• Alice Géraud, Sambre, JC LattèsRadioscopie d’un fait divers. Pendant trente ans, dans le val de Sambre, dans le nord de la France, un homme, Dino Scala, a agressé sexuellement ou violé des dizaines de femmes. C’est le plus grand violeur en série de France. Pour présenter cette affaire, la journaliste Alice Géraud a enquêté dans les archives et rencontré des protagonistes, victimes d’abord, policiers, magistrats… Son ouvrage interpelle : comment un criminel a-t-il pu agir impunément pendant autant de temps sur un si petit territoire, comment la parole des femmes victimes de violences sexuelles est-elle entendue ?

     

     

    Le premier point s’explique d’abord par la grande misère de la police et de la justice dans une région en crise. Les moyens manquent dès les années 1990. A Aulnoye-Aymeries, le commissariat est installé dans une ancienne villa, l’identité judiciaire dans la salle de bain (un nouveau commissariat vient enfin d’être inauguré en 2023). A Avesnes-sur-Helpe (« sur Help » disent les magistrats), le toit du palais de justice s’est effondré. Les magistrats y sont nommés en début de carrière et ne s’éternisent pas. Le manque de moyens c’est aussi l’absence de relations entre les services. En quelques jours une femme peut porter plainte dans un commissariat, une autre dans la gendarmerie de l’autre côté de la rue, une troisième dans la commune voisine, aucun lien n’est fait. Enfin, hélas, il faut parler des négligences de la police, qui me choquent et qui ouvrent la réponse à la seconde question.

     

     

    Pendant des années les victimes ont été maltraitées, leur parole mise en doute, leurs agressions minimisées. Pourquoi étiez-vous habillée comme ça ? Que faisiez-vous dehors à cette heure ? Vous êtes sûre que vous avez été violée ? Est-ce que vous avez eu du plaisir ? On voit à l’oeuvre la culture du viol qui imbibe notre société et c’est pour moi le plus dur à supporter dans cette lecture. J’aimerais croire que de telles questions ne seront plus posées. En écrivant ce compte-rendu je lis que notre président a dit que Depardieu rendait « fière la France » et la colère revient. L’autrice montre bien comment les victimes, dont la plupart n’ont reçu aucun soutien psychologique, ont été marquées à vie.

     

     

    J’ai trouvé cet ouvrage excellent. La quatrième de couverture dit qu’il « change définitivement le regard ». On le souhaite. Attention, cette lecture peut choquer. Non pas tant du fait des descriptions des agressions, l’autrice a évité tout voyeurisme, mais plutôt à cause de la façon dont les victimes ont été traitées ensuite.

     

     

    Les avis de Sunalee, IngannmicKeisha et Kathel.

     

    Alice Géraud, Sambre, JC Lattès

     

    Sambre c’est aussi une série en six épisodes de Jean-Xavier de Lestrade, diffusée récemment sur France 2. C’est par la série que je suis arrivée au livre. Je l’ai trouvée très bien faite. Chaque épisode est construit autour d’un personnage (la victime, la juge, le commandant…). A la lecture j’ai constaté que certaines avancées qui était parfois présentées comme l’oeuvre d’une seule personne dans la série était en fait beaucoup plus le résultat du travail de fourmi de toute une équipe. La série cependant ne néglige pas les personnage secondaires et est capable de les faire évoluer. Je pense notamment au personnage du policier Jean-Pierre Blanchot. C’était un bon choix de regarder d’abord la série puis de lire le livre car je n’ai pas été gênée par les simplifications que l’adaptation a nécessité. Je les ai repérées à la lecture mais j’en ai aussi vu l’intérêt. Du beau travail.

