• Jack London, Le peuple d'en bas, PhébusEn 1902 Jack London se rend à Londres où il va vivre pendant trois mois dans le quartier misérable de l'East End. Un peu comme Florence Aubenas récemment (d'ailleurs lire Jack London m'a donné envie de lire Le quai de Ouistreham) il mène l'enquête de l'intérieur. Il ne vit pas dans les mêmes conditions que les autochtones cependant. Il a loué une chambre où il peut revenir à l'occasion passer une bonne nuit, se laver. Il dispose de moyens financiers qui lui permettent de manger à sa faim. Toutes choses dont beaucoup d'habitants de l'East End sont privés. Car ce que découvre London est effroyable.

     

    Des salaires qui ne permettent pas de vivre de son travail. Nombre des pauvres de Londres sont en effet des sans-abris. Ce qu'ils gagnent en une journée leur permet à peine de se nourrir et pas toujours de se loger. Ils sont alors contraints de passer leurs nuits à sillonner les rues car la police est là pour veiller à ce que personne ne dorme dehors la nuit (le jour, on peut). Le lendemain ils ne sont plus vraiment en forme pour une nouvelle journée de travail. Il y a aussi les asiles de nuit mais il faut faire la queue dès le début de l'après midi pour y obtenir une place. Le lendemain il faut travailler (fabriquer de l'étoupe, trier des déchets infects) pour payer sa nuit. Cette solution n'est donc pas non plus compatible avec une activité salariée.

     

    Etre pauvre à Londres semble être pire qu'ailleurs. D'autres observateurs que London ont déjà remarqué que les miséreux des Etats-Unis vivaient mieux que leurs homologues britanniques. 21% des Londoniens vivent de charité. Dans l'East End l'espérance de vie est de 30 ans, de 55 ans dans les quartiers ouest.

     

    A quoi comparer l'East End ? A un bidonville : " Je regardai par la fenêtre, qui aurait normalement dû donner sur la cour intérieure des maisons voisines. Il n'y avait pas de cour -ou plutôt si, mais elle était envahie de bicoques à un étage, véritables étables à vaches dans lesquelles s'entassaient d'autres gens. Les toits de ces taudis étaient recouverts d'immondices qui atteignaient par endroits deux bons pieds de hauteur et servaient de dépotoir aux habitants du deuxième et du troisième étage de la maison où nous nous trouvions. Je discernai des arêtes de poissons, des os, de la tripaille, des chiffons puants, de vieilles chaussures, de la vaisselle cassée, et toutes les déjections d'une porcherie à trois étages."

     

    La précarité de la vie aussi m'a fait penser à l'Inde. On peut arriver à s'en sortir tout juste, ric-rac, en travaillant d'arrache-pied mais au moindre imprévu (accident, maladie) tout ce travail est compromis et c'est la chute. J'ai trouvé ce livre très intéressant. Les ouvrages d'Anne Perry que je suis avec assiduité se déroulent dans ce même cadre et à cette même époque mais là ce n'est pas un roman et la réalité frappe d'autant plus.

     

    L'avis d'Isil.

     

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     Le narrateur est Amir, né en 1963, Afghan réfugié aux Etats-Unis, écrivain. Dans les années 1970 quand Amir était enfant, à Kaboul, son père était alors un riche commerçant, protecteur admiré de tout son entourage. Amir avait pour camarade de jeu Hassan, jeune serviteur Hazara. Les Hazaras sont une ethnie afghane d'origine mongole. Ils ont les yeux bridés et le nez plat. Ils sont par ailleurs chiites. Pour ces raisons ils sont méprisés et condamnés aux basses tâches. Hassan suivait partout Amir, l'aimait et le protégeait contre les méchants garçons du quartier. Mais quand Amir a la possibilité de rendre la pareille, il laisse Hassan se faire agresser puis met fin à leur relation. Des années plus tard la possibilité lui est donnée de se racheter.

     

    J'ai beaucoup aimé ce roman, très mélodramatique, il faut le dire. Tous les malheurs qui peuvent frapper quelqu'un touchent Hassan et sa famille. En même temps cela se passe en Afghanistan, pays sur lequel d'immenses malheurs se sont abattus dans la période concernée (années 1970- 2001). Quand le narrateur retourne à Kaboul à l'été 2001, après 20 ans d'absence, il découvre une ville ravagée. Sous la violence délirante des talibans les valeurs ont changé. Un directeur d'orphelinat vend à l'occasion un enfant (à des talibans pédophiles) pour pouvoir nourrir les autres. Ses interlocuteurs sont d'abord choqués et horrifiés puis obligés d'admettre qu'il n'y a pas d'autre solution.

