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    Arthur Schnitzler, Gloire Tardive, Le livre de pocheLe fonctionnaire Edouard Saxberger, 70 ans, est chef de bureau dans une quelconque administration. Il mène une vie paisible, un peu morne pourrait-on penser, mais qui lui convient. Un jour un jeune aspirant poète, Wolfgang Meier, vient lui dire son admiration pour Les promenades, un recueil de poèmes que Saxberger écrivit dans son jeune âge et qu'il avait presque oublié. Meier est membre d'un petit groupe d'artistes méconnus qui accueille Saxberger avec empressement au point que le vieux monsieur en vient à se demander s'il n'est pas effectivement lui-même un génie ignoré.

     

     

    Ce petit roman amusant, écrit en 1894 mais publié récemment, se déroule à Vienne. Arthur Schnitzler se moque de cette petite bande de génies autoproclamés qui se pensent au-dessus des autres et que le travail rebute. D'abord flatté par l'admiration qu'on lui témoigne et qui le sort de sa routine Edouard Saxberger prend conscience que ses nouveaux amis se soucient en fait peu de lui et de son oeuvre. Quant à moi cela me pousse à réfléchir à mon propre vieillissement et à me dire qu'il est encore temps de réaliser une partie de mes rêves de jeunesse.

     

     

    Arthur Schnitzler était un auteur qui comptait pour Ruth Klüger : "Les livres d'Arthur Schnitzler, mort à Vienne dix jours avant ma naissance (c'est important pour moi, il est un ancêtre, je pense qu'il m'a légué sa Vienne), m'en apprennent presque plus sur mes parents que mes souvenirs. L'autre était un raseur, un pédant et un avare, d'après la tradition familiale. Mes parents, des jeunes gens à la Schnitzler, l'étudiant et la femme du pédant avare, eurent une liaison qui se déroula entre Vienne et Prague, deux villes entre lesquelles on pouvait à l'époque faire aisément la navette -ensuite ça n'a plus été possible, et ça ne l'est redevenu quasiment qu'avant-hier."

     

     

    Ce roman est une lecture commune avec Patrice et participe également aux Feuilles allemandes de Eva, Patrice et Fabienne.

     

    Arthur Schnitzler, Gloire Tardive, Le livre de poche


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    Ruth Klüger, Refus de témoigner, Viviane HamyRuth Klüger est morte le 7 octobre 2020. Elle était Juive, née à Vienne (Autriche) en 1931. En 1942 elle est déportée avec sa mère à Theresienstadt. Elles sont ensuite internées à Auschwitz et Gross Rosen. En 1947 elles émigrent aux Etats-Unis où Ruth Klüger est devenue plus tard professeure de lettres allemandes.

     

    Ruth Klüger, Refus de témoigner, Viviane HamyRefus de témoigner. En 1988 Ruth Klüger est à Göttingen pour y donner une conférence quand elle est victime d'un grave accident de la circulation. Traumatisme crânien, perte de mémoire, paralysie, quand elle sort de l'hôpital elle commence la rédaction de cet ouvrage autobiographique qui débute avec l'Anschluss en 1938.

     

    Le récit mêle anecdotes du passé et réflexion sur la mémoire. A propos des camps dans lesquels elle a été internée, l'autrice passe rapidement sur les atrocités : la lectrice ("qui songerait à des lecteurs masculins ? Ne lisent-ils pas que ce qui est écrit pas d'autres hommes ?") a déjà entendu parler de ça. Et Ruth Klüger n'est pas non plus du genre à s'apitoyer sur elle-même. Ce qui l'intéresse c'est la façon dont cette expérience a fait d'elle celle qu'elle est devenue et comment elle a continué à vivre. La réflexion est originale et parfois dérangeante. Ruth Klüger est opposée à la transformation des camps en musées. Pour autant il ne s'agit pas d'oublier ce qui s'est passé : pas question de faire enlever le matricule qui lui a été tatoué à Auschwitz, comme certains le lui préconisent. Elle est consciente en même temps qu'elle ne peut pas raconter certains souvenirs si elle ne veut pas susciter une pitié qu'elle refuse absolument. Il y a le refus d'être traité en victime qui s'oppose à la volonté de dire la vérité.

