles sont jeunes et jolies mais si elles sont vieilles ou grosses, quelle horreur ! « ces semi-dévêtues ne sont pas d’appétissantes rivales : les « boudins » n’hésitent pas plus à faire l’offrande de morceaux choisis de leurs corps, fussent-ils sans charme ! » C’est moi qui souligne, je reviendrai sur la rivalité entre femmes.

    Homophobie : « Les homosexuels qui parodient la féminité ne tiennent pas pour autant à oublier qu’ils sont des hommes, et leur façon de prendre le dessus sur le corps des femmes consiste à prétendre le dédaigner : « J’ai essayé avec une copine, rien à faire, je n’y arrive pas... »

     

     

    Madeleine Chapsal a une conception très normative de la féminité dont j’imagine qu’elle est due au fait d’avoir grandi dans le milieu de la haute couture et de n’avoir ensuite guère évolué en dehors de la (grande) bourgeoisie parisienne.

    « Où est donc passé ce qui personnifiait la femme : la grâce, la retenue, la mesure, la pudeur ? On ne le repère presque mieux que chez celles qui se réfugient sous une burka…

    Ou chez les toutes petites filles ! A ces mignonnes seulement on réserve la joliesse des fanfreluches féminisantes telles que dentelles, volants, chaussures à barrette, nœuds de ruban ! »

     

     

    Madeleine Chapsal vit les relations entre femmes comme une compétition pour gagner les faveurs masculines. De ce fait elle s’interroge sur le désir des hommes et arrive à la conclusion que c’est bien mystérieux.

    « J’en ai eu un premier aperçu en lisant le livre de Klossowski, Roberte ce soir, illustré par des photos de sa femme, la dénommée Roberte. Plus toute jeune elle était photographiée en porte-jarretelles (en « ja-ja », disent-elles maintenant), ses chairs un peu molles débordant sur le haut des bas… Selon mon esthétique, le spectacle ne pouvait que déplaire. Eh bien, pas du tout, le texte disait à quel point ce semi-déshabillage d’une femme « avancée » était sensuel ! »

    Je suis choquée par le regard méprisant que l’autrice porte sur le corps de Roberte. Un regard qui l’empêche de voir que le désir, celui des hommes comme celui des femmes, il me semble, ne se nourrit pas seulement d’une apparence fraîche mais aussi de ce qui fait l’individualité de la personne, d’une histoire commune, de l’amour, pourquoi pas ?

    Au fond, ce qui transparaît dans cet ouvrage, c’est le dégoût de Madeleine Chapsal pour le corps féminin : « L’affiche du film Le bal des actrices, où l’on voit une douzaine de filles entièrement nues vautrées les unes sur les autres, fait penser à un grouillement de vermine ».

    C’est un aperçu sur la façon de penser d’une femme qu’on a éduquée dans l’idée qu’il fallait absolument plaire aux hommes et qui en est arrivée à porter sur les autres femmes le regard même qu’elle déplore que les hommes portent sur elle. Sur ce point elle me fait penser à certains personnages féminins de la saga des Cazalet. A côté de ça, Madeleine Chapsal a mené une vie professionnelle de femme indépendante.

     

     

     

    Le livre ne compte que 130 pages mais je pourrais multiplier encore les citations malaisantes. Pourtant, Madeleine Chapsal évoque aussi les féminicides -sans utiliser le mot- à un moment où le concept apparaît tout juste en France. Sa révélation féministe m’apparaît comme étant survenue trop tard pour qu’elle soit en mesure de la mener à bien. Dommage.

    Une lecture à éviter ou à prendre avec beaucoup de recul si vous êtes une femme mal à l’aise dans son corps.

     


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  • Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, GallimardLa narratrice, Calista, est une femme d’origine grecque d’une cinquantaine d’années qui s’inquiète au sujet de ses filles, des jumelles de 19 ans. Elle se remémore alors sa propre jeunesse quand, à peine âgée de 20 ans, elle a fait par hasard la connaissance de Billy Wilder qui l’a engagée comme traductrice sur le tournage en Grèce de Fedora, son avant-dernier film. Une expérience qui va marquer la vie de Calista.

     

     

    Nous suivons donc Calista qui découvre le cinéma, l’amour et le brie de Meaux. Les courts passages dans son présent de femme adulte sont de peu d’intérêt. Le récit est surtout l’occasion de nous présenter Billy Wilder et sa façon de travailler, son amitié avec son co-scénariste Iz Diamond, le traumatisme lié à la disparition de sa mère, victime de la shoah. Les personnages sont sympathiques, il y a des passages touchants, d’autres amusants et la lecture est plutôt plaisante mais clairement c’est une œuvre mineure de Jonathan Coe qui sera vite oubliée.


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