• Thomas Harding, Hanns et Rudolf, Flammarion

    Thomas Harding, Hanns et Rudolf, Flammarion En 2006, à l'occasion des obsèques de son grand-oncle, Hanns Alexander, le journaliste Thomas Harding découvre que ce dernier a, en 1946, pourchassé et arrêté Rudolf Höss qui fut le commandant du camp d'Auschwitz. Il décide de mener l'enquête sur cette affaire qui était tue dans la famille. Le résultat en est ce fort intéressant ouvrage paru en 2013 qui nous présente en parallèle les biographies de Rudolf Höss et de Hanns Alexander.

     

     

    Rudolf Höss s'engage dans la première guerre mondiale en 1916 à 14 ans en mentant sur son âge. Il est un ancien combattant à 16 ans. Il fait le coup de poing dans les corps francs puis adhère au parti nazi dès 1922 mais son rêve est de s'installer comme agriculteur. Il est en cela proche de la ligue des Artamans, une organisation völkisch (nationaliste) prônant le retour à la terre. En 1934, cependant, il accepte un poste de garde au camp de concentration de Dachau. On lui promet un avancement rapide et il espère que cela lui permettra, plus tard, de s'acheter la ferme de ses rêves. Il est nommé à Auschwitz en 1941, chargé par Himmler de créer et d'organiser le camp.

     

     

    L'auteur montre bien comment, en s'attelant avec rigueur à la tâche qui lui avait été confiée, Rudolf Höss est bien le maillon essentiel qui a permis à Auschwitz-Birkenau de devenir l'usine de mort qu'elle était. Lui s'en est toujours défendu : il n'a fait qu'obéir aux ordres et n'est responsable en rien. Dans ses mémoires il écrit : "Je n'ai pas voulu tuer en moi les sentiments de compassion pour la misère humaine. Je les ai toujours éprouvés, mais dans la plupart des cas je n'en ai pas tenu compte parce qu'il ne m'était pas permis d'être "mou."

    et "Je n'avais pas à réfléchir, j'avais à exécuter la consigne. Mon horizon n'était pas suffisamment vaste pour me permettre de me former un jugement personnel sur la nécessité d'exterminer tous les juifs."

    Je trouve ces derniers propos glaçants. C'est un personnage qui a compartimenté sa vie de façon à pouvoir être efficace au travail et profiter ensuite d'une bonne soirée en famille avec ses enfants, à deux pas des chambres à gaz, sans penser à ce qu'il a fait de la journée. Tous ces aspects je les avais découverts en lisant La mort est mon métier de Robert Merle. Si je constate ici que Robert Merle avait sans doute fait quelques erreurs dans la biographie de Rudolf Höss, il en avait par contre très bien analysé le fonctionnement.

     

     

    Hanns Alexander est un Juif allemand originaire de la très bonne bourgeoisie. Son père est médecin, propriétaire d'une clinique privée à Berlin. La famille émigre à Londres en 1936 pour fuir les persécutions antisémites des nazis. Hanns et son frère jumeau Paul s'engagent dans l'armée britannique dès le début de la guerre mais la Grande-Bretagne se méfie de ces soldats allemands suspectés de pouvoir trahir et ils sont cantonnés à des tâches subalternes et n'ont pas le droit de porter d'arme au grand regret des deux frères qui souhaitent en découdre avec les nazis. J'apprends que 27000 Allemands installés en Grande-Bretagne, majoritairement des Juifs, ont été internés dans des camps comme "ressortissants ennemis". Hanns et Paul y ont échappé en tant que soldats.

    Après le Débarquement, quand on propose à Hanns de faire le traducteur en Allemagne pour l'armée britannique, il accepte sans hésiter : enfin il va pouvoir servir à quelque chose. Il traduit des interrogatoires de criminels nazis puis est chargé, à sa demande, de la traque de Rudolf Höss. Ce qui m'a le plus intéressée c'est ce qui est dit de la mise en place des tribunaux -dont celui de Nuremberg- chargés de juger les crimes de guerre, contre l'humanité et de génocide.

     

     

    L'objectif de l'auteur est de présenter ses personnages dans toute leur complexité aussi n'occulte-t-il pas les aspects sombres de Hanns. Traumatisé par ce qu'il a découvert au camp de Bergen-Belsen où il a travaillé après le départ des nazis il a développé une haine inextinguible pour l'Allemagne et les Allemands. Il laisse ses hommes tabasser Höss après son arrestation, participe à des actes de torture et a peut-être même été complice du lynchage d'un autre criminel de guerre. C'est cette haine qui explique aussi pourquoi, après être rentré en Grande-Bretagne, il n'a plus jamais remis les pieds en Allemagne ni évoqué cette partie de sa vie.

     

     

    J'ai beaucoup apprécié cette lecture. Thomas Harding a fait un travail très intéressant et approfondi. L'ouvrage est illustré de nombreuses photos des protagonistes à diverses étapes de leur vie. J'ai envie d'en savoir plus maintenant sur la traque des criminels nazis.

     

     

    L'avis de Patrice, celui d'Henri.
    Cette lecture est ma première participation aux lectures communes autour de l'holocauste, organisées par Et si on bouquinait un peu et Passage à l'Est.

     

    Thomas Harding, Hanns et Rudolf, Flammarion

     


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  • Commentaires

    1
    keisha
    Samedi 28 Janvier 2023 à 08:21
    keisha

    Ah intéressant (mais dur, on dirait). Peut être une autre année pour le challenge, là j'ai fait le plein.

      • Dimanche 29 Janvier 2023 à 09:07

        Très intéressant, en effet.

    2
    Samedi 28 Janvier 2023 à 11:09
    luocine

    j'avais lu ce livre en son temps (en 2014) et je sais que si je l'avais apprécié je n'y avais (hélas!) pas appris grand chose de nouveau, il faut dire que j'ai beaucoup lu sur ce sujet.

      • Dimanche 29 Janvier 2023 à 09:20

        L'histoire de Höss je la connaissais déjà pour avoir lu La mort est mon métier par contre j'ai découvert la traque des nazis. En suivant j'ai lu La filière pour en savoir plus -même si j'ai publié mon compte rendu avant.

    3
    Samedi 28 Janvier 2023 à 18:55

    Ce livre, avec la démarche à la fois historique et personnelle, me fait à nouveau penser à Philippe Sands. Et, aussi, que je devrais le lire.

    Je viens d'aller regarder sur le site de l'auteur et j'y ai trouvé une vidéo avec des extraits de son entretien avec la fille de Rudolf Höss, sur son enfance si près des prisonniers, sur son regard sur son père, sur les questions qu'elle se pose... J'imagine que c'est retranscrit dans le livre également.

    Merci beaucoup pour ce billet!

      • Dimanche 29 Janvier 2023 à 09:43

        Je viens d'écouter cette intéressante interview, terrible. Les enfants Höss n'ont pas pu reconnaître que leur père était un criminel de guerre. Par contre il y a un petit fils avec qui Harding va visiter le camp d'Auschwitz et qui, à l'endroit où son grand père a été exécuté dit : "C'est le seul endroit qui me plaise ici." Ça me fait penser au fils Frank et son : "Je suis contre la peine de mort sauf pour mon père."

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    4
    Mercredi 8 Février 2023 à 21:14

    Merci pour cette contribution avec de surcroit un livre que j'avais trouvé vraiment intéressant lorsque je l'avais lu l'an dernier. C'est très bien qu'il soit de nouveau sur le bilan 2023 !

      • Jeudi 9 Février 2023 à 08:35

        Merci de me l'avoir fait connaître.

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