     

     

    Le résultat est une pensée abrupte, caustique. Les médiocres, ceux qui se cachent derrière des alibis, ont peu de chances avec cette femme intelligente. Il y a aussi de beaux passages, parfois émouvants sur la perte du père et du frère, sur sa mère dont elle voit à la fois les qualités et les faiblesses, sur les amis d'une vie.

    Depuis l'enfance Ruth Klüger a aimé la littérature, a lu et écrit des poèmes. Certains sont inclus dans son récit. Et évalués sans concession.

    C'est donc un ouvrage riche et d'une grande qualité. Et comme il est écrit en allemand (dédicace : "Aux amis de Göttingen -un livre allemand"), il participe aux feuilles allemandes, mois thématique organisé par Eva, Patrice et Fabienne.

     

    Ruth Klüger, Refus de témoigner, Viviane Hamy

     

     


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    Margaret Atwood, Captive, Robert LaffontEn 1843, à l'âge de 16 ans, Grace Marks a été accusée d'avoir participé à l'assassinat de son patron, Thomas Kinnear et de Nancy Montgomery, gouvernante et maîtresse de ce dernier. Grace était domestique. Elle et son complice, James McDermott, sont condamnés à mort mais, vu son jeune âge, la peine de Grace est commuée en détention à perpétuité.

    En 1859 Grace est détenue au pénitencier de Kingston où elle est une prisonnière exemplaire, employée comme servante dans la maison du directeur. Un petit comité de libération s'est constitué autour d'elle, qui travaille à obtenir sa grâce complète. Pasteur méthodiste, dames patronnesses adeptes du spiritisme, ces gens sont convaincus que Grace est innocente, qu'elle a été obligée de participer au crime par McDermott voire qu'elle n'avait pas toute sa raison au moment des faits. Ils font appel aux services du dr Simon Jordan, un jeune aliéniste qui est chargé d'interroger Grace pour découvrir ce qu'il en est. Il va tenter de faire émerger les souvenirs de sa patiente en pratiquant une sorte d'analyse avant l'heure.

     

     

    Pour cet excellent roman Margaret Atwood s'est inspirée d'un fait divers réel qui a défrayé la chronique au Canada au début du 19° siècle. L'action se déroule dans la région de Toronto. Grace raconte son histoire au dr Jordan depuis son enfance en Irlande dans une famille aux nombreux enfants et au père alcoolique et violent. La famille émigre au Canada. La mère meurt durant le voyage, Grace devient domestique alors qu'elle n'a pas 14 ans. Dans ces chapitres, c'est elle la narratrice. Alors que je me demande si elle est coupable ou pas, je découvre une femme intelligente qui est rarement spontanée. Tout ce qu'elle dit ou fait semble l'être en fonction de ce qu'elle imagine que les autres attendent d'elle. Il me semble que Margaret Atwood montre bien ainsi le carcan dans lequel sont emprisonnées les femmes à l'époque, surveillées et si facilement accusées d'immoralité.  C'est encore pire pour les domestiques, privées d'intimité, menacées d'abus sexuel de la part de leur patron et qui perdraient leur logement en même temps que leur emploi si elles envisageaient de se plaindre.

    L'autre personnage dont l'autrice explore la psyché est le dr Simon Jordan. Les passages qui le concernent sont présentés en focalisation externe.

     

     

    J'ai beaucoup apprécié ce roman. D'abord pour l'analyse psychologique qui est faite des personnages, les questions que cela amène à se poser et enfin pour le cadre historique du Canada au début du 19° siècle et plus particulièrement les conditions d'existence des domestiques. Alors que j'en étais au début de ma lecture j'ai découvert qu'il y en avait eu une adaptation en six épisodes sur Netflix et je l'ai donc regardée en parallèle. Sous le titre de Alias Grace -le titre original du roman- c'est une adaptation fidèle. Des passages du texte du roman sont repris quasi à l'identique. Il m'a semblé cependant que, par rapport au livre, il manquait de l'épaisseur à la version télé. Tout ce qui concerne l'imagination, les rêves ou les fantasmes des personnages a perdu en force en étant montré. Mais j'ai apprécié de mener les deux de front car la série est aussi venue renforcer la lecture : il y a des passages auxquels je n'avais pas fait particulièrement attention et dont j'ai mieux saisi l'importance.

