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Jean-Christophe Rufin, Le grand Coeur, Folio
Le grand Coeur est une vie romancée de Jacques Coeur (1395-1456), grand marchand et qui fut argentier du roi Charles 7, c'est-à-dire qu'il était chargé de fournir à la cour les meubles et tous les objets (précieux) dont elle pouvait avoir besoin (on est à une époque où la cour se déplace encore de château en château). C'est la fin de la guerre de 100 ans, la France est ruinée, la monarchie fragilisée. Il faut relancer le commerce et imposer le roi comme seul à gouverner. Jacques Coeur et Charles 7 vont s'y employer de conserve pour le plus grand bénéfice de tous les deux :
"Maître de l'Argenterie, je mesurais désormais la véritable utilité d'être aussi banquier. En consentement des crédits, je rendais accessible ce que les autres marchands se contentaient de proposer au prix fort. L'achat, avec cette méthode, devenait indolore.
Cependant, en recourant à l'emprunt, mes clients se passaient autour du cou un noeud d'abord lâche mais qui, peu à peu, se resserrait. Les bourgeois n'étaient pas concernés par ce péril, car ils disposaient d'assez d'argent pour payer comptant. Mais les nobles et jusqu'aux princes l'employaient largement. Le roi avait lui-même encouragé cette pratique et il m'avait offert sa garantie en cas de difficulté de recouvrement. Il savait ce qu'était le crédit. Jadis, aux temps difficiles, il y avait eu recours, au point de se voir parfois refuser la livraison de certaines commandes par des négociants qui ne lui faisaient plus confiance. Engagé dans une lutte sans merci contre les princes, il avait compris quel usage redoutable il pouvait faire de cet outil. Ceux qui déposaient les armes et le rejoignaient se voyaient comblés de ses largesses. Ils bénéficiaient des services de l'Argenterie, d'abord sous forme de dons, pour sceller la réconciliation. Puis venait le temps des achats et bientôt, pour tenir leur rang à la cour, des prêts et des dettes. En peu de temps, le fier allié était dans ma main, c'est-à-dire dans celle du roi."Jacques Coeur nous est présenté comme un homme moderne, un personnage en avance sur son temps, déjà plus dans le Moyen-âge, bientôt dans la Renaissance. Il voyage, en Orient, en Italie et en ramène des idées novatrices. Tout ceci est fort intéressant et pourtant je peine à accrocher à ma lecture. Ce qui me gêne c'est la narration choisie. Ici c'est Jacques Coeur lui-même le narrateur et je déplore que ce narrateur ait un peu trop souvent tendance à se présenter en "pauvre riche". Il n'aime rien tant que la simplicité mais sa charge l'oblige à vivre dans le luxe. Pour parvenir à ses ambitions il a du écraser des innocents mais personne ne le lui reproche autant que lui-même. Je dois dire que j'ai du mal à compatir.
Jean-Christophe Rufin explique dans la postface que, à partir des événements de la vie de Jacques Coeur qui sont connus, il a voulu faire vivre le personnage en imaginant ses pensées et ses sentiments. Moi, ça ne me convainc pas. Je pense qu'une biographie plus classique m'aurait mieux convenu. Mais Aaliz, elle, a aimé.
Tags : Roman, Histoire, Moyen-âge
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Commentaires
1HenriJeudi 12 Juin 2014 à 12:00Je suis d'accord avec toi : les biographies autonarratives romancées ne m'ont jamais convaincu, à commencer par les célèbres Mémoires d'Hadrien de Yourcenar (mais je pense aussi à une vie de Rabelais de Michel Ragon), particulièrement, je m'en aperçois en l'écrivant, pour les personnages historiquement lointains, dont la subjectivité ne peut que nous rester mystérieuse. A contrario, je plébiscite la passionnante biographie de Louis XI par Paul Murray Kendal lue récemment.RépondreBonjour, Ce genre de biographie, où l'auteur fait entrer son lecteur dans les pensées, forcément fictives du personnage, est de plus en plus courant. Il permet au lecteur d'être proche d'un homme ou d'une femme parfois très lointain dans le temps, différent par sa condition, mais c'est aussi assez risqué car ça risque de ne pas être crédible, trop moderne...
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