     


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  • Jo Walton, Une demi-couronne, Folio « Ainsi, vous êtes fasciste, Sir Alan ? C’est Betsy qui me l’a dit.
    - Betsy est trop aimable, répliqua-t-il. Et vous Miss Royston, que pensez-vous du fascisme ?
    - J’adore ! Je trouve cela terriblement excitant. »

     

     

     

    Londres, 1960. La jeune Elvira Royston, 17 ans, s’apprête à faire son entrée dans le monde : elle va être présentée à la reine. Mais sa vie bascule alors qu’elle assiste à une marche aux flambeaux des Ironsides, une milice fasciste. Le défilé tourne à l’émeute, Elvira est arrêtée par la police et accusée d’être une opposante au régime autoritaire du premier ministre Mark Normanby. Depuis l’épisode précédent de cette série, Peter Carmichael, tuteur d’Elvira, est devenu le chef du Guet, la police politique britannique. Il est entraîné dans la tourmente à la suite de sa pupille, soupçonné de jouer un double jeu (dans son cas, c’est vrai). Nos héros parviendront-ils à s’en sortir ? Le suspense est grand jusqu’à la fin de ce tome qui clôt en beauté la trilogie du subtil changement.

     

     

    Dans cette uchronie, l’Allemagne nazie dirigée par un Hitler vieillissant vient de gagner la guerre de vingt ans et s’apprête à participer à Londres à une conférence de la paix. Sa venue agite des groupuscules qui réclament « le pouvoir aux Anglais ». Ils s’opposent à l’envoi des Juifs et des communistes dans les camps de la mort du continent et pensent que l’Angleterre devrait avoir les siens. Mais il existe aussi des Justes qui font passer les Juifs en Irlande, en Nouvelle Zélande ou à Zanzibar.

     

     

    Jo Walton utilise toujours le même procédé de narration, alternant entre un chapitre dont la narratrice est une jeune femme de la bonne société -ici Elvira Royston que nous voyons évoluer et se politiser face à l’adversité- et un chapitre en focalisation externe qui suit Carmichael. Cela permet d’avoir plusieurs points de vue.

    Voici une série très bien faite parce qu’elle s’appuie sur des faits historiques pour opérer un subtil changement plutôt crédible. Elle est aussi un avertissement pour le temps présent : le fascisme avance pas à pas. Le roman se termine sur une note d’espoir plutôt jubilatoire même si pas forcément très crédible. Je pense que je relirai Jo Walton.

     

     

    Les avis d’Henri et d’Elaine.


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  • Frank Tallis, La valse de Méphisto, 10-18Vienne, 1904. Un homme est retrouvé abattu d’une balle dans la tête et le visage détruit à l’acide. En face du corps, trois chaises alignées comme pour un jury d’honneur. Pour résoudre cette affaire, l’inspecteur de police Oskar Rheinhardt et son ami le médecin psychiatre Max Liebermann sont ouverts à l’utilisation des techniques les plus en pointe de l’époque : empreintes digitales pour Rheinhardt, analyse des suspects pour Liebermann, disciple de Freud. Nos héros seront amenés à enquêter dans les rangs des militants anarchistes qui prônent l’égalité femmes-hommes et l’amour libre et sont prêts à pratiquer des « actes de propagande par le fait » (= attentats) pour faire avancer leurs idées.

     

     

    Voici une série que j’ai suivie depuis son premier épisode. En 2011 l’éditeur annonçait en quatrième de couverture de Petite musique de la mort que la série se terminait là. Je l’ai cru. Je découvre donc avec retard qu’un septième tome est paru en 2018. Aussitôt je le commande chez mon libraire. Je retrouve avec plaisir ce duo d’enquêteurs. Amateurs de musique, les deux amis se retrouvent aussi pour pratiquer : Max joue du piano et Oskar chante. Je trouve la description de leur vie privée fort sympathique. Amoureux d’Amelia Lydgate, une jeune scientifique britannique, Max hésite à la présenter à ses parents car elle n’est pas Juive. Epoux amoureux et père de famille attentionné, Oskar enseigne à sa fille comment se défendre contre une camarade harceleuse. C’est une lecture plaisante.

     

     

    Cette série policière a été adaptée à la télévision sous le titre Les carnets de Max Liebermann (Vienna blood). Il y a trois saisons parues à ce jour. J’ai été déçue par cette adaptation où les circonstances de la vie privée de nos héros ont été modifiées : exit Miss Lydgate, exit la vie de famille tendre et chaleureuse de Rheinhardt, exit aussi les séances musicales des deux amis.