     


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    David Van Reybrouck est un historien, écrivain et journaliste belge. Dans ce passionnant ouvrage paru en 2010 il étudie l'histoire de la République Démocratique du Congo (Congo-Kinshasa) depuis la période coloniale jusqu'à nos jours. Pour cela il s'est appuyé sur de nombreuses sources qui sont citées mais il a aussi effectué dix voyages au Congo où il a recherché et rencontré des témoins des événements relatés. Cela va du centenaire qui a connu l'époque du Congo belge jusqu'aux émigrés en Chine qui acheminent des conteneurs de marchandises vers leur pays, en passant par l'ex-enfant soldat ou le commandant de troupes rebelles accusé de crimes de guerre par la Cour Pénale Internationale. Ces témoignages rendent le récit très vivant.

     

     

    Le Congo se classe aujourd'hui parmi les pays les plus pauvres du monde et pourtant il regorge de ressources au point qu'on a pu dire qu'il est un "scandale géologique". Je découvre pourtant que cette trop grande richesse a fait le malheur du pays. Depuis la fin du 19° siècle les candidats se sont succédé pour en piller les ressources naturelles. C'est d'abord le caoutchouc à l'époque où le territoire est la propriété personnelle du roi Léopold 2 (1885-1908). Les populations sont victimes de très grandes violences, les sociétés traditionnelles désorganisées par le travail forcé. Je retrouve des points que j'avais vus dans Un monde en nègre et blanc. Cela continue avec l'huile de palme utilisée par le britannique William Lever pour fabriquer du savon. En 1911 l'Etat belge (le Congo est une colonie belge de 1908 à 1960) lui accorde une immense concession. Cette première vague d'industrialisation entraîne une prolétarisation des habitants.

    Après l'indépendance les dictateurs corrompus (Mobutu, Kabila père puis fils) ont pillé leur propre pays. Ils se maintiennent au pouvoir par la répression et le clientélisme. Des entreprises et multinationales tirent profit de l'absence d'Etat de droit pour faire des affaires juteuses. La population est paupérisée par cette économie de pillage et chacun se débrouille comme il peut. Pourquoi être honnête quand l'exemple du contraire vient d'en haut ? Sous Mobutu la compagnie aérienne nationale Air Zaïre est surnommée Air Peut-être avec comme slogan : "La seule chose au Zaïre qui ne vole pas" (sous Mobutu -1965-1997- le pays porte le nom de Zaïre).

    Enfin, depuis 1996 le Congo est le terrain de guerres dans lesquelles sont intervenus plusieurs pays voisins (Angola, Ouganda, Rwanda, Burundi) mais aussi l'ONU et l'Union européenne. Le point de départ en est le génocide au Rwanda mais ensuite les combattants se transforment en pilleurs des ressources minières : cuivre, or, diamants, coltan... Officiellement la Seconde guerre du Congo a pris fin en 2002, dans les faits certaines régions du pays sont encore en 2010 sous le contrôle de rebelles.

    A propos du génocide au Rwanda je suis gênée par la façon dont l'auteur dédouane la France de sa responsabilité. "Mitterrand ne savait pas (...) qu'il protégeait (...) les auteurs du génocide". Du coup cela jette pour moi un petit doute sur toute la façon dont les événements en rapport avec ce génocide sont traités.

     

     

    Malgré ce bémol j'ai vraiment apprécié cette lecture. Je connaissais très peu l'histoire du Congo et j'ai appris beaucoup de choses intéressantes. L'objectif de l'auteur c'est de montrer que l'histoire du Congo s'inscrit pleinement dans l'histoire mondiale et il me semble qu'il y parvient. Si le sort du peuple congolais est terrible David Van Reybrouck ne se contente pas de lister des atrocités. Il fait état des résistances depuis l'époque coloniale et met l'accent sur le dynamisme de la jeunesse notamment au travers de la musique. De nombreux groupes et chansons populaires sont cités, que j'ai découverts. Il termine sur la note d'espoir que le commerce avec la Chine puisse être une opportunité pour le Congo. On sent qu'il aime le pays. Malgré ses près de 600 pages j'ai trouvé l'ouvrage tout à fait accessible.

