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    Valérie Zenatti, Dans le faisceau des vivants, Editions de l'OlivierValérie Zenatti, écrivaine française, était la traductrice et l'amie d'Aharon Appelfeld, écrivain israëlien. Aharon Appelfeld est mort en janvier 2018. Valérie Zenatti a du alors apprendre à vivre sans celui dont elle était si proche et avec qui elle avait tant plaisir à échanger des idées. Dans cet ouvrage elle présente cette relation d'amitié et comment elle a réussi à surmonter le deuil.

     

     

    Leur amitié, c'était quelque chose de très fort, elle l'admirait et elle avait à coeur de traduire au mieux son oeuvre. Ils parlaient de ça, du sens des mots, ils avaient tous les deux appris l'hébreu à l'adolescence. Aharon Appelfeld était né en 1932 à Czernowitz en Roumanie, aujourd'hui en Ukraine. Il a huit ans quand sa mère est assassinée sous ses yeux. Il est ensuite déporté avec son père, parvient à s'enfuir et survit dans la forêt auprès de bandes de marginaux. Il arrive en Israël en 1946. Avant de lire Dans le faisceau des vivants je ne connaissais ni Aharon Appelfeld ni Valérie Zenatti. Ce sont des lacunes que j'ai prévu de réparer. Appelfeld traduit par Zenatti, c'est forcément bien traduit. Elle parle de son travail de traductrice et de son rapport à la langue hébraïque.

     

     

    Tous les deux ils parlaient aussi de la shoah et surtout de comment on peut vivre après ça. Elle montre bien comment c'est un traumatisme pour les Juifs qui sont nés depuis : "ce passé auquel ma génération est adossée, que nous n'avons pas vécu mais qui a porté une ombre si vaste sur nos enfances". Elle dit comment la littérature d'Appelfeld l'a aidée à gérer ce traumatisme.

     

     

    J'ai beaucoup apprécié cette lecture. C'est bien écrit, un ouvrage touchant et riche et j'ai parfois choisi de prendre mon temps pour le déguster. J'ai aimé la description de cette belle relation, le portrait qu'elle fait de cet homme d'exception, qui a en tout cas été exceptionnel pour elle.

    Avec quatre collègues nous avons, depuis l'été dernier, constitué un petit groupe de lecture. Dans le faisceau des vivants est notre lecture commune du moment. Clin d'oeil du hasard, Valérie Zenatti évoque à la fin Le mur invisible de Marlen Haushofer qui fut notre première lecture commune. Cette découverte contribue aussi à mon plaisir.


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    Elizabeth von Arnim, Love, 10-18Catherine Cumfrit est une veuve de 47 ans. Elle fait la connaissance de Christopher Monckton, 25 ans, qui tombe amoureux d'elle et la courtise avec enthousiasme. Catherine, qui s'est toujours pliée aux désirs des autres -son mari, sa fille, son gendre- trouve bien agréable qu'on prenne ainsi soin d'elle. Catherine est la mère de Virginia, 19 ans, qui est mariée à Stephen Colquhoun, un pasteur très sérieux âgé de 48 ans. Deux couples dont le point commun est la grande différence d'âge entre les partenaires. D'aucuns vont trouver que les 30 ans qui séparent Stephen de Virginia posent beaucoup moins problème que les 20 entre Catherine et Christopher. A commencer par Stephen lui-même.

     

     

    Il m'a semblé au départ que le personnage de Stephen serait le ridicule de l'histoire. Et certes, il a un vrai potentiel comique avec sa rigidité ecclésiastique et sa mère jamais loin qui se mêle de ses affaires de couple, mais son amour sincère pour sa femme le sauve. Si ces deux là affichent de la réserve en public ils se jettent dans les bras l'un de l'autre quand ils se retrouvent dans l'intimité du foyer. Je trouve cela charmant. Quant à Virginia, elle est capable, malgré son jeune âge, de tenir tête à sa belle-mère ou d'obtenir de son mari qu'il change de position.

