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Camille Kouchner, La familia grande, Seuil
Camille Kouchner a commencé à écrire ce livre après la mort de sa mère, Evelyne Pisier. Elle y raconte son enfance dans une famille de la bourgeoisie intellectuelle qui a placé la liberté au sommet de ses valeurs. Evelyne est une femme libre et somme sa fille d'être libre aussi. Les parents divorcent quand Camille a six ans :"Tu n'as pas le droit de pleurer, je suis beaucoup plus heureuse comme ça (...) Pas question d'avoir des enfants idiots, des enfants caricatures. Le divorce est une liberté." A plusieurs reprises cette liberté imposée aux enfants m'apparaît comme une façon de se dédouaner de ses devoirs parentaux. Plus tard ce sont Camille et son frère jumeau Victor qui prennent le relai des baby-sitter pour s'occuper des petits frère et soeur. J'ai l'impression que les enfants sont des faire-valoir pour des adultes autour de qui tout doit tourner. Il s'agit de mettre en scène une famille libérée, ce que les enfants peuvent ressentir ne compte pas -ou plutôt il n'est pas imaginable que les enfants puissent ressentir autre chose que ce que ressentent les adultes.
Quand Evelyne se met en couple avec Olivier celui-ci remplace Bernard auprès de Camille, ce père trop souvent absent et aux colères qui font peur aux enfants. La famille passe alors tous les étés à Sanary, dans la grande propriété familiale d'Olivier. On y accueille aussi de nombreux amis. Tous ensemble ils se donnent le nom de Familia grande et forment une petite cour autour d'Olivier et Evelyne. Ici aussi la liberté est de rigueur. On se baigne nu dans la piscine:"Dis donc, ça pousse ma Camouche! Mais tu ne vas tout de même pas garder le haut? T'es pas comme Mumu la coincée!". C'est Olivier qui parle et Muriel, meilleure amie d'Evelyne, est moquée pour sa pudeur. L'exhibition comme preuve de liberté sexuelle, les amis témoins et complices qui ne disent rien pour ne pas être exclus du microcosme, tout cela me fait penser à ce que j'ai lu dans La fabrique des pervers.
Longtemps la relation entre Camille et sa mère est fusionnelle mais cela cesse après le suicide de Paula, la grand-mère maternelle. Evelyne sombre alors dans la dépression et l'alcoolisme, elle se replie sur elle-même. Aux enfants on n'explique rien. Paula a fait un choix, c'était son droit, il est interdit d'être triste. Evelyne se saoule, c'est son droit. C'est peu après que Victor révèle à Camille qu'Olivier, le beau-père adoré, a abusé de lui. Les jumeaux ont 14 ans. Cet inceste survient à la moitié du livre. A partir de ce moment je retrouve ce que j'ai lu dans d'autres témoignages de victimes. Le chantage affectif pour les faire taire. Au suicide dans cette famille où le sujet est particulièrement sensible. La honte ressentie par Victor, la culpabilité par Camille qui a gardé le secret à la demande de son frère. Quand, des années plus tard, Victor parle enfin Evelyne minimise le crime et se pose en victime de ses enfants.
J'ai été touchée par cette lecture, par les violences que l'on a fait subir à ces enfants. Camille Kouchner a des raisons d'en vouloir à son père et à sa mère. Cela apparaît clairement mais elle ne s'est pas arrêtée au ressentiment. Elle a fait un vrai travail sur elle même et, si elle voit bien les manques de ses parents, elle est capable aujourd'hui d'en voir aussi les qualités. Cela m'a impressionnée.
L'avis d'Henri.
Je participe au défi Voix d'autrices, catégorie Une histoire qui parle de problème(s) de société.
Tags : Récit autobiographique, Défi/Lecture commune
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