     

    L'avis de Sunalee.


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    Fabrice Caro, Broadway, GallimardAxel vient de recevoir de l'Assurance maladie un courrier l'invitant à pratiquer un test de dépistage du cancer colorectal. Toute personne de plus de cinquante ans le reçoit automatiquement. Mais Axel n'a que quarante-six ans et cette erreur (mais en est-ce bien une ?) l'angoisse énormément. Pour couronner le tout de nombreux autres désagréments surgissent en même temps : son fils a fait un dessin pornographique représentant deux de ses professeurs et sa femme le somme d'avoir une explication avec le garçon; sa fille traverse son premier chagrin d'amour; un couple d'amis propose des vacances communes "paddle à Biarritz" et il faut inviter les voisins à prendre l'apéritif. Alors, pour éviter d'avoir à prendre des décisions pourquoi ne pas imaginer qu'on peut tout plaquer et refaire sa vie à la terrasse d'un café de Buenos-Aires ?

     

     

    C'est la crise de la quarantaine que traverse Axel, sans doute inspiré peu ou prou de Fabrice Caro lui-même vu les difficultés que rencontre son personnage dans les relations sociales. Je retrouve l'humour absurde que j'ai tant apprécié dans ses bandes-dessinées et il y a des trouvailles qui me font bien rire. Il y a aussi des passages émouvants à propos des enfants qui grandissent et qui partiront un jour, de l'appréhension du vide que ce départ pourrait laisser. Cependant, passé les premiers chapitres, il me semble que tout cela tourne en rond et les blagues font moins rire quand c'est le même ressort qui revient encore une fois. Reste un moment de lecture pas désagréable mais qui sera vite oublié.


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    Carole Martinez, Les roses fauves, GallimardLola est postière dans un village de Bretagne. Elle n'a pas été aimée par son père et ne s'aime guère non plus. Elle a corseté son corps et son coeur, elle vit seule, ne s'intéresse qu'à son jardin et s'en contente. Quand Carole Martinez vient s'installer au village pour y trouver l'inspiration pour son prochain roman Lola, qui a entendu parler du Coeur cousu (c'est le précédent roman de l'autrice, que je n'ai pas lu) lui montre ceux qu'elle a dans l'armoire de sa chambre. La mère de Lola était d'origine espagnole. Dans la région de ses ancêtres, selon la coutume, quand une femme était proche de la mort elle confectionnait un coussin en forme de coeur qu'elle bourrait de morceaux de papier sur lesquels elle avait écrit ses secrets. Sa fille aînée en héritait. Interdiction de l'ouvrir, cela porterait malheur. Lola et Carole Martinez se lient d'amitié. Ensemble elles lisent le contenu d'un des coeurs dont les coutures ont craqué.

     

     

     

     

    C'est l'histoire d'une femme -Lola- qui s'ouvre à la sensualité. Personnage de son propre roman Carole Martinez s'y présente en écrivaine qui s'est éloignée de son mari pour retrouver l'inspiration qui du coup s'interroge sur son couple. On croise aussi un acteur qui s'identifie à son rôle au point de se laisser dépérir, une vieille femme qui fait le lien entre les vivants et les morts et un rosier fantastique qui ensorcelle ceux qui l'approchent de trop près.

     

     

     

     

    C'est peu de dire que j'ai peiné à entrer dans cette lecture. Dès les premières pages j'ai été agacée par le traitement des thèmes abordés qui m'a semblé convenu. Cela m'a vite ennuyée au point que moments, j'ai lu en diagonale. Je n'adhère absolument pas à l'image de la femme qui serait par essence proche de la nature, lien avec la terre nourricière et le merveilleux, un peu sorcière. C'était ma première lecture de Carole Martinez et c'est raté. D'après ce que je lis sur Babelio il eut mieux valu commencer par Le coeur cousu.