     

    Frank Tallis, La valse de Méphisto, 10-18

     


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  • A. S. Byatt, Possession, Le livre de pocheL’écrivaine britannique Antonia Susan Byatt est morte le 16 novembre 2023. Elle était née en 1936. Elle avait été lauréate du Booker prize en 1990 pour son roman Possession et elle était traduite en plus de 30 langues. Elle aimait « les romans avec un grand nombre de personnes et de perceptions, pas ceux qui adoptent un seul point de vue étroit, celui de l’auteur ou d’un personnage ».

     

     

     

    A. S. Byatt, Possession, Le livre de pochePossession. Roland Michell est un jeune universitaire, assistant du professeur Blackadder, spécialiste du poète victorien Randolph Henry Ash. Quand Roland découvre deux lettres inédites adressées par Ash à la poétesse Christabel LaMotte il veut en savoir plus sur la relation entre les deux personnages. Avec la professeure Maud Bailey, spécialiste de LaMotte, ils vont mener l’enquête sur les lieux mêmes de vie des deux poètes et déterrer un secret qui pourrait bien bouleverser l’approche de l’oeuvre de ces auteurs.

     

     

    Ce roman voit nos héros du présent, Roland et Maud, lancés dans une véritable enquête sur les traces des héros du passé, Ash et LaMotte. Les indices sont à trouver dans l’oeuvre de ces derniers mais aussi dans d’autres documents du 19° siècle qui révèlent leurs secrets quand on sait ce qu’on y cherche. L’autrice intègre de longs extraits de ces documents (fictifs, comme Ash et LaMotte) dans son ouvrage : correspondance, journaux intimes, poèmes… S’ils me semblent bien imités je les ai souvent trouvés trop longs et lus en diagonale. Y sont évoqués les sujets qui occupent les intellectuels de l’époque : religion, spiritisme, évolution des espèces… A travers le cas de LaMotte et d’autres aspirantes femmes de lettres est abordée la difficulté pour une autrice d’être prise au sérieux au 19° siècle mais aussi au 20° siècle puisque LaMotte passe encore pour une écrivaine mineure aux yeux de beaucoup d’universitaires, uniquement étudiée par les féministes.

     

     

    A. S. Byatt s’attaque avec ironie au monde universitaire et à la concurrence à laquelle se livrent les chercheurs car Roland et Maud ne sont pas les seuls à s’intéresser aux lettres perdues. Le professeur Mortimer Cropper, un Américain collectionneur de tout ce qui touche de près ou de loin à Ash est résolu à dépenser beaucoup d’argent, voire même à utiliser des moyens illégaux pour mettre la main sur la précieuse correspondance.

    J’ai aimé l’aspect de roman gothique, la course au trésor et son dénouement qui m’a mis la larme à l’oeil mais j’ai trouvé ce roman un peu long (668 pages à mon édition).

     

     

    A. S. Byatt, Possession, Le livre de poche

     

     

    Possession a été adapté au cinéma en 2002 par Neil LaBute avec Jennifer Ehle (Christabel LaMotte), Jeremy Northam (Randolph Ash), Gwyneth Paltrow (Maud Bailey) et Aaron Eckhart (Roland Michell). Pour faire tenir plus de 600 pages dans une heure et demie il a fallu simplifier l’intrigue et supprimer quelques personnages secondaires. Le résultat est gentil mais ne laissera pas un souvenir impérissable. Le film pâtit sans doute d’avoir été visionné peu après avoir lu le livre. La bande annonce s'est focalisée sur la romance.

