• Jean Raspail, En canot sur les chemins d'eau du roi, Albin Michel

     

    Jean Raspail, En canot sur les chemins d'eau du roi, Albin MichelJean Raspail est mort le 13 juin 2020. Né en 1925 cet écrivain-voyageur a bourlingué à travers le monde entier. Il s'était pris de passion pour la Patagonie à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages. Catholique traditionaliste et royaliste, il était devenu, avec Le camp des saints en 1973, une référence pour les tenants de la théorie du "grand remplacement".

     

    Jean Raspail, En canot sur les chemins d'eau du roi, Albin MichelEn canot sur les chemins d'eau du roi. En 1949 Jean Raspail a 23 ans et ne sait pas trop quoi faire de sa vie. Avec trois camarades, scouts comme lui, il s'engage dans la traversée en canots, d'une bonne partie de l'Amérique du nord. De Trois-Rivières (au sud de Québec) à la Nouvelle-Orléans, sur les traces des explorateurs français des 17° et 18° siècles et sous le patronage du père Marquette (1637-1675) qui convertit les Indiens, à travers ce qui fut la grande Louisiane française. Le périple dure près de sept mois, du 25 mai au 10 décembre 1949. 55 ans plus tard, à l'occasion d'un déménagement, Jean Raspail retrouve dans un carton oublié le journal de bord qu'il avait tenu. C'est l'occasion de réécrire cette aventure de jeunesse dont on comprend qu'elle fut fondatrice pour lui. En canot... est paru en 2005.

     

     

    C'est un vrai exploit sportif qu'ont réalisé ces quatre jeunes gens, prenant tous les risques avec l'inconscience de leur âge. A plusieurs reprises les choses auraient pu très mal tourner. Le trajet commence à contre-courant, en remontant le Saint-Laurent et l'Ottawa. Il faut pagayer ferme. Quand ce n'est pas possible ils avancent à la cordelle : les canots sont remorqués depuis la rive ou, plus souvent, en marchant dans le cours d'eau. Les rapides trop abrupts sont franchis au portage : les canots et leur contenu sont portés à dos d'homme. Encore faut-il dénicher un sentier de portage. Les coureurs des bois d'autrefois les avaient équipés d'étapes de repos avec point d'appui pour le canot qui soulageait le porteur sans qu'il ait besoin de poser sa charge à terre. Loin de tout les voyageurs découvrent une nature sauvage qui bien souvent n'existe plus aujourd'hui. La traversée des grands lacs n'est pas facile non plus. Ce sont presque des mers avec des vagues et parfois des tempêtes. Une fois arrivés sur le Mississippi ils sont dans le sens de la descente, ce qui demande moins d'efforts.

    La nouvelle de leur aventure a circulé par la presse mais aussi par les canaux catholique et scout et, quand ils passent à proximité d'un lieu habité, ils ont régulièrement la surprise d'un accueil enthousiaste par la bonne société locale.

     

    Jean Raspail, En canot sur les chemins d'eau du roi, Albin Michel

     

    Mais ce récit est aussi l'occasion pour Jean Raspail de nous présenter la geste glorieuse des Français qui colonisèrent ce territoire avant que le traité de Paris, qui, en 1763, cède une bonne partie des territoires d'Amérique du nord aux Anglais, ne les pousse à partir. C'est une légende dorée du génie français qui nous est contée là. Les quelques fois où je vérifie un point sur internet j'en découvre les révisions ou les omissions en une minute. Pour la précision historique, on repassera. Du coup je me dis qu'il faudrait que je lise une (vraie) histoire de la Louisiane. Jean Raspail est en effet royaliste et catholique traditionaliste. Il est aussi réactionnaire ("il appartenait à la vieille école, qui est la bonne") et nationaliste. Face à la domination britannique, les Français sont dépeints en perdants magnifiques : "Voilà une race d'hommes, très française, devant laquelle s'ouvrait un immense pays, des milliers et des milliers de lieues, de quoi occuper plusieurs vies, et qui, en s'y engageant comme si l'affaire était déjà dans le sac, portaient leur regard intérieur aux bornes extrêmes de la Terre, en une sorte de transcendance. Le monde appartenait à ces hommes-là.