     


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    Margaret Atwood, La servante écarlate, Robert LaffontCette dystopie écrite en 1985 se déroule à la fin du 20° siècle dans ce qui fut les Etats-Unis et est devenu la République de Gilead, totalitarisme religieux. Pour des raisons écologiques et sociales la fécondité s'est effondrée. Les rares enfants qui naissent sont souvent lourdement handicapés ou non viables. Aussi le gouvernement a fait des femmes supposément fécondes (parce qu'elles ont déjà eu un enfant) les Servantes écarlates, vêtues de rouge, des Commandants, les cadres du régime. Chaque Servante vit au domicile de son Commandant et de l'Epouse de celui-ci et a pour mission de leur donner un enfant. La tentative de fécondation a lieu une fois par mois lors de la Cérémonie.

     

     

    Aux autres femmes sont aussi assignés un rôle et une couleur de vêtement : les femmes des Commandants sont en bleu; les Martha, domestiques chargées du ménage et de la cuisine, en vert. Quand ma mère était scolarisée chez les soeurs de Sion -où elle a prié pour la conversion des Juifs !- les religieuses avaient des domestiques qu'elles appelaient les petites Marthe. C'est la même référence biblique. Il y a enfin les Econofemmes à la robe rayée de rouge, bleu et vert. Epouses des hommes de rang subalterne, elles font tout. Ce n'est pas seulement la couleur du vêtement qui est fixée mais aussi la forme : il faut cacher les corps. Toutes proportions gardées ça me fait un peu penser aux débats actuels sur la tenue des lycéennes. C'est un grand classique cette volonté de régir la façon de s'habiller des femmes.

     

     

    Defred, la narratrice, est une Servante écarlate. Elle raconte ses conditions d'existence, elle évoque des souvenirs d'avant, quand elle était heureuse sans s'en rendre compte et, petit à petit, on comprend comment le régime a installé son emprise sur la population. Malgré la répression, la torture, les travaux forcés à pelleter des déchets toxiques dans les Colonies, les exécutions publiques, il y a des résistants et Defred entre en contact avec eux en dépit de la surveillance généralisée.

     

     

    J'ai beaucoup apprécié ce roman. Margaret Atwood s'est inspirée de régimes de même type existant ou ayant existé pour donner un caractère crédible à son propos. Son travail est un avertissement. Elle explique dans la postface à mon édition qu'elle a veillé à ne rien inclure dans son roman, en matière de contrôle et de répression, qui n'ai déjà été utilisé par l'humanité. Elle utilise aussi la référence historique pour faire un parallèle entre l'asservissement des femmes et l'esclavage : il existe une Route Clandestine des Femmes qui, à l'image du Chemin de fer souterrain, filière d'évasion d'esclaves noirs au 19° siècle, s'appuie sur des réseaux quakers. Une lecture qui me convainc de continuer à découvrir cette autrice.

     

    L'avis de Keisha, celui de Krolfranca.


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    Niklas Natt och Dag, 1793, SonatineStockholm, 1793. Le cadavre d'un homme atrocement mutilé est repêché dans le lac Fatburen, cloaque infâme qui sert de dépotoir au quartier. La victime a été, de son vivant, découpée à petit feu, amputée des quatre membres, l'un après l'autre. Les blessures ont cicatrisé entre chaque "opération". Deux enquêteurs eux-mêmes bien cabossés vont s'occuper de l'affaire. Mickel Cardell est un ancien combattant de la guerre russo-suédoise (1788-1790) où il a perdu le bras gauche mais ramené des occasions de cauchemars. Cecil Winge est un homme de loi au dernier stade de la phtisie. Le récit nous fait aussi rencontrer Kristofer Blix, apprenti chirurgien de marine, lui aussi un vétéran de guerre mais âgé d'à peine 17 ans. Comme Cardell il soigne son stress post-traumatique à l'alcool. Anna Stina est une jeune fille condamnée pour immoralité aux travaux forcés dans la filature de Längholmen.

     

     

    Si je devais associer un qualificatif à ce roman ce serait "sordide". Le crime est sordide et les conditions de vie des miséreux également, la palme revenant à ce qui se passe derrière les murs de la filature. La lecture a parfois été difficile, âmes sensibles s'abstenir. Si on arrive à faire abstraction de ça -à se rappeler qu'il s'agit de littérature- il reste l'intérêt pour le cadre historique et les personnages. La ville de Stockholm apparaît comme sale, ses autorités gangrenées par la corruption. Je me suis attachée aux personnages que j'ai cités et j'ai eu envie qu'il leur arrive du bien. Et, oui, dans au moins un cas, cela semble envisageable.