     

     

     


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  • Jo Walton, Hamlet au paradis, FolioLondres, 1949 . Deux semaines après le dénouement de l’affaire du Cercle de Farthing, l’inspecteur Carmichael de Scotland yard est appelé sur les lieux de l’explosion d’une villa, qui a entraîné la mort de son occupante, l’actrice Lauria Gilmore, et d’un homme méconnaissable. Un attentat fomenté par les Juifs et les communistes ? L’inspecteur arrive cependant rapidement à la conclusion que Gilmore et son compagnon ont été tués par la bombe qu’ils étaient en train de fabriquer. Mais dans quel but ? Le lecteur, lui, le sait bien avant la police car, si un chapitre sur deux est consacré à l’enquête de Carmichael, l’autre est la confession de l’actrice Viola Lark, impliquée dans le complot dont il est question ici, un procédé déjà utilisé dans le précédent tome de cette série.

     

     

    Je retrouve avec plaisir l’Angleterre de plus en plus fasciste et antisémite d’une uchronie où l’Allemagne nazie domine l’Europe -ce n’est pas cette situation fictive qui me fait plaisir mais l’histoire palpitante et l’envie d’en connaître le dénouement. Le nouveau premier ministre, Mark Normanby, vient de rendre obligatoires les cartes d’identité avec mention de la religion et s’apprête à mettre en place une sorte de Gestapo britannique. Le personnage de Viola Lark, au départ ne se posant pas de questions sur la situation politique puis prenant conscience de ce qui se passe, est intéressant. Cette fille de la grande noblesse a rompu avec sa famille en devenant actrice. Elle est l’une des six célèbres sœurs Larkin dont l’une est communiste et une autre nazie (elle a épousé Himmler), inspirées des sœurs Mitford, semble-t-il. J’ai donc beaucoup apprécié ce deuxième épisode de la trilogie du subtil changement. Le troisième vient d’arriver de chez le libraire.


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  • Jo Walton, Le Cercle de Farthing, FolioAngleterre, 1949. Huit ans auparavant, à l’instigation d’un groupe d’hommes politiques nommé le « Cercle de Farthing », le pays a signé avec l’Allemagne nazie une paix séparée, la « paix dans l’honneur ». Depuis, les frontières du Reich s’arrêtent à la Manche. Aujourd’hui, lady Eversley convie les membres du Cercle à un week-end dans la propriété familiale de Farthing. Parmi les invités, Lucy et David Kahn. Fille de lady Eversley Lucy a, au grand déplaisir de sa mère, épousé un Juif. Mais voici que sir James Thirkie, principal artisan de la paix avec Hitler, est retrouvé assassiné, une étoile en tissu jaune comme en portent les Juifs sur le continent, plantée sur sa poitrine à l’aide d’un poignard. Pour la plupart il ne fait aucun doute que seul un Juif peut être l’auteur de ce crime misérable. David Kahn fait donc un coupable tout trouvé. Chargé de l’enquête, l’inspecteur Carmichael de Scotland yard ne croit pas aux « indices » trop évidents que l’on sème sur son chemin. David peut aussi compter sur le soutien de sa femme.

     

     

    J’ai apprécié la description de cette aristocratie britannique très imbue de sa classe. Pour en être issue, Lucy comprend de quoi ces gens sont capables pour préserver leurs privilèges. David, lui, croit qu’il peut se faire accepter dans ce monde en se montrant plus Anglais que les Anglais.

    Dans cette uchronie la guerre se poursuit en URSS tandis que c’est Charles Lindbergh qui est le président des Etats-Unis. En Grande-Bretagne règne un antisémitisme d’atmosphère. Ainsi on ne parle pas de seconde guerre mondiale mais de « guerre des Juifs ».

    En partant de faits historiques l’autrice a très habilement opéré un léger décalage avec la réalité et rendu fort crédible le cadre de son roman. La narration alterne un chapitre du journal de Lucy sur les événements et un chapitre de l’enquête de Carmichael en focalisation externe. Ce procédé bien mené permet au lecteur d’avoir accès à divers aspects de l’affaire.

    Je découvre Jo Walton avec cet excellent roman. Nul doute que je reviendrais vers cette autrice en commençant par lire la suite de la trilogie du subtil changement dont Le Cercle de Farthing constitue le premier volet.


