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James C. Scott, Homo domesticus, Une histoire profonde des premiers Etats, La Découverte
L’anthropologue et politologue américain James C. Scott est mort le 19 juillet 2024. Il était né en 1936. Il a consacré l’essentiel de sa réflexion aux instruments de pouvoir de l’État sur les personnes et aux moyens mis en œuvre par celles-ci pour y échapper. En Malaisie il a vécu deux ans en famille dans une communauté de riziculteurs ; il a élevé des moutons pour mieux comprendre les conditions de vie des fermiers. Il est considéré comme une des grandes voix de l’anthropologie anarchiste.
Homo domesticus. On a longtemps professé que l’évolution de l’espèce humaine aurait été linéaire. On serait passé des chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs, des sociétés sans Etat à l’État, sans retour en arrière possible et chacune de ces étapes aurait été un progrès pour l’humanité. En s’appuyant sur de nombreuses sources historiques, James C. Scott remet en cause cette conception. Pour lui le récit de la révolution néolithique comme progrès repose sur le présupposé que la sédentarité est supérieure à l’existence nomade. Son analyse couvre la période de 6500 à 1600 av. J.C. environ.
La maîtrise du feu (400 000 ans avant notre ère) permet de modifier le paysage grâce au brûlis et d’attirer ainsi plantes et animaux désirables. Avant même le néolithique l’être humain domestique et aménage donc son environnement, le chasseur-cueilleur ne se contente pas de la chance pour se nourrir.
Du fait de la concentration de personnes et d’animaux au même endroit la sédentarisation et l’urbanisation entraînent le développement d’épidémies. L’alimentation est moins diversifiée et la mortalité plus importante. Certains peuvent alors choisir de renoncer à ces conditions de vie. Cependant la sédentarité provoque aussi une hausse de la fécondité, la population augmente malgré la surmortalité.
L’auteur montre que généralisation de la céréaliculture, naissance des Etats et apparition de l’écriture sont concomitantes. Les céréales sont facilement stockable par l’État. Pour en produire plus il faut plus de main d’oeuvre ce qui entraîne des guerres de prédation pour se procurer esclaves et travailleurs forcés.
Ces Etats archaïques sont fragiles et peuvent s’effondrer à cause d’une épidémie, une crise écologique, une guerre… Si cet effondrement est une catastrophe pour les élites dirigeantes, il ne l’est pas forcément pour le peuple, pense l’auteur. Les communautés locales persistent et gagnent en autonomie.
Dans sa préface à mon édition Jean-Paul Demoule indique que James C. Scott se qualifie lui-même d’anarchiste et veut montrer qu’un autre monde est possible puisqu’un tel monde a été naguère possible. On peut donc envisager que l’auteur soit partial et choisisse et analyse ce qui va dans le sens de sa thèse. Quoique facilement bon public, j’ai bien le sentiment que certaines de ses affirmations sont trop peu étayées comme lorsqu’il suppose que les chasseurs-cueilleurs avaient une existence rituelle plus riche que celle des agriculteurs ou que les peuples barbares vivaient mieux que ceux des Etats archaïques. Le dernier chapitre qui est un plaidoyer en faveur des barbares me paraît un peu trop reposer sur le conditionnel. Malgré ces bémols j’ai plutôt apprécié cette lecture qui m’a donné matière à réfléchir. Il me semble pertinent de pointer le fait que ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire : l’agriculteur sur le chasseur-cueilleur, le sédentaire sur le nomade, l’État sur le peuple sans Etat. J’ai trouvé dans cet ouvrage (paru en 2017) des choses que j’avais lues auparavant dans Au commencement était (paru en 2021).
Un regard critique sur le travail de James C. Scott.
Tags : Essai, Histoire, Disparition
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Commentaires
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Vendredi 4 Octobre à 15:40
Merci pour ce lien.
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un auteur à découvrir sans doute, mais j'en ai tant à découvrir !
Hélas, hélas ! A qui le dis-tu ?