     

     

    L'avis de Sandrine, celui de Dasola.


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    Aurélia Michel, Un monde en nègre et blanc, PointsEnquête historique sur l'ordre racial

    "Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-même chrétiens". Montesquieu.

     

    A partir d'une étude historique sur les conditions de la traite atlantique et de l'esclavage d'abord, du travail forcé dans les colonies dans un deuxième temps, Aurélia Michel développe la thèse selon laquelle l'esclavage puis la colonisation sont les bases de la mise en place d'un mythe du Blanc et du Noir (le non-Blanc) et de la notion de race qui imprègne encore notre monde contemporain. Autrement dit ce n'est pas parce qu'ils étaient racistes que les Européens sont allés prendre des Noirs d'Afrique pour en faire des esclaves mais c'est parce qu'ils ont réduit les Noirs en esclavage qu'ils sont devenus racistes.

     

     

    Le mot "nègre" désigne l'esclave acheté en Afrique mais aussi le Noir. Ainsi il se crée une association entre Noir et esclave, le Noir apparaît comme destiné à être esclave.

    L'esclavage génère violence concrète et violence symbolique. Ces deux aspects sont étudiés par l'autrice. Les manifestations de la violence concrète sont faciles à saisir, les aspects symboliques plus compliqués. Mais c'est aussi ce qui était nouveau pour moi.

    L'esclave c'est celui qui n'a pas de relations de parenté. En Afrique les personnes sont arrachées à leur famille lors de leur capture. En Amérique au 18° siècle c'est très rare que les esclaves aient des enfants. Leurs terribles conditions d'existence ne le permettent pas. Sur la plantation caraïbe la durée de vie au travail ne dépasse pas dix ans et la moyenne tourne autour de sept ans. Les esclaves sont renouvelés par la traite. Si certains ont des enfants de toute façon chacun peut être vendu de son côté. On ne peut pas laisser les nègres avoir une famille car ce serait reconnaître leur appartenance à l'humanité.

     

     

    Si la violence physique est nécessaire pour forcer le nègre à travailler elle l'est aussi pour nier son humanité. Mais en même temps qu'il détruit l'humanité de l'esclave le tortionnaire détruit une part de la sienne propre. Cette violence a un coût psychologique important pour le colon qui la délègue autant que possible. Soit en confiant son bien à un gérant, soit en vivant cloîtré dans sa demeure et en laissant les contremaîtres faire le travail dégradant de la violence.

    La fiction du nègre c'est qu'il n'est pas un être humain. La fiction du Blanc c'est qu'il serait le seul à avoir une filiation et donc, de ce fait, il ne pourrait pas avoir de lien de parenté avec le nègre. C'est pourquoi l'existence de métis, qui est une brèche dans cette fiction, est particulièrement mal acceptée.

     

     

    Le moment de l'abolition de l'esclavage (milieu du 19° siècle) correspond à celui de la conquête coloniale. Les mêmes fictions sont reprises. Le travail forcé remplace l'esclavage. Il s'agit de civiliser le nègre. Or, puisque la justification de la conquête réside dans l'entreprise de civilisation du nègre, celui-ci devient de moins en moins civilisable. Au besoin on l'ensauvage à nouveau : l'administration scolaire recommande aux instituteurs de s'adresser aux enfants indigènes en parlant "petit nègre".

     

     

    Le cadre de l'étude court jusqu'en 1950. En conclusion cependant l'autrice aborde des problématique contemporaines. Elle a rapporté auparavant l'histoire d'une maîtresse créole qui, à la fin du 18° siècle, noya le nouveau-né de son esclave qui l'importunait par ses cris. La mère fut ensuite fouettée pour qu'elle arrête de pleurer. Aurélia Michel revient sur ce meurtre : "noyer un nouveau-né et fouetter sa mère, regarder mourir un condamné sans ciller, c'est faire que le nègre reste nègre, c'est le faire nègre à nouveau pour s'assurer qu'il est bien nègre et que ce ne sont pas nos enfants, nos oncles, nos amis qui meurent noyés en Méditerranée".