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  • Henri Lopes, Il est déjà demain, JC LattèsL’écrivain congolais Henri Lopes est mort le 2 novembre 2023. Il était né en 1937 à Léopoldville (Congo belge, aujourd’hui Kinshasa) mais c’est au Congo-Brazzaville, le pays de sa mère, qu’il a grandi et choisi de revenir s’installer à l’âge adulte. Il y a fait carrière aux plus hautes responsabilités mais il a toujours placé au-dessus des autres le métier d’écrivain. Il est l’auteur d’une douzaine de livres, majoritairement des romans.

     

     

     

     

    Henri Lopes, Il est déjà demain, JC LattèsIl est déjà demain est un récit autobiographique paru en 2018. Métis, fils de deux métis, Henri Lopes remonte sa généalogie jusqu’à ses deux grands-pères blancs, l’un Belge, l’autre Français. Malgré le patronyme, aucun Portugais à l’horizon : l’auteur explique la façon dont le colonisateur modifiait le nom des métis.

    Après la séparation de ses parents, Henri grandit à Brazzaville avec sa mère. Elle épouse un Français et, à 12 ans, Henri est envoyé poursuivre ses études au lycée de Nantes. J’ai trouvé passionnante la partie qui porte sur la petite enfance. Henri Lopes restitue de façon vivante et touchante les souvenirs de cette époque. Il grandit dans un Congo qui est encore colonie française et pendant la guerre. Ce qu’il dit de cette période me rappelle ce que me racontait un grand-oncle qui fut administrateur colonial en Afrique.

     

     

    Une fois le bac en poche, l’auteur étudie l’histoire à la Sorbonne. Parallèlement il milite à la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France) et au PAI (Part Africain de l’Indépendance), deux mouvements marxistes-léninistes. Il y fait la connaissance d’une bonne partie de la future élite de l’Afrique décolonisée. Lui-même, en 1965, devient professeur à l’ENS de Brazzaville puis ministre de l’éducation nationale du Congo (1969-1972), ministre des affaires étrangères (1972-1973) et premier ministre (1973-1975). Dans les années 1980 et 1990 il travaille pour l’UNESCO à Paris, enfin, en 1998, il devient ambassadeur du Congo en France.

    J’ai été très intéressée par ce que l’auteur dit de sa formation et de sa carrière politique. Henri Lopes montre bien, à travers son cas, comment les dirigeants des pays nouvellement indépendants ne connaissaient pas grand-chose à la gestion d’un Etat et se sont, en quelque sorte, formés sur le tas. Quant à moi je découvre un pan de l’histoire de l’Afrique dont je ne connais pas grand-chose, il faut bien le dire.

     

     

    C’est donc une lecture que j’ai grandement appréciée. De par les fonctions qu’il a occupées, Henri Lopes a eu l’occasion de croiser bon nombre de dirigeants et d’intellectuels d’Afrique mais aussi d’Europe et des pays communistes. Il a un vrai talent de conteur pour raconter des anecdotes liées à ces rencontres. Ca a parfois un côté très mondain mais c’est fait avec une forme de modestie qui fait que l’énumération de ces célébrités qui lui donnent du « cher Henri » ne m’indispose pas. Henri Lopes m’apparaît comme un homme attaché au Congo et aux Congolais, par delà à l’Afrique et aux Africains. Elevé dans deux cultures, marié à une Antillaise, il célèbre le brassage des cultures, le métissage. Il est enfin fidèle a ses amis et a pour sa famille et ses proches des mots très touchants. Tout ceci est écrit dans une langue généralement fort bien maîtrisée et plaisante à lire avec quelques formules désuètes qui m’enchantent.


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  • Anne Stern, La noyée de Berlin, Pocket Berlin, 1922. Hulda Gold est sage-femme ambulante (libérale) dans le quartier populaire de Schöneberg. C’est au chevet d’une de ses patientes qu’elle entend parler de Rita Schönbrunn, une prostituée retrouvée noyée dans le canal de Landwehr. L’inspecteur Karl North mène l’enquête sur cette mort. Bien que Hulda ne soit pas insensible à son charme, elle ne peut s’empêcher de se demander s’il ne fait pas traîner exprès l’affaire. Elle décide d’enquêter de son côté.