     

    L'autre intérêt du roman ce sont les difficiles relations entre Amir et son père. Depuis son plus jeune âge Amir se sent mal aimé. Il a l'impression que le garçon timoré qu'il est déçoit son père qu'il voit comme un héros qui n'hésite jamais à affirmer ses convictions. Il cherche l'affection de celui-ci par tous les moyens. Devenu adulte il découvre finalement que son père avait ses failles comme tout être humain. Son retour à Kaboul est aussi l'occasion de regagner son estime de soi.

     

    Un auteur que j'ai eu plaisir à découvrir. J'envisage de lire son autre roman très prochainement. J'ai vu qu'il était aussi à ma bibliothèque.

     

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    Cette BD en dix tomes présente, en suivant une famille de pieds-noirs sur plusieurs générations, l'histoire de la présence française en Algérie de 1830 à 1962.

     

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    1. Djemilah : 1836, le peintre Joseph Constant débarque à Alger chez son ami et collègue Mario Puzzo déjà installé en Algérie depuis quelques temps. Par amour pour Djemilah, une femme aperçue dans un harem, il apprend l'arabe. Il est d'abord engagé comme interprète dans l'armée française où il découvre les conditions de vie très dures des soldats, les violences de la conquête. Puis il occupe la même fonction auprès de l'émir Abd-el-Kader. De ce séjour qui bouleverse sa vie il ramène des carnets de croquis.

     

     

     

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    2. L'année de feu : 1871, Victor Barthélémy est un engagé volontaire passé à la Commune. Il a rencontré Amélie. Elle a servi de modèle à Joseph Constant pour représenter Djemilah dans une grande vue de harem. Depuis elle rêve de partir en Algérie. Ils vont s'y installer tous les deux comme colons. Les grands idéaux de Victor ne durent pas longtemps face aux dures réalités de la conquête et de la vie en Algérie.

     

    orient-3.jpg3. Les fils du sud : 1904, Paul et Casimir sont deux frères dont le père, ami des Algériens, est chef de gare à Beni Ounif, à la frontière marocaine. Leur mère est la fille de Victor et Amélie. Ils vivent une enfance insouciante aux portes du désert. Paul est un gentil garçon, ami de tous sans distinction d'origine, un peu naïf. Casimir est un brutal qui aime se battre et brimer les plus faibles que lui.

     

     

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    4. Le centenaire : 1930, Paul, journaliste à Paris, revient à Alger à l'occasion du centenaire de l'Algérie. Il y retrouve son frère Casimir qui exploite dans la Mitidja une grosse ferme héritée des parents de sa femme, Noémie. D'une brève liaison de Noémie avec Paul pendant la guerre est né Octave. Pendant son séjour Paul découvre le revers de la médaille, les comportements mesquins et racistes au quotidien, les Arabes et les Juifs humiliés. Il fait la connaissance d'Estelle dont il tombe amoureux.

     

     

    Jacques Ferrandez, Carnets d'orient, Casterman

     

    5. Le cimetière des princesses : 1954, Marianne, la fille de Paul et d'Estelle, est étudiante aux beaux-arts. Chez un brocanteur d'Alger elle achète les carnets de Joseph Constant. Elle part alors sur ses traces, dans le sud de l'Algérie.

     

     

     

    orient-6.jpg6. La guerre fantôme : 1954, Octave, militaire de carrière, se retrouve affecté en Algérie après la défaite d'Indochine. Dans les campagnes les populations locales sont prises entre deux feux, menacées par le FLN si elles semblent fidèles à la France; par l'armée française si elles ont l'air de soutenir les rebelles. Les deux camps commettent de grandes violences. Octave tombe amoureux de Samia, une Algérienne, étudiante en médecine.

     

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    7. Rue de la bombe : 1956, à Alger c'est l'escalade de la violence, les attentats sont nombreux. Samia se fait mal voir des siens car elle refuse de porter des bombes. Elle ne veut pas gagner la liberté sur des cadavres. Octave, pour avoir dénoncé la torture, ne s'est pas fait que des amis dans l'armée française.

