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Par Anne-yes le 6 Mai 2020 à 09:28
La pêcheuse, accoucheuse et devineresse Linnea Lindeman avait prédit avant même sa naissance que Antti Kokkoluoto mourrait le 12 juillet 1990.Une longue vie pour un petit garçon né en janvier 1918. Et l'occasion pour l'auteur de nous présenter une (rapide) histoire de la Finlande de la révolution russe à la fin de l'URSS. Il faut dire que la Finlande, qui acquiert son indépendance après octobre 1917, a dû, pendant cette période, lutter contre son puissant voisin pour préserver son autonomie. En ce qui me concerne je ne connaissais rien de l'histoire du pays avant de lire ce roman. J'imagine qu'on est plusieurs dans ce cas ? Je me suis donc dit que ça pouvait être intéressant.
L'indépendance de la Finlande commence par une guerre civile qui oppose Blancs et Rouges. Les Rouges sont un temps maîtres d'Helsinki finalement ce sont les Blancs qui gagnent.
La crise de 1929 frappe durement la Finlande. De nombreuses familles sont expropriées notamment toute une paysannerie pauvre. Ce n'est pas la misère pour tout le monde cependant. Le commerçant Tuomas Kokkoluoto, père de Antti, en profite pour s'enrichir en achetant à bas prix des biens mis aux enchères.
En 1939, lors de la guerre d'hiver, l'URSS attaque la Finlande et annexe la Carélie. En 1941, à la suite de l'Allemagne, c'est la Finlande qui attaque l'URSS pour récupérer ce territoire qu'elle occupe un certain temps.
Incorporé dans l'armée Antti s'y comporte en soldat téméraire, toujours prêt pour les missions périlleuses, assuré qu'il est que son heure de mourir n'est pas encore venue.
Coïncidence, au même moment je lis un article du Monde sur cet épisode d'occupation : la Russie accuse la Finlande de "génocide" pendant la guerre. J'y apprends que les Finlandais se sont rendus coupables de crimes de guerre en Carélie en enfermant dans des camps de concentration des militaires et des civils russes. Près de 4 000 personnes y seraient mortes, pour la plupart de faim. Pour autant parler de génocide, de chambres à gaz ou de prisonniers enterrés vivants, comme le font les Russes, relève de l'imagination. Pas un mot sur ces crimes de guerre dans le roman.
S'il m'a permis d'en apprendre un peu sur l'histoire de la Finlande, j'ai trouvé la lecture de cet ouvrage ennuyeuse. La rédaction m'a semblé plate et les tentatives d'humour poussive. Je n'ai pas trouvé d'intérêt aux personnages. J'avais eu précédemment une expérience plus positive avec Arto Paasilinna. Sur Babelio je vois que ceux qui l'ont beaucoup lu conviennent que ce n'est pas ce qu'il a écrit de mieux.
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Par Anne-yes le 2 Mai 2020 à 10:51
Le narrateur est un fils de la bourgeoisie parisienne protestante. A la rentrée de la classe de 3° il fait la connaissance de Silbermann, un condisciple juif. Le roman a été écrit en 1922 et l'histoire pourrait bien se dérouler en 1905, semble-t-il, puisqu'il y a des allusions à une loi qui ressemble fort à la séparation des Eglises et de l'Etat. Silbermann est un élève précoce -il est passé directement de la 5° à la 3° et est néanmoins le premier de la classe. Je pense qu'aujourd'hui on se poserait la question de savoir s'il n'y a pas également un trouble du spectre autistique. Le narrateur est vite conquis par ce camarade. C'est une étrange amitié qui se noue là avec un narrateur très admiratif de l'intelligence de son ami et qui en même temps se fait un devoir de le protéger contre les attaques antisémites d'élèves et de professeurs du lycée. Il y a une recherche d'absolu chez ce garçon dont un oncle missionnaire est mort jeune et qui s'identifie à ce martyr qu'il n'a pas connu. Quant à Silbermann, une fois qu'il est lancé sur son dada -la littérature- il peut discourir longtemps sans se soucier des réactions de son interlocuteur et le résultat est qu'il ne suscite guère la sympathie.