     

     

    J’ai trouvé très plaisante la lecture de ce policier. A la suite d’Hulda en visite chez les parturientes le lecteur découvre les logements ouvriers souvent insalubres et sans lumière et croise des enfants des rues victimes de la pauvreté ou de la guerre. Il arrive aussi à notre héroïne d’officier dans des secteurs plus bourgeois. Quelque soit le quartier j’ai aimé les descriptions vivantes de Berlin qui m’ont donné envie de visiter cette ville et ses cafés.

     

     

    Sage-femme compétente, Hulda a acquis son expérience par la pratique de terrain. Il lui arrive à l’occasion de croiser la route de médecins obstétriciens qui lui apparaissent imbus de leur savoir théorique et trop peu à l’écoute du ressenti des femmes. Elle est ainsi en désaccord avec leur volonté d’imposer l’accouchement couché. Il lui apparaît que l’accouchement debout, comme il se pratique depuis toujours, est plus efficace et naturel. Un autre personnage, infirmière en psychiatrie, est aussi une femme de terrain qui constate le peu d’efficacité voire même la violence des méthodes préconisées par les médecins sous les ordres desquels elle travaille. Pendant la guerre son expérience l’a ainsi amenée à penser que les soldats revenus du front traumatisés n’étaient pas des simulateurs. J’ai apprécié la réflexion menée sur cette opposition entre femme de terrain et homme de science.

     

     

    Il y a enfin une romance entre Hulda et Karl, tous deux des cabossés de la vie et, en toile de fond politique la montée de l’extrême-droite avec la haine de la république et le désir d’un Etat fort qui s’expriment de plus en plus ouvertement. Notre héroïne ne s’intéresse pas à ces questions. Pas sûr qu’elle puisse continuer longtemps à s’aveugler. Le tome 2 de cette nouvelle série est déjà paru, je l’achèterai dès qu’il paraîtra en poche (janvier 2024).

     

     

    L’avis de Sacha.

     

    Je participe au mois des Feuilles allemandes organisé par Et si on bouquinait un peu et Livr’escapades

     

    Anne Stern, La noyée de Berlin, Pocket

     

     

     

     

     

     

    et au défi Sous les pavés, les pages organisé par Ingannmic et Athalie.

     

    Anne Stern, La noyée de Berlin, Pocket


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  • Jan Brokken, Les Justes, Noir sur BlancComment un « visa pour Curaçao » permit de sauver des milliers de Juifs

    En 1940 le Néerlandais Jan Zwartendijk est directeur de la filiale lituanienne de Philips à Kaunas quand il est nommé consul des Pays-Bas. La Lituanie est alors devenue un lieu de refuge pour des milliers de Juifs polonais fuyant le nazisme. Au mois de juin 1940, quand les troupes soviétiques envahissent la Lituanie, les réfugiés commencent à chercher une autre destination. C’est alors que Jan Zwartendijk a l’idée de signer des « visas » pour Curaçao, colonie antillaise des Pays-Bas. Complétés par un visa de transit au Japon, signé par Chiune Sugihara, consul du Japon à Kaunas, ils permettent à leurs détenteurs de traverser l’URSS en train, de s’embarquer à Vladivostok pour le Japon puis, de là, de chercher un nouveau point de chute. Curaçao n’est qu’une excuse. Les exilés n’y iront pas. La grande majorité passera le reste de la guerre à Shanghaï.

     

     

    Pendant un mois, avant que leurs consulats soient fermés, Zwartendijk et Sugihara signent des visas à la chaîne, sauvant ainsi la vie à au moins 6000 Juifs. Jan Brokken a enquêté sur quasiment tous les aspects de cette filière d’évasion. En travaillant à partir d’archives et d’ouvrages d’historiens, en interrogeant les survivants ou leurs descendants, en se rendant sur les lieux, il a mis à jour la chaîne de solidarités et de complicités qui a permis cette vaste opération de sauvetage. Il montre aussi comment l’action de ces héros modestes a été tardivement reconnue : en 1963, quand le ministère des affaires étrangères des Pays-Bas découvre à quoi Jan Zwartendijk a occupé son poste de consul à Kaunas, il le convoque pour passer un savon au retraité.

