• Robert Merle, La mort est mon métier, Folio

    Robert Merle, La mort est mon métier, FolioNé en 1900, Rudolf Lang grandit traumatisé par son père, un fanatique religieux qui terrorise femme et enfants en leur imposant des pénitences quotidiennes. Après deux tentatives infructueuses du fait de son jeune âge Rudolf parvient en 1916 à s'engager dans l'armée. Il participe à des massacres de masse en soutien à l'armée turque. Après la guerre il mène une existence incertaine, connaît le chômage, s'engage dans les corps francs. Sa vie de chômeur me fait penser à celle d'Hitler à la même époque. Rudolf adhère au parti nazi en 1922. Sa situation matérielle commence à s'améliorer avec l'arrivée au pouvoir d'Hitler. Il est nommé à l'administration du camp de Dachau puis commandant du camp d'Auschwitz en 1940.

     

     

    Dans ce roman rédigé à la première personne, sous la forme des souvenirs de Rudolf Lang, Robert Merle nous présente son personnage comme quelqu'un à qui le fait d'obéir à une discipline rigoureuse procure un sentiment de contentement et de paix. A l'armée, à l'usine, au camp de concentration, quand on lui donne un ordre il obéit sans discuter. Chargé de transformer le camp d'Auschwitz en usine de mise à mort il va s'atteler à cette tache avec le sens pratique et la conscience professionnelle qui le caractérisent. C'est assez glaçant de le voir réfléchir à la façon de "traiter" un maximum de "pièces" le plus efficacement possible. Il fait son métier sans affect, comme s'il n'avait pas affaire à des personnes. Le titre est particulièrement bien choisi.

     

     

    Rudolf Lang a existé. Robert Merle nous annonce en préface qu'il s'agit en fait de Rudolf Höss, commandant du camp d'Auschwitz. A l'occasion du procès de Nüremberg il a été interrogé par le psychologue américain Gilbert qui fit un résumé de ces entretiens sur lequel s'est appuyé l'auteur en plus d'autres documents issus du procès. Le roman a été rédigé entre 1950 et 1952, c'est à dire peu de temps après les faits. La préface date de 1972. Bien avant Hannah Arendt et son concept de la "banalité du mal", Robert Merle montre que les bourreaux ne sont pas nécessairement des sadiques. "Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers de Rudolf Lang, moraux à l'intérieur de l'immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs "mérites" portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l'impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l'ordre, par respect pour l'Etat. Bref, en homme de devoir: et c'est en cela justement qu'il est monstrueux" dit-il dans sa préface. C'est cette étude psychologique qui fait pour moi l'intérêt majeur de ce bon roman.

     

     

    Vu la date de rédaction je relève quelques erreurs concernant les faits historiques. En préface on nous annonce un bilan de cinq millions de Juifs gazés à Auschwitz. Aujourd'hui ce bilan est estimé par les historiens entre 1.2 et 1.5 millions de morts. La présentation de Treblinka donne l'impression que ce centre de mise à mort fonctionnait comme Auschwitz avec un camp de prisonniers, ce qui n'était pas le cas: la grande majorité des victimes y ont été assassinées dès leur arrivée. Incarcéré en Pologne après Nüremberg, Rudolf Höss a écrit ses vrais souvenirs Le commandant d'Auschwitz parle, que j'ai maintenant envie de découvrir.

     

     

    Je participe aux lectures autour de la shoah organisées par Et si on bouquinait un peu et Passage à l'est. Le 27 janvier est la journée internationale de la mémoire des victimes de la shoah. A cette occasion Arte a diffusé un excellent documentaire, Les marches de la mort, qui vaut bien plus que ce titre que j'ai trouvé un peu racoleur. Il s'agit en fait de présenter la fin du système concentrationnaire nazi. La réalisatrice Virginie Linhart a fait intervenir des historiens qui sont à la pointe de la recherche sur la shoah. Elle a eu accès aussi à des témoignages de survivants. Il est disponible sur le site de la chaîne jusqu'au 25 mars.

     

    Robert Merle, La mort est mon métier, Folio

     

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 28 Janvier 2022 à 11:17

    Merci pour cette lecture, qui fait écho au livre dont a parlé Patrice hier, justement sur Rudolf Höss - je l'ai noté et je (re)note celui-ci pour lire les deux ensemble (ou les trois, avec Le commandant d'Auschwitz) puisqu'ils soulèvent les mêmes questions des coupables, de leurs parcours, de leurs attitudes face à leur nouveau "métier".

    Merci également d'avoir mentionné ce documentaire d'Arte. Je vais le visionner.

    Connaissez-vous le documentaire "Une vie allemande", sur la secrétaire de Goebbels?

      • Vendredi 28 Janvier 2022 à 13:26

        Oui, j'ai noté aussi le livre de Patrice qui a l'air passionnant. Non, je ne connaissais pas ce documentaire.

    2
    Samedi 29 Janvier 2022 à 09:14

    Bien évidemment, comme je l'ai déjà mentionné, ce livre fait écho à celui que j'ai lu récemment et cela me donne vraiment envie de lire ce point de vue de narration différent. Un grand merci pour ta participation ; et aussi pour le documentaire sur Arte que je vais regarder.

      • Samedi 29 Janvier 2022 à 15:34

        Merci d'organiser cette semaine de lectures communes.

    3
    maggie
    Samedi 29 Janvier 2022 à 10:35

    Je n'avais pas vu les erreurs historiques mais effectivement,c'est un livre qui donne envie d'en savoir plus sur la question. J'ai aussi lu le livre de Arendt.

      • Samedi 29 Janvier 2022 à 15:32

        Ce sont des erreurs qui sont dues à la date de parution parce que dans les années 50 les historiens n'avaient pas autant étudié le sujet qu'aujourd'hui.

    4
    Mercredi 2 Février 2022 à 12:37

    Ouh là, ça a l'air effrayant !! Mais ça me fait penser que j'aimerais me renseigner davantage sur les conditions d'accession au pouvoir d'Hitler et la possibilité du nazisme et du génocide ! Merci pour le lien vers le documentaire :)

      • Mercredi 2 Février 2022 à 20:02

        Des sujets qui m'intéressent grandement, je dois dire.

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    5
    Vendredi 17 Février 2023 à 21:30

    J'avais relu ce Merle-là à l'occasion d'un des confinements de 2020 (où j'avais aussi relu sa grande saga Fortune de France - un tout autre genre). 

    Oui, le personnage est totalement déshumanisé. Mais à défaut de "psychanalyse" pour expliquer le parcours de Rudolf... Lang, il y a quand même la place déterminante de la "bigoterie" paternelle (je ne sais pas si Höss avait passé son enfance dans le même contexte?).

    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

      • Samedi 18 Février 2023 à 08:29

        Bonne question. Il n'en est pas question dans Hanns et Rudolf.

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