Face à ses parents qui reprouvent cette amitié le narrateur s'autonomise et la vénération aveugle qu'il avait pour eux fait place à un regard critique sur tous leurs actes : "J'avais souvent comparé la conduite de mes parents et le système de leurs actes à ces tapisseries au canevas que ma mère brodait avec régularité et patience durant nos veillées. Et maintenant, il me semblait découvrir l'envers de l'ouvrage ; derrières les lignes symétriques et les beaux ornements aux tons francs, j'apercevais les fils embrouillés, les noeuds, les mauvais points". Après une crise violente il commence à voir en eux des êtres humains avec leurs points faibles et leurs qualités.
Le propos de ce roman est clairement de prendre position contre un antisémitisme qui apparaît très présent à l'époque, notamment dans la bourgeoisie catholique. Il y a une ligue nationaliste, Les Français de France, prête à casser du Juif à la moindre occasion. Remplaçons Juif par Arabe ou musulman et certaines idées deviennent très contemporaines particulièrement quand il est question de la possibilité, ou non, des Juifs de s'intégrer à la société française.
J'ai souvent pensé à L'ami retrouvé en lisant ce roman et j'ai apprécié cette lecture. C'est bien écrit et j'ai trouvé l'étude psychologique des personnages convaincante, particulièrement en ce qui concerne les relations entre le jeune narrateur et ses parents. J'ai trouvé la chute très dérangeante.
L'avis de Patrice.
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Par Anne-yes le 29 Avril 2020 à 09:12
Ce livre est une réédition (complétée) de 2014 d'un ouvrage d'abord paru en 1980 dans la collection Archives. Ceci explique son format c'est-à-dire qu'il est composé de longues citations de documents, les commentaires ou développements de l'autrice sont réduits. Dans une première moitié de l'ouvrage Elise Marienstras nous présente la colonisation des Etats-Unis par les Européens. J'y retrouve ce que j'ai déjà lu ailleurs : spoliations, massacres, non respect des engagements et des traités, corruption. Dès le départ les Amérindiens ont résisté mais ils ont été vaincus par des maladies contre lesquelles ils n'étaient pas immunisés et par le manque de scrupules total de leurs adversaires convaincus que leur supériorité leur donnait tous les droits. J'apprends qu'en 1763 une Proclamation du roi George 3 qui limite l'ambition des colons et des spéculateurs sur les terres indiennes est une des causes de la révolte pour l'indépendance des treize colonies.
La seconde moitié du livre est consacrée à la résistance indienne de la fin du 19° siècle au début du 21°. Cette résistance est d'abord une lutte pour préserver la culture indienne notamment les organisations collectives et la religion. Cela passe par l'apparition de religions syncrétiques ou panindiennes et par la création d'écoles de survie où leur culture ancestrale est enseignée aux enfants. La résistance s'appuie sur de nombreuses actions en justice pour obtenir le respect des traités signés mais il y a aussi parfois des actions plus médiatiques : occupation du site de Wounded Knee ou de l'île d'Alcatraz dans les années 1970. Le bilan se veut optimiste : les Amérindiens ont survécu au génocide et la démographie est aujourd'hui dynamique. La situation sociale déplorable qui est celle de nombreux membres de cette communauté est cependant présentée : pauvreté, alcoolisme, obésité...
A la lecture de ce livre j'ai regretté que les documents présentés ne soient pas introduits de façon plus substantielle. J'aurais aimé en savoir beaucoup plus sur certains auteurs mais on a trop souvent le texte brut sans même que le nom de son auteur ne soit cité et il faut, pour savoir qui parle, se référer aux notes en fin d'ouvrage. Elise Marienstras aborde ici, me semble-t-il, de nombreux aspects de la question mais ne les approfondit pas. Il faut prendre cette lecture comme une introduction qui doit pousser à l'approfondissement ou, pour ceux qui connaissent déjà le sujet, comme une occasion de mettre à plat et d'ordonner ses connaissances.