    Pendant ce temps, les Anglais, retranchés dans leurs six colonies dévotes derrière les monts Alleghanys, labouraient, défrichaient, plantaient, vendaient, achetaient, suaient à l'ouvrage, prospéraient et importaient de Guinée leurs premiers esclaves noirs. Un abîme les séparaient des Français du Canada. J'emprunte au sport une comparaison : d'un côté des amateurs de génie, doués d'intuitions fulgurantes, de l'autre des professionnels durs et obstinés, de ceux qui gagnent toujours, à la fin".

    Bien sûr, ce n'est pas la "race" qui explique cette différence, mais le nombre. Les colonies britanniques sont des colonies de peuplement, l'infériorité numérique des Français les oblige à la colonisation d'exploitation et à la fraternisation avec les Indiens : "Commerçants, trappeurs, soldats, leurs pères avaient marié des femmes indiennes, à la différence des orgueilleux mâles des treize colonies atlantiques qui en faisaient volontiers leurs concubines mais ne les épousaient jamais". Les Anglais sont venus avec leurs femmes, pas les Français. En Inde, à la même époque, les Anglais épousent les Indiennes (ils se font même musulmans). En Algérie, colonie de peuplement, les Français n'épousent pas les Algériennes.

     

     

    Le nationalisme confine au racisme quand les Indiens sont régulièrement qualifiés de sauvages, "aux moeurs le plus souvent sanguinaires".

    La fin de leur équipée amène nos navigateurs à traverser des territoires où, en 1949, la ségrégation raciale sévit encore. Ils en sont embarrassés quand ils doivent utiliser les transports en commun pour aller au ravitaillement mais leur gêne cède lors de leur réception à Vicksburg, ville sudiste. Pour faire honneur à leurs hôtes ils se sont procuré des fanions confédérés. Car, nous dit l'auteur, "un nombre infini de Français" savent que si le Sud s'est battu ce n'est pas pour préserver l'esclavage mais "un style de vie, une façon d'être et d'envisager le bonheur, des usages, une certaine urbanité partagée par toutes les classes de la société".

    "un style de vie" avec esclaves ?

    "envisager le bonheur" des esclaves ?

    "toutes les classes de la société" même les esclaves ?

    On est ici encore dans le mythe et la réécriture. C'est pour éviter qu'un spectateur ignorant puisse croire ce genre de chose qu'Autant en emporte le vent a besoin d'une introduction qui replace l'oeuvre dans son contexte. Je ne pense pas cependant que Jean Raspail était ignorant. A 23 ans peut-être, sûrement pas à l'âge où il a écrit ça.

     

    Jean Raspail, En canot sur les chemins d'eau du roi, Albin Michel

     

    Encore un passage qui me hérisse le poil : "Le scout voit dans la nature l'oeuvre de Dieu. C'était simple, clair et net. (...) Nos écolos voient-ils dans la nature l'oeuvre de Dieu ? Sinon, à qui et à quoi se réfèrent-ils, quel autre mobile les anime que leur existentiel ennui, puisqu'ils ont perdu la clef.

    Le scoutisme, en son temps, la tenait, cette clef..."

    Etroitesse d'esprit de l'intégriste religieux qui est incapable d'imaginer qu'on puisse avoir une autre conception du monde que la sienne. Quant à moi qui ne crois pas en Dieu, je conçois qu'on puisse voir son oeuvre dans la nature. Et je vis sans existentiel ennui puisqu'en fait, il y a plusieurs clefs. Il est vrai que quand les choses sont simples, claires et nettes, on ne doute pas.

     

     

    Et pourtant Jean Raspail a un vrai talent de conteur et écrit bien. Si on est prêt à abdiquer son sens critique et à se laisser embarquer, la lecture peut être plaisante. Pour moi cependant l'idéologie gâche le plaisir du voyage.

     


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 25 Juin 2020 à 05:45

    Je vois en tout cas que cette lecture ne t'a pas laissé indifférente, ça se sent ! Je suis comme toi, j'ai beaucoup de mal avec ces lectures marquées par tant d'idéologie. Pas pour moi, mais pourquoi pas découvrir Jean Raspail dans un autre opus ?

      • Jeudi 25 Juin 2020 à 14:01

        Vu ses idées je ne sais pas s'il existe des lectures idéologiquement neutres de Jean Raspail.

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