• Aurélia Michel, Un monde en nègre et blanc, Points

     

    Aurélia Michel, Un monde en nègre et blanc, PointsEnquête historique sur l'ordre racial

    "Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-même chrétiens". Montesquieu.

     

    A partir d'une étude historique sur les conditions de la traite atlantique et de l'esclavage d'abord, du travail forcé dans les colonies dans un deuxième temps, Aurélia Michel développe la thèse selon laquelle l'esclavage puis la colonisation sont les bases de la mise en place d'un mythe du Blanc et du Noir (le non-Blanc) et de la notion de race qui imprègne encore notre monde contemporain. Autrement dit ce n'est pas parce qu'ils étaient racistes que les Européens sont allés prendre des Noirs d'Afrique pour en faire des esclaves mais c'est parce qu'ils ont réduit les Noirs en esclavage qu'ils sont devenus racistes.

     

     

    Le mot "nègre" désigne l'esclave acheté en Afrique mais aussi le Noir. Ainsi il se crée une association entre Noir et esclave, le Noir apparaît comme destiné à être esclave.

    L'esclavage génère violence concrète et violence symbolique. Ces deux aspects sont étudiés par l'autrice. Les manifestations de la violence concrète sont faciles à saisir, les aspects symboliques plus compliqués. Mais c'est aussi ce qui était nouveau pour moi.

    L'esclave c'est celui qui n'a pas de relations de parenté. En Afrique les personnes sont arrachées à leur famille lors de leur capture. En Amérique au 18° siècle c'est très rare que les esclaves aient des enfants. Leurs terribles conditions d'existence ne le permettent pas. Sur la plantation caraïbe la durée de vie au travail ne dépasse pas dix ans et la moyenne tourne autour de sept ans. Les esclaves sont renouvelés par la traite. Si certains ont des enfants de toute façon chacun peut être vendu de son côté. On ne peut pas laisser les nègres avoir une famille car ce serait reconnaître leur appartenance à l'humanité.

     

     

    Si la violence physique est nécessaire pour forcer le nègre à travailler elle l'est aussi pour nier son humanité. Mais en même temps qu'il détruit l'humanité de l'esclave le tortionnaire détruit une part de la sienne propre. Cette violence a un coût psychologique important pour le colon qui la délègue autant que possible. Soit en confiant son bien à un gérant, soit en vivant cloîtré dans sa demeure et en laissant les contremaîtres faire le travail dégradant de la violence.

    La fiction du nègre c'est qu'il n'est pas un être humain. La fiction du Blanc c'est qu'il serait le seul à avoir une filiation et donc, de ce fait, il ne pourrait pas avoir de lien de parenté avec le nègre. C'est pourquoi l'existence de métis, qui est une brèche dans cette fiction, est particulièrement mal acceptée.

     

     

    Le moment de l'abolition de l'esclavage (milieu du 19° siècle) correspond à celui de la conquête coloniale. Les mêmes fictions sont reprises. Le travail forcé remplace l'esclavage. Il s'agit de civiliser le nègre. Or, puisque la justification de la conquête réside dans l'entreprise de civilisation du nègre, celui-ci devient de moins en moins civilisable. Au besoin on l'ensauvage à nouveau : l'administration scolaire recommande aux instituteurs de s'adresser aux enfants indigènes en parlant "petit nègre".

     

     

    Le cadre de l'étude court jusqu'en 1950. En conclusion cependant l'autrice aborde des problématique contemporaines. Elle a rapporté auparavant l'histoire d'une maîtresse créole qui, à la fin du 18° siècle, noya le nouveau-né de son esclave qui l'importunait par ses cris. La mère fut ensuite fouettée pour qu'elle arrête de pleurer. Aurélia Michel revient sur ce meurtre : "noyer un nouveau-né et fouetter sa mère, regarder mourir un condamné sans ciller, c'est faire que le nègre reste nègre, c'est le faire nègre à nouveau pour s'assurer qu'il est bien nègre et que ce ne sont pas nos enfants, nos oncles, nos amis qui meurent noyés en Méditerranée".

    Enfin, elle fait le parallèle entre lutte contre le racisme, contre le sexisme et contre l'homophobie et appelle de ses voeux une société de l'égalité. En finir avec la race, dit-elle, c'est en finir avec le mythe de la filiation biologique comme organisation du social.

     

     

    J'ai apprécié cette lecture. Tout ce qui est faits historiques m'a fort intéressée. L'analyse, surtout quand l'autrice aborde le champ du symbolique, a été parfois un peu plus ardue pour moi ce qui peut aussi être enthousiasmant car ce texte engagé m'a donné matière à réflexion et m'a ouvert des perspectives. Je n'ai donc pas regretté de m'y être attelée.


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  • Commentaires

    1
    Lundi 28 Septembre 2020 à 08:29

    Voilà qui est très intéressant...

      • Lundi 28 Septembre 2020 à 10:14

        En effet.

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