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Sujit Saraf, Le trône du paon, Grasset
Voici que débute le (long) week-end indien organisé par Eva, Patrice et Goran. Une occasion bienvenue pour moi de renouer avec une ancienne passion pour l'Inde.
"C'est là qu'était le Trône du Paon. Des milliers de diamants, de saphirs, de rubis et d'émeraudes surveillés par deux paons. De quoi construire des villes entières, l'équivalent du revenu de plusieurs provinces! (...)
- Où est le Trône maintenant ?
- Partout dans le monde. En Perse. En Angleterre. Qui sait ? Mais il est toujours ici et ils veulent tous monter dessus. Premier ministre, ministres, députés de l'assemblée législative, membres du Parlement, conseillers municipaux, Naresh Agrawal, Harilal, Sohan Lal, Parvati, chaque prostituée et chaque chaivala de Chandni Chowk. Le Trône dirige l'empire de l'Hindoustan".
Le Trône du Paon c'est le pouvoir et à Chandni Chowk, quartier commerçant du vieux Delhi, près du Fort Rouge, chacun est prêt à beaucoup pour en conquérir une parcelle de plus. Le député du parti du Congrès Naresh Agrawal pratique le clientélisme pour être réélu face à Harilal, conseiller municipal PPI (PPI : Parti du Peuple Indien = BJP : Bharatiya Janata Party. C'est le parti nationaliste hindou actuellement au pouvoir en Inde). Les commerçants Sohan Lal, Surajmal et Jugal Kishor, propriétaires de leur échoppe, mentent aux clients et trompent le fisc pour s'enrichir. Ils ont aussi des ambitions politiques et ont constitué une antenne locale du PPI. Dans ce paysage politique on croise également Suleman, parrain local et défenseur des musulmans. Quelque soit leur parti tous sont corrompus, pratiquent la fraude à divers degrés et achètent leurs partisans. Ils prétendent soutenir telle caste ou telle religion mais ils font passer avant tout leur intérêt personnel. Leurs manipulations et provocations débouchent régulièrement sur de grandes violences.
De son côté la prostituée Parvati rêve de devenir mère maquerelle tandis que sa collègue Gita utilise l'association de défense des travailleuses du sexe qu'elle a fondée pour s'élever.
Le roman débute en 1984, le jour de l'assassinat d'Indira Gandhi par deux de ses gardes du corps sikhs. Alors que la foule en rage s'en prend aux commerce sikhs et à leurs propriétaires, Kartar Singh, l'un d'entre eux, trouve refuge dans le stand de Gopal Pandey, le chaivala (le vendeur de thé). Gopal est le seul personnage totalement désintéressé du récit et sa naïveté est utilisée par les autres sans même qu'il s'en rende compte. Gopal s'est lié d'amitié avec Gauhar, enfant des rues recueilli aux Moineaux, école pour enfants indigents, devenu chef de bande à l'adolescence. La fondatrice des Moineaux est Chitra, une jeune intellectuelle. Si elle me semble sympathique au début je découvre que son comportement avec les enfants est problématique et son engagement peu sincère qui lui sert de marche-pied pour se lancer dans une carrière de journaliste. Sous une apparence d'audace les articles qu'elle rédige sont soucieux d'aller dans le sens de ce que le lecteur attend et pour cela elle n'hésite pas à broder.
Les personnages sont nombreux et j'ai parfois eu du mal à les distinguer. Après 1984 nous les retrouvons en 1990, 1992, 1996 et 1998. Chacun de ces sauts dans le temps articule la vie de Chandni Chowk et de ses habitants autour des répercussions d'un événement marquant, parfois d'envergure nationale : contestation contre une loi de discrimination positive; destruction de la mosquée d'Ayodhya par des fondamentalistes hindous; destruction des construction illégales du quartier, petits commerces et bidonvilles; élections législatives. Le passage du temps permet aussi de constater les changement matériels. Le fond quant à lui -et le fonctionnement- varie peu.
Le moins qu'on puisse dire c'est que l'image que donne ce gros roman de l'Inde de la fin du 20° siècle n'est pas très positive. Si je peux comprendre les comportements des déshérités -enfants des rues abandonnés, prostituées enfermées en bordel dès l'âge de 16 ans- qui doivent lutter pour leur survie dans un milieu impitoyable, il me semble que l'élite locale a beaucoup moins d'excuses. En magouillant pour conforter leurs privilèges ils sont en partie responsables des violences et des inégalités. Malgré leurs compromissions j'arrive à éprouver de la sympathie pour les personnages dont on nous présente la famille et leurs sentiments universels d'affection pour leurs proches.
L'avis de La route des livres.
Et avec 800 pages je valide le challenge Pavévasion de Brize.
Tags : Monde indien, Roman, Défi/Lecture commune
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Commentaires
Je sens la richesse de ce livre en te lisant. Cela me semble très intéressant, mais si peu optimiste au final. J'avais déjà noté ce livre une fois, un joli pavé à découvrir. Merci pour première contribution au week-end indien !
Ca a en effet un côté désespérant.