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Edith Wharton, Chez les heureux du monde, Le livre de poche
"Percy Gryce l'avait assommée tout l'après-midi -rien que d'y songer semblait réveiller un écho de sa voix monotone-, et pourtant elle ne pouvait l'ignorer le lendemain, il lui fallait poursuivre son succès, se soumettre à plus d'ennui encore, être prête à de nouvelles complaisances, à de nouvelles souplesses, et tout cela dans l'unique espoir que finalement il se déciderait peut-être à lui faire l'honneur de l'assommer à vie."
Lily Bart est une jeune américaine de bonne famille mais sans argent. Nous sommes au début du 20° siècle (le roman a été écrit en 1905), elle a 20 ans et il est donc urgent qu'elle fasse un beau mariage. Pour cela Lily sait qu'elle peut compter sur son charme et sa beauté:
"L'endroit était charmant, et Lily n'était pas insensible à son charme, ni au fait que sa propre présence le rehaussait encore ; mais elle n'était accoutumée à goûter les joies de la solitude qu'en société, et cette combinaison d'une belle jeune fille et d'un site romanesque lui semblait trop parfaite pour être ainsi gaspillée. Personne toutefois n'apparaissait pour profiter de la circonstance, et, après une demi-heure d'attente stérile, elle se leva et continua d'errer."
Seulement voilà, malgré sa soif de vivre dans l'opulence, il y a chez Lily un fond de morale qui, à plusieurs reprises, alors qu'elle était prête à toucher au but, l'a amenée à saboter ses efforts et a fait capoter une demande en mariage qui semblait pourtant acquise.
Je découvre une société oisive qui, entre la saison en ville et les vacances à la campagne, me fait beaucoup penser à l'aristocratie britannique de la même époque. Sauf qu'ici les femmes fument et qu'il y a des divorcé-e-s. Les plus riches sont prêts à inviter Lily chez eux voire à lui payer un séjour en Europe pour profiter de sa bonne compagnie. On attend cependant qu'elle rende quelques services en échange : faire des travaux de secrétariat ou servir d'alibi à l'amie adultère.
A mesure que le temps passe et qu'elle se lie d'amitié avec Lawrence Selden, un avocat qui évolue dans ces mêmes cercles mais sans en être dépendant, Lily a de plus en plus de mal à concilier ses aspirations contradictoires. Elle ne peut pas envisager de vivre pauvrement, c'est-à-dire sans acheter fréquemment de nouvelles robes et de nouveaux bijoux mais elle prend conscience que ces distractions ne peuvent pas donner de sens profond à sa vie. Faute d'arriver à trancher sa situation devient très inconfortable et nous mène à une fin pathétique qui m'a fait venir des larmes aux yeux.
J'ai beaucoup apprécié cette lecture. Edith Wharton dresse un portrait critique de cette haute société new-yorkaise dont elle était elle-même issue. A l'occasion, quand Lily découvre la vraie pauvreté, elle nous montre aussi les dures conditions de vie des gens du peuple. Néanmoins je relève l'expression de préjugés antisémites qui me hérissent :
"Il tenait de sa race l'art d'apprécier exactement les valeurs, et le fait d'être vu arpentant le quai bondé, à cette heure de l'après-midi, en compagnie de miss Lily Bart lui représentait, pour parler sa langue, de l'argent comptant." Et pourtant le personnage décrit ici, juif et nouveau riche, apparait finalement comme un brave homme.
A côté de ça la condescendance masculine prêterait presque à rire : "Mon droit d'agir comme je le fais est tout simplement le droit universellement reconnu qu'a un homme d'éclairer une femme quand il la voit inconsciemment placée dans une position fausse."
L'avis d'Aaliz.
Tags : Roman, Femmes, Etats-Unis
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Commentaires
un de mes livres fétiches ! J'ai lu de nombreux Wharton par la suite et elle a vraiment réussi à peindre la société new yoraise !