     

     

     

     

     

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    8. La fille du Djebel Amour : 1957, Octave et Samia se sont installés dans la région du Djebel Amour. Octave est membre des SAS : Sections Administratives Spécialisées qui alphabétisent, soignent, construisent des routes... bref, tout ce que la France aurait du faire depuis longtemps en Algérie. Samia exerce comme médecin.

     

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    9. Dernière demeure : 1958, par la propagande, par l'intoxication, l'armée française essaie de détruire le FLN de l'intérieur. Un jeune appelé, qu'il a fallu emmener de force en Algérie, est affecté à la garde de la ferme de Noémie et Casimir. Samia est déchirée entre son amour pour Octave et son peuple.

     

     

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    10. Terre fatale : 1960, à Alger l'OAS organise des attentats contre tous ceux qui sont soupçonnés d'avoir des sympathies pour le mouvement indépendantiste. Dans ses rangs on trouve des officiers qui n'ont pas digéré la défaite d'Indochine, des pieds-noirs. Octave se range sans conviction du côté du coup d'état militaire de 1961.

     

     

    Voici une BD de grande qualité, très bien dessinée et très bien documentée. J'ai apprécié la peinture des beaux paysages de l'Algérie. Des pages des carnets de Joseph Constant sont montrées comme des extraits d'un "vrai" carnet d'artiste. Il y a aussi des reproductions de documents d'époque : cartes postales, unes de journaux. L'histoire de l'Algérie française oppose bien souvent les idéalistes qui croient que la colonisation peut être synonyme de justice, de progrès et d'amitié entre les peuples à tous les intérêts individuels, aux mesquineries de la prétendue supériorité européenne. En pointant toutes les occasions ratées, tout ce qui aurait dû être, Jacques Ferrandez dresse, tout en nuances, un réquisitoire contre la colonisation.

     

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  • DSCN3913.JPGParu en 1893, En famille est un des grands plaisirs de lecture de mon enfance. C'est un ouvrage que j'ai eu du mal à retrouver mais que j'ai finalement déniché chez des bouquinistes, les deux tomes chacun chez un éditeur différent. Et en plus ils se suivent, le dernier chapitre du tome un est le premier du tome deux. Moment de déception cependant quand je découvre à la première page du tome deux : "adaptation de Thérèse Lannes". De quoi s'agit-il ? Le chapitre en double me permet d'y répondre : de supprimer un mot dans une énumération, une ou deux répliques dans un dialogue. Rien dont on ne peut se passer mais en même temps rien qu'un jeune lecteur n'aurait pu affronter. Je ne vois vraiment pas l'intérêt de ce genre de procédé. 

     

    Bon, de quoi ça parle ?
    Après la mort successive de ses deux parents à six mois d'intervalle, Perrine se retrouve orpheline à 12 ans. Seule à Paris elle doit gagner Maraucourt, au nord d'Amiens, pour y faire la connaissance de son grand-père, un riche industriel qui chassât autrefois son fils. Quel point de départ pathétique ! Mais Perrine est une battante et elle avance vers son but sans s'apitoyer sur elle-même. Voilà qui était bien pour plaire à la fillette que j'étais : une vraie héroïne féminine. Et puis, arrivée à Maraucourt, Perrine se loge dans une aumuche, une cabane de chasse délaissée située sur un îlot de la rivière locale. Elle franchit le bras d'eau en sautant à la perche, elle y vit comme un Robinson, elle se fabrique de la vaisselle avec de vieilles boîtes de conserve, des espadrilles en tressant des joncs. C'est tout cela qui m'a fait rêver et que je retrouve avec plaisir aujourd'hui.

     

    180px-En famille illustration Malot

     

     

     

     

    Ce que je découvre maintenant c'est la peinture de certains aspects de la France de la fin du 19° siècle. Rapidement au début il y a la description des petits métiers de Paris : chiffonnier, chanteuse des rues, cordonnier. Ensuite, surtout, Hector Malot nous présente le tissu industriel de ce coin de la Picardie, les conditions de vie des ouvriers, le travail des enfants. Pour cela il a mené l'enquête sur place et s'est inspiré pour les usines de jute de Vulfran Paindavoine à Maraucourt des entreprises Saint Frères à Flixecourt. J'apprends tout cela sur le site de l'encyclopédie de Picardie.

