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Boris Pahor, Pèlerin parmi les ombres, La petite vermillon
L'écrivain italo-slovène Boris Pahor est mort le 30 mai 2022. Il était né en 1913, il est mort à 108 ans ! Il était né autrichien et était devenu italien à cinq ans, sans quitter Trieste. Sa langue maternelle était le slovène et il a été marqué à vie par l'incendie, en 1920, de la maison de la culture slovène par les fascistes qui ont ensuite italianisé jusqu'aux noms sur les pierres tombales. Arrêté en janvier 1944 pour faits de résistance il est déporté au camp de concentration du Struthof, dans les Vosges, puis à Dachau, Dora et Bergen-Belsen. La plupart de ses oeuvres sont inspirées de cette expérience.
Pèlerin parmi les ombres. En 1966 Boris Pahor visite le camp du Struthof où il fut interné 40 ans auparavant. Le fait de s'y retrouver en compagnie de touristes l'amène à s'interroger sur leur présence en ces lieux. S'il est content que le camp soit devenu un lieu de mémoire, il est en même temps "plutôt satisfait de constater que le monde des camps est incommunicable". Cette visite est l'occasion de se remémorer les conditions de détention et les camarades morts ici. A son arrivée au Struthof Boris Pahor a été affecté à un poste d'infirmier. Il est conscient qu'il doit sa survie à cette fonction et le complexe de culpabilité du survivant le tourmente : il a mangé le pain des malades morts à l'infirmerie.
L'auteur décrit dans des termes parfois crus le froid, la faim, la maladie, la déchéance physique. Il analyse les conséquences de la peur permanente qui neutralise les sentiments pour qu'ils n'atteignent pas l'instinct de conservation. Cependant il dit aussi la solidarité et les relations de camaraderie ou même d'amitié qu'il a tissés avec certains détenus. Ce récit est un hommage à ces hommes et notamment à ceux qui sont morts, à qui il s'agit de restituer leur humanité :
"Nous aurions dû prendre carrément la parole non seulement pour les camarades réduits en cendres, pour leur honneur mais surtout pour rappeler à la conscience des hommes la valeur de leur sacrifice qui, plus encore que le sacrifice au combat, touche au patrimoine de l'humanité".
Enfin Boris Pahor s'interroge sur le bien et le mal et sur la responsabilité du peuple allemand. Il s'oppose à son ami André Ragot, détenu lui aussi au Struthof qui, dans son livre NN Nuit et brouillard paru en 1945, se demande "s'il ne conviendrait pas d'anéantir le peuple qui a donné Nietzsche, Hitler et Himmler et les millions d'exécutants de leurs ordres et de leurs idées". Sans négliger la responsabilité des individus Boris Pahor pense qu'il "faut auparavant demander des comptes à la société qui les a éduqués".
C'est un livre que j'ai trouvé puissant. Pas toujours facile à lire, par son sujet -de nombreux passages sont poignants- mais aussi par la prose exigeante qui demande des efforts de concentration. On passe ainsi, par exemple, sans avertissement, de Boris Pahor visitant le camp du Struthof en 1966 à Boris Pahor prisonnier dans ce même camp voire, dans des scènes hallucinatoires, à Boris Pahor se rêvant dans le camp, entouré des ombres de ses camarades morts. Ce texte complexe restitue bien, il me semble, la complexité des sentiments et de la pensée de l'auteur.
Tags : Disparition, Nazisme, Récit autobiographique
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Commentaires
Je ne savais pas qu'il était décédé. En tout cas, merci beaucoup pour ta chronique ; j'ai acheté le livre il y a quelques semaine et je planifie de le lire dans quelques semaines à l'occasion de notre semaine thématique consacrée à l'Holocauste. Je note qu'il me faudra de la concentration mais je suis d'ores et déjà séduit par ce que tu en dis. Patrice
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Vendredi 25 Novembre 2022 à 09:18
J'ai commencé moi aussi à préparer cette semaine thématique mais Pahor a été interné pour faits de résistance, en camps de concentration. Il est très peu question des déportés juifs et donc on n'est pas dans le sujet de la shoah, si je peux me permettre.
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Je retrouve, évidemment, beaucoup d'aspects que j'avais notés pendant ma lecture de son recueil de nouvelles Arrêt sur le Ponte Vecchio (mais dans lequel il parle aussi des événements marquants de son enfance). Un recueil que j'avais chroniqué au cours de la 107e année de vie de Boris Pahor - et à l'époque j'étais déjà impressionnée en écrivant qu'il avait l'âge de 107 ans!
Il évoque ici aussi l'incendie de la maison de la culture slovène et l'italianisation des noms.
Je lirai ce Pèlerin parmi les ombres, mais j'ai prévu d'abord de relire et chroniquer son Printemps difficile, qui porte un peu plus sur "l'après" de l'expérience des camps.