• Patrick Chamoiseau, Le conteur, la nuit et le panier, Seuil

    Patrick Chamoiseau, Le conteur, la nuit et le panier, Seuil Cet essai traite de la création artistique, plus particulièrement littéraire. En parallèle de la mondialisation économique des relations se sont développées entre les peuples et les cultures, ce que Patrick Chamoiseau nomme Mondialité. Cela a permis de sortir les individus des emprises communautaires. L'écrivain se place dans ce cadre, il chemine "non plus dans le seul tissu de son pays natal, le seul atelier de sa langue d'origine, mais bien dans cet inextricable".

     

     

    Patrick Chamoiseau évoque ses souvenirs d'enfance pour raconter sa découverte de la littérature. Sa mère lui rapporte du marché des rebuts de librairie, vendus sans couverture en "petits-lots-ficelés". Ces premières lectures ne lui parlent pas de lui. Il n'y retrouve ni sa langue maternelle (le créole, langue dominée), ni les paysages et choses de son quotidien. Il se tourne alors vers la bibliothèque Schoelcher et commence à lire tout ce qui traite des Antilles. Mais il s'agit de livres écrits par les vainqueurs, les colonisateurs et au bout de quelque temps il se rend compte que ces lectures sont toxiques, où Nègres et colonisés sont des sous-hommes et la culture antillaise un folklore. Enfin l'auteur part à la recherche de la langue créole dont les contes, chants, proverbes... forment une oraliture. Il rencontre de vieux conteurs, héritiers des conteurs de la plantation esclavagiste, ceux dont la tradition dit qu'ils ne peuvent conter que la nuit sous peine d'être transformés en panier. Comme le sorcier qui connaît les plantes qui soignent ou qui empoisonnent, le conteur est un résistant à l'oppression esclavagiste.

     

     

    Pour Deleuze, l'angoisse de la page blanche vient de ce que cette page est non pas vide mais trop pleine de ce qui a déjà été écrit. Pour créer quelque chose de vraiment nouveau il est besoin d'une catastrophe qui vide la page. Pour les esclaves, la catastrophe existentielle c'est le transport dans la cale du bateau négrier.

    La culture créole est un métissage composé de vestiges de cultures africaines, amérindiennes, occidentales.

     

     

    Dans la dernière partie Patrick Chamoiseau analyse les oeuvres d'auteurs antillais à l'aune de cette capacité -ou pas- de vider la page. Les poètes doudouistes comme Daniel Thaly n'ont pas été capables de remettre en question l'imaginaire dominant. L'auteur juge leurs textes jolis mais tièdes.

    Un long passage est consacré à l'oeuvre de Césaire et à la construction de la notion de Négritude. Cependant Césaire fait l'impasse sur la langue créole.

    Enfin il est question de Glissant.

     

     

    Patrick Chamoiseau manie lui une langue inventive avec création de mots-valises, surgissement d'onomatopées, du créole aussi, bien sûr. Il y a des accents poétiques là-dedans. C'est un auteur que je n'avais jamais lu, très cultivé et exigeant. Il y a de nombreuses références littéraires, une réflexion philosophique. Je dois avouer que je ne suis pas sûre de comprendre tout ce que je lis mais quand je comprends, qu'est-ce que c'est bien! Je retrouve le même choc que lors de ma première lecture de Beloved de Toni Morrison : la littérature, l'invention littéraire m'a fait prendre conscience plus que les textes documentaires du crime contre l'humanité qu'était l'esclavage. Ici c'est l'évocation de l'horreur absolue du transport dans les bateaux négriers qui est particulièrement frappante. Je trouve aussi très intéressante la réflexion sur la place de la langue dominée et de la langue dominante dans une colonie. Par ce qu'elle véhicule la langue dominante n'est pas une simple langue, c'est une arme.

    C'est un livre qui ne se lit pas tout seul. Il faut accepter d'y consacrer du temps et de la concentration mais cela en vaut la peine.

     


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