     

     

    Dans un premier temps Catherine est rajeunie par l'amour. Christopher l'entraîne dans des aventures nouvelles pour elle : un voyage en side-car, une nuit à la belle étoile ! Sa vie qui ronronnait prend soudain une épaisseur qu'elle n'avait jamais connue. Puis elle prend conscience de la différence d'âge et elle est paniquée à l'idée que Christopher cessera de l'aimer quand il s'en rendra compte à son tour. Nous assistons alors aux stratégies, coûteuses et épuisantes, qu'elle met en place pour l'empêcher de découvrir la vérité.

     

     

    Je retrouve avec plaisir l'humour et la critique de la société -notamment de la place qu'elle attribue aux femmes- d'Elizabeth von Arnim. Cependant, si le roman débute sur un ton léger, il se termine de façon grave. J'ai apprécié cette lecture, même si ce n'est pas celui que j'ai préféré de l'autrice.


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    Julie Dachez, Dans ta bulle !, MaraboutLes autistes ont la parole : écoutons-les !

    J'ai déjà parlé de Julie Dachez ici. Diagnostiquée autiste Asperger à 27 ans, elle enseigne la sociologie à l'université et termine sa thèse au moment où elle écrit cet ouvrage. En s'appuyant sur son cas personnel et sur les expériences d'autres personnes autistes qu'elle a interrogées, elle présente sa vision de l'autisme et de la place des autistes dans notre société.

     

     

    On distingue traditionnellement autisme lourd, non verbal, avec déficit intellectuel et autisme léger, Asperger, sans déficit intellectuel. Julie Dachez préfère parler d'autisme visible ou invisible. Pour elle les tests de QI actuels ne sont pas adaptés pour mesurer les particularités cognitives des autistes. Etre autiste c'est avoir une façon différente de penser. L'absence de déficience intellectuelle serait le cas général chez les autistes mais en les enfermant dans des institutions médicalisées on les empêche de développer leur intelligence. La réalité est moins binaire et plus complexe, il est plus juste de parler de troubles du spectre autistique et les personnes peuvent évoluer et se positionner différemment sur un continuum en fonction de leur environnement et des périodes de leur vie. Julie Dachez déplore que notre société soit trop normative et n'accepte pas des différences qui pourraient être un enrichissement. Elle fait le parallèle avec les sourds dont on a cru jusqu'au 18° siècle qu'ils étaient des débiles. En leur donnant un langage, l'abbé de l'Epée a prouvé qu'il n'en était rien. On peut faire un autre parallèle entre le fait que les autorités françaises ont longtemps tenté d'empêcher les sourds d'utiliser la langue des signes de même que la France est un des pays développé qui scolarise le moins les autistes.

     

     

    Les autistes n'étant pas les seuls à être traités comme différents dans notre société, Julie Dachez fait aussi le lien avec d'autres discriminations : sexisme, homophobie, racisme ; montre les points communs qu'on y trouve et plaide pour la non-mixité comme outil de lutte crucial. En parallèle il est question aussi du capitalisme qui opprime et du travail qui aliène. En somme, nous dit Julie Dachez, autiste ou non autiste, il faut militer pour changer la société.

     

     

    J'ai apprécié cet ouvrage, écrit dans un style vivant et très accessible. L'autrice s'adresse directement à son lecteur, l'interpelle en le tutoyant. Elle raconte des histoires de vie mais s'appuie aussi sur des sources scientifiques qui sont citées (sans nous encombrer non plus de références inutiles). Dans ses prises de positions je retrouve pas mal de choses vues chez Mona Chollet.


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    Mona Chollet, Chez soi, La DécouverteUne odyssée de l'espace domestique

    Mona Chollet est journaliste -au Monde diplomatique- un métier pour lequel on considère généralement qu'il faut aller sur le terrain pour faire du travail de valeur. Or Mona Chollet est casanière et entreprend avec Chez soi de réhabiliter le casanier et d'étudier son cadre de vie. En fait tout cela ne sera qu'un prétexte pour aborder de nombreux sujets.

    Aujourd'hui le monde entier envahit notre espace privé par le moyen d'internet. Donc pas besoin de sortir, on peut faire du très bon travail en compilant et digérant des sources diverses. Elle nous présente sa pratique des réseaux sociaux et je dois dire que ça ne m'intéresse pas vraiment. C'est le premier reproche que j'ai à faire à cet ouvrage: Mona Chollet parle beaucoup d'elle et pas toujours de façon pertinente, il me semble.

