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Laura Spinney, La grande tueuse, Albin Michel
Comment la grippe espagnole a changé le monde
Les historiens estiment aujourd'hui que la grippe espagnole qui a frappé le monde en 1918-1919 aurait fait 50 à 100 millions de morts. A l'occasion du centième anniversaire de cette pandémie la journaliste britannique Laura Spinney a étudié ses différents aspects à travers la planète.
Cette grippe est une grippe aviaire (H1N1). Malgré son nom elle n'est pas originaire d'Espagne. Le patient le plus ancien connu était cuisinier dans une base militaire du Kansas. Avant lui la grippe vient peut-être des Etats-Unis, ou de Chine, ou d'ailleurs, on ne sait pas, seulement au moment où elle éclate c'est encore la première guerre mondiale, la presse est censurée dans les pays belligérants et l'épidémie est passée sous silence. L'Espagne est neutre et de plus le roi Alphonse 13 est touché, la presse en parle.Les mouvements et la concentration des troupes expliquent aussi l'expansion de la maladie : la grippe aurait eu lieu même sans la guerre mais la guerre l'a rendue plus virulente.
Les victimes sont pus souvent des hommes que des femmes, sauf les femmes enceintes. Trois tranches d'âge sont frappées plus sévèrement : les jeunes enfants, les personnes âgées et les 20-30 ans. Dans cette dernière tranche d'âge le pic de mortalité se situe à 28 ans. L'autrice nous rapporte ainsi la triste histoire du peintre Egon Schiele qui "a laissé un témoignage de cette cruauté dans un tableau inachevé qu'il intitula La Famille. La toile représente le peintre, sa femme Edith et leur bébé; or, cette famille n'a jamais existé car Edith mourut en octobre 1918, enceinte de six mois de ce premier enfant. Schiele s'éteignit trois jours plus tard, ayant juste eu le temps de peindre le tableau. Il avait vingt-huit ans".
J'ai trouvé intéressant de découvrir des points communs entre la grippe espagnole et le Covid-19. Les femmes moins touchées que les hommes, je l'ai déjà dit, mais aussi des personnes qui souffrent d'un syndrome de fatigue chronique de longs mois après leur "guérison". Certaines réactions des contemporains aussi sont comparables. Au Brésil le magazine satirique Careta déplore qu'un simple "tueur de vieillards" ne serve de prétexte aux autorités pour imposer une "dictature scientifique" et limiter les droits civils des citoyens. Le maire de San Francisco est vu son masque pendouillant à son cou alors qu'il assiste à une manifestation. L'expérience montre, dit l'autrice, que le public accepte mal les mesures sanitaires imposées. Lors d'une prochaine pandémie qui ne manquera pas de se produire au 21° siècle il serait plus efficace de s'appuyer sur la responsabilité individuelle des citoyens...
Ce que j'ai particulièrement apprécié dans cette étude c'est son étendue : Laura Spinney s'est documentée sur de très nombreuses régions du monde, elle n'a pas réduit ses recherches aux seuls pays occidentaux. Je regrette un peu des tendances à la digression, pas toujours dans le sujet, il me semble. J'aurais parfois aimé un peu plus de rigueur. Mais le récit est vivant et facile d'accès, les sources nombreuses sont citées.
L'avis de Keisha.
Tags : Science et médecine, Histoire
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Commentaires
2keishaJeudi 17 Septembre 2020 à 16:08Un livre lu en 2018, évidemment pas de covid à l'époque, mais ça reste très très intéressant. Le second livre dont je parle est tout aussi bien, peut être plus axé sur la France, ils se complètent bien
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Jeudi 17 Septembre 2020 à 19:07
Oui, du coup ça m'a donné envie de le lire aussi.
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Très intéressant de voir que la contrainte autour des mesures sanitaires était déjà mal acceptée par la population.
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Lundi 5 Octobre 2020 à 14:02
Et avec les mêmes arguments ! Aux Etats-Unis les CDC (Centres pour le Contrôle et la prévention des Maladies) recommandent de n'imposer des mesures sanitaires que si le nombre de morts dépasse 1 % de la population. C'est à dire 3 millions de victimes aux Etats-Unis et 600 000 en France. On en est encore loin.
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Est-ce que c'était prémonitoire ? je l'ai lu à l'automne passé.
J'ai beaucoup aimé.
Et bien, ma foi, il semble que c'était à prévoir, en tout cas.