     

     

     

     

     

    Enfin il y a la morale de l'époque qui fait mon régal. Après avoir gagné le coeur de son grand-père Perrine le convainc que : "n'être que juste, c'est être injuste". Il devient alors un bon patron paternaliste, fait construire pour ses ouvriers une crèche, un hôpital, des logements salubres et à bon marché, un jardin public.

    Une lecture qui m'a fait autant plaisir aujourd'hui qu'il y a 35 ans.

     

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  • hiver arctique

     Voici le cinquième épisode des enquêtes d'Erlendur, policier à Reykjavik. Le suivant vient de sortir, il s'appelle Hypothermie. Décidément, l'Islande est un pays où il fait froid.

     

    Un petit garçon de 10 ans est retrouvé mort au pied de l'immeuble où il habitait avec sa mère et son frère. L'enquête montre qu'il a été assassiné en revenant de l'école. Qui pourrait en vouloir à un enfant de cet âge ? Comme le petit Elias était Thaïlandais par sa mère on imagine qu'il pourrait s'agir d'un crime raciste. Cette hypothèse agite la société islandaise. L'immigration en provenance de pays du Sud y est, semble-t-il, un phénomène récent et ne plaît pas à certains.

     

    Par ailleurs, le fait d'avoir vu l'enfant couché dans la neige a ramené à l'esprit d'Erlendur le souvenir de son frère cadet Bergur, disparu dans une tempête de neige à peu près au même âge. Sa fille Eva Lind qui ne lui donnait plus de nouvelles depuis un bout de temps réapparait et l'interroge sur Bergur. Elle ne veut pas se contenter de réponses évasives.

     

    Enfin, Marion Briem, ancienne supérieure d'Erlendur, agonise à l'hôpital et il est le seul à lui rendre visite, elle n'a plus de famille, pas d'amis. Ces circonstances amènent notre héros à s'interroger sur ses propres relations avec les autres et sur ce que pourrait être sa propre fin.

     

    Tout ceci ne respire pas précisément la joie de vivre et la conclusion de l'enquête, dans la droite ligne de cet ouvrage noir, n'est pas non plus de nature à réjouir. J'ai apprécié cette lecture cependant. A éviter un jour de blues, peut-être.

     

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  • coréeVoyage en Corée du Nord

     

    Philippe Grangereau est journaliste, spécialiste de l’Asie. En 2000 il se joint incognito à un voyage touristique en Corée du Nord. Il en ramène un des rares reportages sur ce pays fermé qui vit encore à l’heure de la guerre froide.

     

    On découvre donc la vie pathétique des Nord-Coréens, particulièrement à cette époque, quand le pays sort tout juste de la grande famine qui a débuté en 1994. Les estimations sur le nombre de morts qu’a entraînée la volonté farouche d’autarcie du gouvernement varient de plusieurs centaines de milliers à trois millions. En 2000 à Pyongyang il y a des pénuries d’électricité (immeubles de 30 étages sans ascenseur qui fonctionne), seuls les bâtiments gouvernementaux et les hôtels pour étrangers sont approvisionnés. On manque aussi de chauffage (- 20° l’hiver) et d’eau courante (la lessive se fait au fleuve). La Corée du Nord est le pays du monde qui reçoit le plus d’aide alimentaire mais elle est distribuée par le gouvernement à des populations triées.

     

    En effet, depuis 1967, la population est divisée en trois castes : l’élite (27%), proche du régime ; les instables (45%), surveillés en permanence et les éléments hostiles (27%). Ceux-là sont relégués dans des zones inaccessibles du nord du pays. Leur vie est extrêmement précaire et 200 000 d’entre eux seraient en camps de travail. Il s’agit bien de castes car la faveur ou la haine du régime sont héréditaires sur plusieurs générations. Avec ça la propagande est partout, tellement énorme que cela ferait rire si cela ne recouvrait pas une réalité aussi sordide.

     

    J’ai beaucoup apprécié cette lecture que j’ai trouvé très intéressante. Mais attention, ce voyage date déjà d’il y a dix ans et le pays a, semble-t-il, pas mal évolué depuis cette date. L’auteur d’ailleurs remarque des frémissements : «Après avoir fustigé dans un court discours à notre attention l’hégémonisme yankee, les soldats gardiens du musée font demander à nos guides des cigarettes. Américaines de préférence. C’est à ce genre de détail qu’on reconnaît que la Corée du Nord n’est plus tout à fait une forteresse idéologique. »

     

    Un ouvrage à voir donc plutôt comme un document historique que d’actualité.

     

     

     

     

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