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Shulem Deen, Celui qui va vers elle ne revient pas, Globe
"Kol bo'eho lo yechouvoun -Celui qui va vers elle ne revient pas." Tels sont les mots de la Bible envers la femme adultère. Tels sont ceux du Talmud envers l'hérésie".
Shulem Deen est né en 1974 dans une communauté hassidique de l'état de New-York, des Juifs ultra-orthodoxes. A l'adolescence il fait le choix d'intégrer la communauté skver, une des plus extrêmes et des plus isolées des Etats-Unis.
Dans la ville de New Square, fondée dans les années 1950 sur le modèle d'un shtetl par un rebbe venu d'Ukraine, les Skver vivent entre eux et se marient entre eux. Ils parlent le yiddish (certains ne maîtrisent pas l'anglais), l'éducation -surtout celle des garçons- est uniquement centrée sur la religion, ils portent des habits traditionnels, la radio et la télévision sont interdites. Tout ceci tient grâce à la peur, peur de Dieu, du rabbin et des maîtres qui frappent leurs élèves, du qu'en dira-t-on, et les coupe de ce qui n'est pas leur communauté. En France on dirait que c'est une secte.
Hommes et femmes sont concernés par des interdits spécifiques mais je découvre avec surprise que ceux-ci sont plus nombreux pour les garçons. Les filles sont par exemple autorisées à étudier la littérature anglo-saxonne, l'histoire et même un peu d'art et de sciences.
Shulem Deen s'est marié à 18 ans avec une femme qu'il ne connaissait pas. Même la vie intime du couple est régie par des règles religieuses : "Nous accomplissions la mitsvah [commandement] tous les mardis et vendredis soirs après minuit, exactement comme on m'avait dit de le faire, en veillant à la "sainteté" et à la "pureté" de nos actes ; nous récitions les prières requises ; nous tendions une couverture en travers de la fenêtre ; nous évoquions la vie de certains Justes ; nous échangions deux baisers sur la bouche ; puis nous le faisions rapidement, "comme sous la menace d'un démon" -la puissance de cette expression suffisant effectivement à priver l'acte lui-même de toute charge érotique."
Malgré cela le couple fait connaissance, s'apprivoise et Shulem commence à ressentir de la tendresse et parfois même de l'amour pour sa femme. C'est cependant à la naissance de son premier enfant qu'il découvre vraiment ce qu'est l'amour.
A New Square
Mais il arrive aussi à Shulem Deen de se poser des questions sur ses choix de vie (il traverse une phase de doute au moment de son mariage) et sur le monde qui l'entoure. Une nuit, après avoir longtemps hésité, il se décide à écouter la radio. A partir de cette première transgression, toutes les barrières vont tomber petit à petit : Shulem fréquente une médiathèque, il achète un ordinateur, se connecte à internet et échange avec des inconnus puis tient un blog. Enfin, il achète un poste de télévision ! Il s'aperçoit que sa foi le quitte et que plus il cherche à la retenir, plus elle s'éloigne. Les offices du samedi matin qui lui semblaient si chaleureux l'ennuient maintenant. Cette évolution est un véritable traumatisme pour lui : "Plus rude encore fut la découverte du champ de ruines que laissait ma foi en partant. Je devais ériger par moi-même un nouveau système de valeurs -mais comment ? Quand ce en quoi vous avez toujours cru se voit remis en question, quelles sont les valeurs que vous conservez et celles que vous jetez par dessus bord ? Comment démêler le vrai du faux, le juste et l'injuste quand vous n'êtes plus guidé par la volonté de Dieu ? Et surtout, si nous ne sommes que le fruit d'une rencontre accidentelle entre un peu de matière et d'énergie, sans autre objectif que la satisfaction immédiate de nos besoins vitaux, quel sens donner à notre existence ?"
Shulem Deen a quitté la communauté skver. Il a été accusé d'hérésie, exclu et obligé de quitter New Square. Son mariage n'y a pas survécu. Il a divorcé. Dans un premier temps il a continué à voir ses cinq enfants toutes les semaines puis ceux-ci ont été repris en main par leur entourage et les aînées ont refusé de le voir. Aujourd'hui il ne voit plus les plus jeunes que six fois par an et en souffre beaucoup. Dans ces moments très difficiles d'adaptation à un nouveau monde dont il ne maîtrise aucun code il a été soutenu par une association qui aide les Juifs hassidiques qui le souhaitent à quitter leur communauté et dans laquelle il s'est investi.
Shulem Deen
J'ai été fascinée par la découverte des conditions de vie de cette communauté repliée sur elle-même et dont je n'ai dit qu'un peu ici. Du coup j'ai voulu en savoir plus sur le hassidisme et je me suis tournée vers Une histoire des Juifs de Pologne qui contient un chapitre sur le sujet. Le hassidisme est né en Pologne au milieu du 18° siècle. C'est un mouvement mystique d'origine populaire qui recherche "un accès à Dieu sans le recours à une hiérarchie, sans le barrage que les érudits ou maîtres à penser avaient sciemment établi". Shulem Deen montre bien comment ce mouvement s'est sclérosé au 20° siècle : "En vérité, à l'exception d'un petit bataillon de mystiques et de quelques survivances de pratiques anciennes -dévouement au rebbe et manifestations collectives accompagnées de chants et de danses-, les hassidim du XX° siècle paraissent bien loin du mysticisme, de l'extase, de la mélancolie et de la joie du Baal Shem Tov [fondateur du mouvement] et de ses disciples. Ils semblent au contraire avoir régressé vers l'autoritarisme et l'inflexibilité auxquels le hassidisme avait pourtant cherché à mettre fin."
Je ne peux que saluer le courage de l'auteur qui a réussi à s'extraire de ce milieu étouffant et qui cependant réussit à en parler sans aigreur. J'ai trouvé passionnant cet ouvrage qui est en plus fort bien écrit.
Les avis de Keisha, Dominique et Gambadou.
Tags : Récit autobiographique, Etats-Unis
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Commentaires
Tout à fait, pas d'aigreur no de méchanceté, donc vraiment percutant; j'ai été ravie d'en savoir plus sur ces communautés fermées
Oui, un ouvrage très intéressant.