    Enfin, elle fait le parallèle entre lutte contre le racisme, contre le sexisme et contre l'homophobie et appelle de ses voeux une société de l'égalité. En finir avec la race, dit-elle, c'est en finir avec le mythe de la filiation biologique comme organisation du social.

     

     

    J'ai apprécié cette lecture. Tout ce qui est faits historiques m'a fort intéressée. L'analyse, surtout quand l'autrice aborde le champ du symbolique, a été parfois un peu plus ardue pour moi ce qui peut aussi être enthousiasmant car ce texte engagé m'a donné matière à réflexion et m'a ouvert des perspectives. Je n'ai donc pas regretté de m'y être attelée.


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    Laura Spinney, La grande tueuse, Albin MichelComment la grippe espagnole a changé le monde

    Les historiens estiment aujourd'hui que la grippe espagnole qui a frappé le monde en 1918-1919 aurait fait 50 à 100 millions de morts. A l'occasion du centième anniversaire de cette pandémie la journaliste britannique Laura Spinney a étudié ses différents aspects à travers la planète.

     

    Cette grippe est une grippe aviaire (H1N1). Malgré son nom elle n'est pas originaire d'Espagne. Le patient le plus ancien connu était cuisinier dans une base militaire du Kansas. Avant lui la grippe vient peut-être des Etats-Unis, ou de Chine, ou d'ailleurs, on ne sait pas, seulement au moment où elle éclate c'est encore la première guerre mondiale, la presse est censurée dans les pays belligérants et l'épidémie est passée sous silence. L'Espagne est neutre et de plus le roi Alphonse 13 est touché, la presse en parle.Les mouvements et la concentration des troupes expliquent aussi l'expansion de la maladie : la grippe aurait eu lieu même sans la guerre mais la guerre l'a rendue plus virulente.

     

     

    Les victimes sont pus souvent des hommes que des femmes, sauf les femmes enceintes. Trois tranches d'âge sont frappées plus sévèrement : les jeunes enfants, les personnes âgées et les 20-30 ans. Dans cette dernière tranche d'âge le pic de mortalité se situe à 28 ans. L'autrice nous rapporte ainsi la triste histoire du peintre Egon Schiele qui "a laissé un témoignage de cette cruauté dans un tableau inachevé qu'il intitula La Famille. La toile représente le peintre, sa femme Edith et leur bébé; or, cette famille n'a jamais existé car Edith mourut en octobre 1918, enceinte de six mois de ce premier enfant. Schiele s'éteignit trois jours plus tard, ayant juste eu le temps de peindre le tableau. Il avait vingt-huit ans".

     

     

    Laura Spinney, La grande tueuse, Albin Michel

     

    J'ai trouvé intéressant de découvrir des points communs entre la grippe espagnole et le Covid-19. Les femmes moins touchées que les hommes, je l'ai déjà dit, mais aussi des personnes qui souffrent d'un syndrome de fatigue chronique de longs mois après leur "guérison". Certaines réactions des contemporains aussi sont comparables. Au Brésil le magazine satirique Careta déplore qu'un simple "tueur de vieillards" ne serve de prétexte aux autorités pour imposer une "dictature scientifique" et limiter les droits civils des citoyens. Le maire de San Francisco est vu son masque pendouillant à son cou alors qu'il assiste à une manifestation. L'expérience montre, dit l'autrice, que le public accepte mal les mesures sanitaires imposées. Lors d'une prochaine pandémie qui ne manquera pas de se produire au 21° siècle il serait plus efficace de s'appuyer sur la responsabilité individuelle des citoyens...

     

     

    Ce que j'ai particulièrement apprécié dans cette étude c'est son étendue : Laura Spinney s'est documentée sur de très nombreuses régions du monde, elle n'a pas réduit ses recherches aux seuls pays occidentaux. Je regrette un peu des tendances à la digression, pas toujours dans le sujet, il me semble. J'aurais parfois aimé un peu plus de rigueur. Mais le récit est vivant et facile d'accès, les sources nombreuses sont citées.

     

    L'avis de Keisha.


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