     

     

    L'ouvrage aborde ensuite tout ce qui nous empêche de jouir à loisir de notre foyer. Il est question des SDF et des mal logés. J'apprends qu'"au début des années 1980, les foyers consacraient 25 % de leurs revenus à l'alimentation et 13 % au logement ; trente ans plus tard, le rapport s'est inversé". Il y a une critique du travail qui ne laisse pas suffisamment de temps pour profiter de son chez soi ou qui n'en laisse pas la force quand il épuise, de toute façon qui aliène quand on en vient à considérer comme glorieux de n'avoir "pas une minute à soi". La solution, pour l'autrice, c'est le revenu de base.

     

     

    Je suis intéressée aussi par les passages qui traitent des tâches ménagères et de celles et ceux qui les font: domestiques d'hier et d'aujourd'hui, femmes au foyer – avec un historique de l'invention de cette figure-, répartition des corvées à l'intérieur du couple.

    "En 1973, au Royaume-Uni, le travail ménager était devenu un châtiment possible pour certains criminels. Un tribunal avait condamné l'un d'eux à nettoyer un foyer pour personnes âgées. Une journaliste avait alors porté à l'attention des juges le fait qu'à travers le pays des milliers de femmes étaient déjà "internées pour des durées plus ou moins longues" et exécutaient "cette nouvelle peine hautement dissuasive baptisée "ménage". Nombre d'entre elles "éprouvaient des difficultés croissantes à se rappeler de quel forfait elles s'étaient rendues coupables, au juste".

    Mona Chollet pense qu'il n'est pas acceptable de payer des gens pour faire le ménage. Ils sont mal payés et trop souvent méprisés. Aussi chacun devrait faire son propre ménage, au travail ou à la maison. Cela entraînerait la disparition des maisons trop grandes ou des surfaces trop salissantes. Je ne sais pas si c'est vraiment possible dans tous les milieux de travail mais je trouve ses arguments convaincants. Il est de nouveau question du revenu de base. Elle propose aussi de se tourner vers de nouvelles façons d'habiter : habitat groupé ou colocation.

     

     

    Il est finalement question d'architectes et d'architecture, un chapitre dont le contenu m'agace pour plusieurs raisons. D'abord parce que Mona Chollet n'est pas toujours objective. Par exemple, elle critique l'architecture post-moderne dont certains représentants se flattent de mettre les usagers mal à l'aise. Ainsi Peter Eisenma qui a placé dans une salle à manger une colonne destinée à frustrer la conversation autour de la table du dîner. Au contraire elle porte aux nues l'architecture traditionnelle japonaise et cite Terunobu Fujimori qui a construit une table découpée au ciseau à bois : "Lorsque vous posez une tasse dessus, elle ne tient pas, ce qui est entièrement de votre faute". Sur ce point précis, je ne vois pas bien la différence pour l'usager.

    Ensuite je trouve dommage qu'elle aille chercher de nombreux exemples hors de France : Japon, Etats-Unis. Certes, Mona Chollet est Suisse mais elle vit en France et édite en France. Quand elle traite du mouvement des squats à Zurich, c'est pertinent, mais à propos d'habitat auto-construit, on pouvait aussi évoquer Notre-Dames-des Landes ou la jungle de Calais.

    Enfin Mona Chollet professe des positions anticapitalistes radicales -sur lesquelles je ne la suis pas à tous les coups- et quand elle traite d'écologie, c'est un peu faible. Elle évoque l'imaginaire écologiste mais sa référence c'est Bambois ou la vie verte en 1973. Ca commence à dater.

     

     

    C'est donc un livre qui m'a intéressée, qui m'a appris des choses, qui m'a donné à réfléchir mais qui m'a aussi parfois agacée. J'y ai trouvé des faiblesses mais aussi des envies d'autres lectures pour approfondir le propos.

     

    Mona Chollet, Chez soi, La Découverte

    Chez moi : mon coin lecture.

     

     


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