• Angela Rohr, L'exil éternel, Les Arènes

     

    Angela Rohr, L'exil éternel, Les ArènesJ'étais médecin au goulag

    Angela Rohr (1890-1985) était d'origine autrichienne. Jeune femme elle a voyagé en Europe, étudié la médecine, la psychanalyse, le chinois, publié dans des revues, rencontré peintres et écrivains. En 1925 elle s'installe en URSS avec son mari, un communiste. Ils prennent la nationalité soviétique. En juin 1941, moins d'une semaine après l'invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie, Angela et son mari sont arrêtés en tant qu'Allemands. Lui est mort en détention, elle a été réhabilitée en 1957. Elle raconte ses années d'emprisonnement.

     

     

    Le récit commence quand l'autrice quitte la prison de la Boutyrka à Moscou. Elle est d'abord détenue dans diverses prisons. Ce sont en fait des camps de concentration. A plusieurs reprises j'ai l'impression de lire quelque chose qui se déroulerait en Allemagne nazie. Elle est alors interrogée régulièrement puis condamnée à cinq ans de camps et envoyée dans la région de l'Oural en wagons à bestiaux. Repérée comme médecin elle est affectée à l'hôpital des camps où elle séjourne mais il lui arrive aussi d'être envoyée à la coupe du bois ou employées dans des ateliers. A l'issue de sa peine elle est assignée à résidence. Elle continue à exercer la médecine, soit pour des camps, soit comme médecin "de ville". Elle ne pourra retourner à Moscou qu'en 1957.

     

     

    J'ai été particulièrement intéressée par tout ce que Angela Rohr raconte de son expérience comme médecin au goulag. Elle dresse un tableau clinique saisissant de la situation. On meurt d'abord de la faim, surtout pendant la guerre. On ne parle pas de faim, d'ailleurs, mais de dystrophie alimentaire. C'est la mort naturelle. Dans un camp des prisonniers s'empoisonnent involontairement en mangeant les grosses racines d'une plante pour se nourrir : c'est la ciguë. Il y a aussi des tuberculeux, des syphilitiques, des fous, des mutilés volontaires, des toxicomanes qui se droguent avec tout ce qu'ils peuvent trouver... et tellement peu de matériel et de médicaments pour soigner. Dans ce contexte particulièrement difficile, confrontée à des prisonniers qui font souvent partie de la pègre et qui ont reconduit dans le camp le fonctionnement de leurs organisations criminelles Angela Rohr se comporte avec courage et surtout détermination de soigner vraiment ce qui la pousse à expérimenter. Elle sauve des vies. Elle a à coeur de faire de son hôpital un lieu accueillant et gagne le respect de ses patients en les traitant en êtres humains et en leur témoignant de la confiance. Pour toutes ces raisons elle est généralement mal vue par la direction du camp. C'est une femme admirable, une véritable héroïne.

     

     

    Le style est en apparence simplement descriptif mais traversé d'une ironie mordante :

    "Les rats avaient creusé beaucoup d'accès à ma chambre, pas en cachette mais ouvertement, et ils me rendaient visite, mais dans la journée. Je ne connaissais, certes, pas le cycle de leur reproduction, qui doit être extraordinairement court ; en peu de semaines, ils s'étaient multipliés ou bien avaient reçu des renforts, car ils avaient appris par leur parenté qu'une zone sans danger venait de s'ouvrir pour eux".

     

    Par son témoignage elle s'engage dans la dénonciation des crimes du régime :

    "Ce médecin avait été la femme d'un communiste, membre du Comité central de l'Ukraine, exécuté comme ennemi de l'Etat, tandis qu'elle n'avait eu que huit ans de camp pour avoir vécu avec lui. Leurs enfants, excepté une fille prénommée Stalina, étaient morts entre temps".

     

    "Si je ne pouvais rien changer à ces événements, j'étais cependant la "mémoire pour tout le temps" qui devait aussi avoir sa valeur ; c'était la connaissance des méthodes d'un Etat qui avait inscrit l'humanité sur son drapeau".

    Je trouve cela très fort. J'ai beaucoup apprécié cette lecture.


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  • Commentaires

    1
    Mardi 28 Avril 2020 à 07:46

    Je n'avais jamais entendu parler de cette auteure, quel dommage. Oui, ce récit a vraiment très fort, et je le note tout de suite.

      • Mardi 28 Avril 2020 à 10:41

        Le livre vient de sortir en France en 2019.

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