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Par Anne-yes le 25 Avril 2020 à 11:42
Angela Rohr (1890-1985) était d'origine autrichienne. Jeune femme elle a voyagé en Europe, étudié la médecine, la psychanalyse, le chinois, publié dans des revues, rencontré peintres et écrivains. En 1925 elle s'installe en URSS avec son mari, un communiste. Ils prennent la nationalité soviétique. En juin 1941, moins d'une semaine après l'invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie, Angela et son mari sont arrêtés en tant qu'Allemands. Lui est mort en détention, elle a été réhabilitée en 1957. Elle raconte ses années d'emprisonnement.
Le récit commence quand l'autrice quitte la prison de la Boutyrka à Moscou. Elle est d'abord détenue dans diverses prisons. Ce sont en fait des camps de concentration. A plusieurs reprises j'ai l'impression de lire quelque chose qui se déroulerait en Allemagne nazie. Elle est alors interrogée régulièrement puis condamnée à cinq ans de camps et envoyée dans la région de l'Oural en wagons à bestiaux. Repérée comme médecin elle est affectée à l'hôpital des camps où elle séjourne mais il lui arrive aussi d'être envoyée à la coupe du bois ou employées dans des ateliers. A l'issue de sa peine elle est assignée à résidence. Elle continue à exercer la médecine, soit pour des camps, soit comme médecin "de ville". Elle ne pourra retourner à Moscou qu'en 1957.
J'ai été particulièrement intéressée par tout ce que Angela Rohr raconte de son expérience comme médecin au goulag. Elle dresse un tableau clinique saisissant de la situation. On meurt d'abord de la faim, surtout pendant la guerre. On ne parle pas de faim, d'ailleurs, mais de dystrophie alimentaire. C'est la mort naturelle. Dans un camp des prisonniers s'empoisonnent involontairement en mangeant les grosses racines d'une plante pour se nourrir : c'est la ciguë. Il y a aussi des tuberculeux, des syphilitiques, des fous, des mutilés volontaires, des toxicomanes qui se droguent avec tout ce qu'ils peuvent trouver... et tellement peu de matériel et de médicaments pour soigner. Dans ce contexte particulièrement difficile, confrontée à des prisonniers qui font souvent partie de la pègre et qui ont reconduit dans le camp le fonctionnement de leurs organisations criminelles Angela Rohr se comporte avec courage et surtout détermination de soigner vraiment ce qui la pousse à expérimenter. Elle sauve des vies. Elle a à coeur de faire de son hôpital un lieu accueillant et gagne le respect de ses patients en les traitant en êtres humains et en leur témoignant de la confiance. Pour toutes ces raisons elle est généralement mal vue par la direction du camp. C'est une femme admirable, une véritable héroïne.
Le style est en apparence simplement descriptif mais traversé d'une ironie mordante :
"Les rats avaient creusé beaucoup d'accès à ma chambre, pas en cachette mais ouvertement, et ils me rendaient visite, mais dans la journée. Je ne connaissais, certes, pas le cycle de leur reproduction, qui doit être extraordinairement court ; en peu de semaines, ils s'étaient multipliés ou bien avaient reçu des renforts, car ils avaient appris par leur parenté qu'une zone sans danger venait de s'ouvrir pour eux".
Par son témoignage elle s'engage dans la dénonciation des crimes du régime :
"Ce médecin avait été la femme d'un communiste, membre du Comité central de l'Ukraine, exécuté comme ennemi de l'Etat, tandis qu'elle n'avait eu que huit ans de camp pour avoir vécu avec lui. Leurs enfants, excepté une fille prénommée Stalina, étaient morts entre temps".
"Si je ne pouvais rien changer à ces événements, j'étais cependant la "mémoire pour tout le temps" qui devait aussi avoir sa valeur ; c'était la connaissance des méthodes d'un Etat qui avait inscrit l'humanité sur son drapeau".
Je trouve cela très fort. J'ai beaucoup apprécié cette lecture.
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Par Anne-yes le 21 Avril 2020 à 10:23
"Beaucoup de nos contemporains ont cru que, grâce aux avancées de l'hygiène, de la médecine, de la protection sociale, des informations recueillies et diffusées au niveau international, ils ne connaîtraient plus ces "grandes catastrophes pathologiques" qui, périodiquement, étaient venues s'abattre sur nos ancêtres.Cela entraînait un sentiment de fausse sécurité que rien ne justifiait".
