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Titiou Lecoq, Les grandes oubliées, L'iconoclaste
Pourquoi l'histoire a effacé les femmes
Titiou Lecoq constate à postériori que les femmes étaient absentes de ses manuels scolaires. Pas d'actrices de l'histoire, pas d'écrivaines majeures...Et pourtant, comme elle le dit en introduction, "les femmes ne se sont jamais tues". Elles ont "gouverné, parlé, dirigé, créé". On voit parfois l'histoire des femmes comme une longue marche vers le progrès, elles ont conquis petit à petit des droits et aujourd'hui est plus enviable qu'hier. C'est faux. Il y a eu dans l'histoire des moments où les femmes avaient plus de libertés et d'autres où on les a renvoyées à leurs fourneaux, une période favorable étant souvent suivie par un retour de bâton. Pour l'autrice ce constat est un avertissement : la vague "me to" peut retomber.
En s'appuyant sur une bibliographie récente, Titiou Lecoq présente ces différentes époque et analyse comment et pourquoi l'histoire a effacé les femmes.
L'étude court du paléolithique à nos jours. J'apprends que c'est au néolithique que le patriarcat s'impose en écrasant les autres types d'organisations sociales. Il y aurait un lien direct entre sédentarisation et violence. Au Moyen-âge on trouve des femmes partout. Elles sont reines, chevaleresses, poétesses, artisanes, autrices, enlumineuresses, orfaveresses, médecines... tous les noms de métiers se déclinent au féminin. Mais entre la fin du Moyen-âge et la Renaissance a lieu le grand renfermement des femmes. Le discours misogyne se structure sous l'impulsion des clercs puis la langue française se masculinise au 17° siècle, le neutre est effacé, "ça pleut" devient "il pleut". Pourtant, malgré les difficultés qu'on leur fait, les femmes continuent à créer. L'histoire choquante de la dramaturge Catherine Bernard (1663-1712), plagiée et calomniée par Voltaire, est bien représentative du processus d'effacement des femmes. Ce renfermement culmine au 19° siècle.
J'ai trouvé cet ouvrage passionnant. Si le fond est sérieux, bien documenté et pousse à réfléchir, la forme est souvent très amusante avec mélange des registres de langage -écrit, parlé, familier- et interpellations au lecteur comme dans l'histoire pleine de rebondissements de Fredégonde et Brunehaut, reines mérovingiennes. L'autrice présente des biographies rapides de femmes injustement méconnues ou oubliées et la lecture est facile.
En conclusion Titiou Lecoq plaide non pas pour accorder "une" place aux femmes dans mais pour faire enfin une histoire mixte. "L'histoire des femmes est-elle militante? Autant qu'une autre. Ici, bien sûr, j'ai fait des choix, mais l'histoire "officielle", celle des manuels dont les femmes sont exclues, est-elle réellement objective? Pourquoi a-t-on l'impression qu'introduire les femmes en histoire serait une décision politique alors que c'est les avoir exclues qui était réellement politique? Un travail d'homme qui reconduit la domination masculine passe rarement pour militant et ne s'affirme jamais comme tel. Le discours dominant et officiel paraît neutre. Il ne l'est pas. Mais il parvient, par sa position majoritaire, à faire reconnaître ses choix pour de l'objectivité."
Tags : Histoire, Essai, Femmes
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Commentaires
oh oui ! ce livre est passionnant !
et depuis je n'ai plus aucun souci à utiliser le terme "autrice" que je pensais être une création contemporaine (et un peu moche).
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Samedi 15 Janvier 2022 à 12:55
Je le trouvais moche au début mais je m'y suis habituée et maintenant c'est auteur ou auteure qui me paraît étrange.
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3keishaJeudi 27 Janvier 2022 à 13:344keishaJeudi 27 Janvier 2022 à 13:35
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Je le note de mon côté car j'aime bien la tonalité de ce livre. En peu de lignes de résumé, j'ai déjà l'impression d'avoir appris beaucoup de choses, comme par exemple l'existence du neutre. Merci !
Merci à toi. Cette histoire de la masculinisation de la langue est particulièrement intéressante surtout quand on voit certaines réactions contemporaines à l'introduction de plus de féminin.