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Gilles Alfonsi, Sortis de l'ombre, Arcane 17
A la recherche de l'histoire de Louis Dufour (1904-1944), pendu par les nazis à Dunes (Tarn-et-Garonne), Gilles Alfonsi découvre plusieurs massacres commis par une unité de la division SS "Das Reich" le 23 juin 1944 aux confins du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne. A Saint-Sixte les soldats tombent sur deux roulottes de nomades installées là depuis la veille. Leurs occupants sont rassemblés dans un pré et mitraillés. Il y a 14 tués dont 8 enfants. La plus jeune a 19 jours. C'est le seul massacre collectif de Tsiganes en France pendant la seconde guerre mondiale. L'auteur a à coeur de leur restituer une identité et une individualité. Il formule l'hypothèse que les soldats, passés auparavant par le front de l'est, ont reproduit ici un épisode de la shoah par balles.
Continuant sa route l'unité abat deux hommes à Caudecoste avant d'arriver à Dunes où 14 hommes sont tués dont 11 pendus sur la place du village. Contrairement à ce qu'a retenu la mémoire locale, les victimes de Dunes n'ont pas été choisies au hasard. Les nazis ont été guidés par un cahier de dénonciation rédigé par une habitante de Dunes et remis à la Kommandantur de Valence-d'Agen le 19 juin. Ce cahier est une liste d'habitants du coin désignés comme communistes ou membres du maquis.L'auteur présente également les formes que prennent la résistance et la collaboration dans le secteur qu'il étudie.
Le travail de recherche de Gilles Alfonsi lui a permis de corriger la mémoire de ces événements, laquelle mémoire avait été reprise telle quelle, sans vérifications, par des historiens locaux et nationaux. Ainsi il était communément admis que la division "Das Reich" avait, dans son ensemble, quitté les département du sud de la France début juin 1944. Ce n'est pas le cas, comme on le constate ici des unités sont restées dans le sud-ouest. Le 10 juin la "Das Reich" massacre les habitants d'Oradour-sur-Glane, plus au nord, si bien qu'on trouve un historien qui place Dunes (23 juin) avant Oradour (10 juin) alors même qu'il en connaît les dates. J'ai été stupéfaite de constater qu'une erreur pouvait ainsi se répéter de livre en livre. Il fallait peut-être le regard d'un non historien (Gilles Alfonsi est sociologue de formation) pour la faire émerger. C'est cet aspect du travail de l'auteur, la construction d'un savoir historique sous mes yeux, à partir d'archives ouvertes à tous, qui m'a le plus intéressée.
A la Libération les poursuites contre les auteurs et complices de ces crimes sont très inégales. Si le châtiment des autrices du cahier de dénonciation est terrible, d'autres collaborateurs -notamment membres du clergé- s'en tirent sans trop de dommages. Quant aux soldats allemands qui n'ont pas été tués dans les combats de la fin de la guerre, ils ont écopé de peines vite amnistiées. Je n'ai pu m'empêcher de me demander si le déchaînement à l'encontre des deux collaboratrices, instigatrice et autrice du cahier, n'était pas lié à leur genre. C'est une question que l'auteur n'aborde pas.
C'est une lecture que j'ai trouvée intéressante. Le livre est un grand format (A4) ce qui a permis à l'auteur de reproduire des documents en taille réelle (exemple : l'intégrale du cahier de dénonciation).
L'avis d'Henri.
Tags : Histoire, Nazisme
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Commentaires
je suis très intéressée par ce sujet et c'est important de tout savoir même ce qui ne fait pas plaisir à entendre ni à lire sur la collaboration française.
En effet. À ce sujet l'auteur évoque le film Le chagrin et la pitié, film de 1971 qui traite notamment de la collaboration à Clermont-Ferrand, qui fut censuré par l'ORTF et ne fut diffusé sur une chaîne nationale française qu'en 1981.