Ce passage est tiré de la préface à la seconde édition que j'ai entre les mains et qui date de 1994. Il est écrit à propos du sida mais ça marche aussi pour le covid 19. C'est donc un ouvrage un peu ancien -on lit ce qu'on a chez soi. Les considérations sur les maladies aujourd'hui seraient à mettre à jour. On n'a, à l'époque, aucun traitement contre le sida. Les aspects historiques, psychologiques et sociaux des épidémies me paraissent tout à fait valables et c'est parfois même troublant de voir à quel point les réactions humaines évoluent peu à travers les siècles.
Les auteurs font d'abord un point scientifique sur les différents types de maladies : virales, bactériennes ou parasitaires ; leurs réservoirs, les façons dont elles se transmettent ; les mutations ou les différences génétiques entre les personnes qui font que certains y résistent mieux que d'autres. J'ai ainsi appris que selon son groupe sanguin on est plus susceptible d'attraper certaines maladies. Ailleurs j'ai vu que le covid 19 frappait moins les personnes du groupe O. Ca tombe bien, c'est le plus répandu. J'ai trouvé qu'il y avait dans ces premiers chapitres des aspects un peu techniques, peut être compliqués pour quelqu'un qui n'aurait pas de notions de génétique.
On nous présente ensuite l'histoire de plusieurs maladies épidémiques : peste, fièvres intestinales, lèpre, tuberculose, paludisme... Où et quand ces maladies ont-elles frappé, combien ont-elles fait de victimes, comment a-t-on lutté contre elles, qu'est-ce qui a mis fin à ces épidémies et quel est le risque qu'elles réapparaissent ? Ainsi, si la peste n'existe plus chez nous aujourd'hui c'est dû à une amélioration de l'hygiène mais aussi sans doute au fait que des millions de personnes ont été infectées sans en souffrir par yersinia pseudo-tuberculosis, bacille cousin germain de yersinia pestis (celui de la peste) qui immunise contre la peste. Mais chaque bonne nouvelle est assortie du même avertissement : les progrès sont fragiles, une épidémie peut survenir et les comportements humains seront toujours les mêmes :"Les autorités commenceront par nier le mal, puis elle lui donneront un nom rassurant. La population fuira les lieux et s'écartera des gens contaminés ou suspectés de l'être. Elle cherchera des "coupables", elle s'en prendra aux nouveaux venus dans le pays, que l'on convaincra d'avoir importé le mal : la xénophobie se livrera aux pires excès. On isolera les malades et les suspects, on les "concentrera" dans des hôpitaux et des camps d'où il leur sera interdit de sortir, on tirera à vue sur les fuyards, qu'ils soient malades ou non. On aura recours aux prières et aux remèdes les plus aberrants. Même les médecins, pourtant mieux armés que naguère, ne seront pas épargnés et mourront comme les autres, sinon plus. Et un beau jour, sans raison, le mal s'atténuera et disparaîtra".
Les conséquences humaines dans toutes leurs dimensions sont détaillées : économiques, psychologiques, politiques et culturelles. Au 19° siècle la recherche contre la peste débouche en 1910 sur l'ouverture de l'Office international d'hygiène publique, ancêtre de l'OMS. La tuberculose, maladie romantique du 19° siècle, influence des oeuvres littéraires ou artistiques.
Il est aussi question des ravages commis en Amérique par les maladies européennes importées à partir du 16° siècle ; de la situation sanitaire dans les pays pauvres. C'est donc un ouvrage complet et avec de nombreux aspects très intéressants.
D'autres ouvrages qui parlent d'épidémies :
- Peste et choléra, Patrick Deville
- Le chromosome de Calcutta, Amitav Gosh
- Vies et morts d'un Crétois lépreux, Epaminondas Remoundakis
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Par Anne-yes le 18 Avril 2020 à 11:16
Quand on inventa l'agriculture, la guerre et les chefs
"Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libres (...) Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux." Etienne de la Boëtie, Discours de la servitude volontaire.