     

     

    J’ai trouvé cette lecture fort intéressante. Jan Brokken explore son sujet tous azimuts. Jan Zwartendijk a travaillé pour Philips ? Présentation de la politique de Philips sous le nazisme pour mettre à l’abri ses salariés juifs (dès 1932 des cadres juifs de Philips en Europe sont mutés en Amérique). Jan Zwartendijk conduit une Buick Roadmaster ? Rapide topo sur la Buick Roadmaster. Biographie des protagonistes de la naissance à la mort, autant que possible. En même temps l’auteur nous fait part du déroulement de ses recherches, de ses difficultés et de ses sentiments, ce qui est une façon de travailler que j’aime bien. L’Europe centrale d’avant la seconde guerre mondiale, héritière de l’empire austro-hongrois, où se déroulent une partie des événements racontés ici, m’apparaît comme un espace cosmopolite. Je ne peux m’empêcher de penser que l’Europe actuelle, avec la multiplication des Etats-nation, a perdu en richesse culturelle.


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  • Vicki Baum, Grand hôtel, Le livre de poche A la fin des années 1920 -le roman est paru en 1929- dans le Grand hôtel de Berlin, l’hôtel le plus luxueux de la capitale, différents personnages se croisent.

    Il y a la Grousinskaïa, une danseuse classique vieillissante qui continue de se produire malgré un succès mitigé et une fatigue grandissante. Elle fait la connaissance du baron Gaigern, un très beau jeune homme qui finance son train de vie dispendieux en faisant le rat d’hôtel. Gaigern sert de guide des plaisirs berlinois à Kringelein, un provincial falot. Atteint d’une grave maladie, ce dernier a décidé de mener la grande vie en attendant la mort mais ne sait pas trop comment s’y prendre.

    Au Grand hôtel Kringelein croise Preysing, le patron de l’entreprise textile dans laquelle il était employé comme comptable. Alors qu’il négocie la fusion de son entreprise avec les Produits tricotés de Chemnitz, Preysing loue les services de la jeune Flammèche, une secrétaire qui, pour arrondir ses fins de mois, pose nue ou se vend comme escort girl. Toutes ces allées et venues sont observées par le docteur Otternschlag, une gueule cassée qui soigne ses traumatismes à la morphine.

     

     

    Gaigern vole, Flammèche se prostitue mais l’autrice ne porte aucun jugement moral sur ces agissements qui apparaissent comme des gagne pain. Ces deux personnages sont avant tout jeunes, beaux et capables de compassion. Le hall du Grand hôtel, nous dit Vicki Baum, est comme une métaphore de la vie dont il faudra bien sortir un jour par la porte toujours ouverte.

    Mon avis sur ce roman est mitigé. Il m’a semblé inégal avec des passages ennuyeux -les trop longues négociations d’affaire de Preysing- et d’autres plus plaisants -la transformation de Kringelein une fois qu’il a enfilé un costume du meilleur tailleur.

    Je trouve intéressante la présence des séquelles visibles de la guerre : le docteur Otternschlag, le liftier manchot et Gaigern, ancien combattant qui exprime ses difficultés de réinsertion.

    « Au retour, cela n’a pas été tout seul. Quand l’un de nous disait « là-bas », c’est comme s’il disait « chez moi »… ou presque. Nous vivons maintenant, en Allemagne, comme dans un pantalon devenu trop étroit. On est devenu indiscipliné et on n’a pas de place »

    Bientôt les nazis, dont il n’est pas encore question ici, n’auront plus qu’à saisir ce mal être.

     

     

    Je participe au mois des Feuilles allemandes organisé par Et si on bouquinait un peu et Livr’escapades.

     

    Vicki Baum, Grand hôtel, Le livre de poche


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