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Marie-Claire Blais, Petites Cendres ou la capture, Seuil
L'écrivaine québécoise Marie-Claire Blais est morte le 30 novembre 2021. Elle était née en 1939 au sein d'une famille ouvrière et a quitté l'école à 15 ans pour travailler. Elle publie son premier roman à 20 ans et s'impose bien vite comme une femme libre à l'homosexualité assumée.
Petites Cendres ou la capture. Une nuit dans une île des Caraïbes. Le vieux Grégoire, un homme noir, invective un policier blanc. Il lui lance à la face tous les crimes des Blancs contre les Noirs depuis l'esclavage jusqu'aux "bavures" policières. Petites Cendres, un travesti métis qui voit que le policier a sorti une arme, s'interpose pour protéger Grégoire. Marie-Claire Blais nous donne à lire les pensées de ces trois personnages, représentatifs de leurs communautés. Grégoire est la voix des souffrances des Noirs aux Etats-Unis et le policier celle du déni des Blancs. Petits Cendres quant à lui représente la communauté LGBTQI. Le parallèle est fait entre les violences que subissent les personnes noires ou queer: on brûle des églises où viennent prier les Noirs ou des cabarets qui présentent des spectacles de travestis, on retrouve dans un fossé le cadavre d'une avocate noire ou d'une femme trans.
Pendant que cette scène de l'altercation est comme figée dans l'espace la nuit s'écoule et de nombreux autres personnages illustrent les malheurs des temps présents. Mark, un étudiant obèse, est moqué par d'autres jeunes et harcelé par un groupuscule néonazi. Lucie, une fillette de 9 ans, sert de garde-malade à son père, un vétéran grièvement blessé en Afghanistan. Love, une étudiante, fille de réfugiés vietnamiens, est violée par deux garçons qui étaient ses amis d'enfance. Alberto, migrant guatémaltèque sans papiers, est arraché à son mari pour être renvoyé dans son pays. Il y en a d'autres encore.
Les sujets abordés sont noirs, certains faits choquants et pourtant j'apprécie grandement ma lecture. J'aime d'abord que l'autrice prenne toujours le parti des faibles et des discriminés dont de nombreux personnages LGBTQI.
Je trouve ensuite des lueurs d'espoir. Il y a un policier à cheval qui est comme une figure de saint, il me semble, et qui traite avec compassion un SDF. Il y a l'idée que la famille, celle du sang ou celle qu'on se crée dans sa communauté, peut être un refuge. Ainsi Philli, jeune femme trans, et Lou, jeune homme trans, forment un couple adolescent, s'interrogent sur leur transition et s'épaulent.
Enfin il y a la langue, déroutante au début mais qui m'a finalement conquise. La ponctuation se limite aux virgules et points d'interrogation, les points sont rarissimes. Du coup les pensées des différents personnages se juxtaposent dans des télescopages souvent déconcertants mais aussi parfois très bien trouvés. Pas d'alinéa, de paragraphe ou de chapitre, l'aspect est dense et chaque fois que je reprenais mon livre après l'avoir posé il me fallait chercher un peu où je m'étais arrêtée, ce qui invite à lire sans trop de pauses. Et en effet, la lecture suivie m'a permis d'entrer dans le texte et de me laisser emporter par lui.
Sur la forme comme sur le fond c'est de la grande littérature.
Tags : Disparition, Roman, LGBTQI
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Commentaires
Une autrice que j'ai découverte à l'occasion de sa mort. Non, je n'ai pas trouvé que cela fasse trop. C'est un roman ou fond et forme sont étroitement liés, chacun accompagnant l'autre. Moi qui suis très attachée à une écriture classique j'ai eu du mal au début, j'ai pensé que je ne m'y ferais pas et puis j'ai été prise. Preuve du talent, il me semble !
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Mardi 10 Mai 2022 à 13:59
C'est noté ! Merci !!
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Coucou ! Je ne connais pas du tout cette autrice, et pourtant je vois sur le site en ligne de ma bibliothèque qu'elle a beaucoup écrit ! Les thématiques abordées m'intéressent beaucoup, bien entendu ! Est-ce qu'il n'y en pas "trop" pour un seul roman ? Trop de personnages qui incarnent chacun·e une thématique ? Est-ce que les thématiques sont bien amenées ?
Quant à la forme, les pauses (chapitres, sauts de ligne) me permettent de faire durer un roman pour apprivoiser les personnages, vivre un peu avec elleux au quotidien, m'imprégner de leur histoire et m'en souvenir très longtemps après avoir refermé le livre. Si je lis trop vite, l'émotion sera plus intense, mais plus éphémère aussi !