Vers – 10 000 l'invention de l'agriculture marque le début du néolithique. Cette période décisive pour l'humanité et la planète est peu enseignée et peu connue du grand public, ce que déplore Jean-Paul Demoule qui nous présente ici, de façon très accessible, les bouleversements essentiels qui l'ont marquée. L'ouvrage est présenté sous la forme d'une dizaine de grandes questions : Qui a inventé l'agriculture (et l'élevage) ? Qui a inventé les dieux (et Dieu) ? Qui a inventé les chefs (et la servitude volontaire) ?...
Dans Sapiens, Yuval Noah Harari qualifie la révolution néolithique d'escroquerie. Jean-Paul Demoule confirme que la découverte de l'agriculture, outre la sédentarisation, a entraîné l'allongement de la journée de travail, une croissance démographique hors de contrôle, le développement des inégalités au point qu'aujourd'hui 1 % des individus possède la moitié des richesses mondiales. Au début du 7° millénaire, les communautés agricoles du Moyen-orient ont crû en nombre et formé des villes de plusieurs milliers d'habitants. Elles sont alors touchées par un effondrement dont les causes ne sont pas bien connues. Les grandes agglomérations disparaissent et une partie de la population émigre vers les régions environnantes puis l'Europe qui est colonisée et se met aussi à l'agriculture.
J'ai été particulièrement intéressée par les éléments de réponse apportés à la question Qui a inventé la domination masculine ? L'auteur réfute les théories selon lesquelles il aurait existé au paléolithique un matriarcat primitif. L'ethnographie montre que les femmes n'ont le pouvoir politique dans aucune des 10 000 sociétés humaines passées ou présentes recensées. En ce qui concerne les représentations féminines datant du paléolithique -statuettes aux caractères sexuels exagérés baptisées "Vénus"- il y voit plutôt "un point de vue essentiellement masculin, préoccupé par la compréhension et le contrôle de la sexualité féminine".
C'est donc une lecture que j'ai appréciée. Jean-Paul Demoule explique clairement et ne se contente pas de parler du passé : il fait des liens avec l'époque contemporaine dans une optique de critique sociale. Les millénaires zappés, nous dit-il, sont ceux où les sociétés ont faits certains choix, et tout n'est pas forcément allé de soi. Toutes les sociétés n'ont pas fait les mêmes choix, d'autres étaient possibles, d'autres le sont encore, pourquoi pas.
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Par Anne-yes le 15 Avril 2020 à 10:07
En mars 1860 un schooner avec à son bord 15 garçons de 8 à 14 ans, tous élèves de la pension Chairman à Auckland, Nouvelle Zélande, se perd dans le Pacifique sud puis fait naufrage sur une île déserte. Les enfants vont devoir s'organiser pour survivre. Heureusement quasiment tout est récupérable dans l'épave du bateau qui s'est échoué sur une plage. Il y a des provisions, des armes et des munitions, des outils, tout ce qui est nécessaire à la vie le temps de s'organiser. Il y a même le chien de Gordon et le petit accordéon de Garnett. Moi qui joue de cet instrument depuis trois ans j'ai été contente de le voir participer à l'aventure mais j'ai constaté que Jules Verne, lui, ne l'appréciait guère : "Quelquefois aussi, l'accordéon de Garnett laissait échapper une de ces harmonies écoeurantes que le malencontreux mélomane "soufflait" avec une conviction regrettable".
Une fois le logement assuré les jeunes naufragés vont vivre essentiellement de la chasse et de la pêche. C'est viande à tous les repas avec un peu de cueillette et de conserves de légumes sauvées du naufrage mais point trop n'en faut. L'approvisionnement est surtout fourni par Doniphan, Webb et Wilcox, chasseurs forcenés qui ne peuvent s'empêcher de tirer sur tout animal, même non comestible. Et il y a de quoi faire : manchots, phoques, tortues de mer, vigognes, jaguars, couguars, chacals, même un hippopotame (si, si) et toutes sortes de volatiles. Par souci d'économiser les munitions, Gordon, comptable et chef de la petite communauté, essaie de freiner les ardeurs de ses camarades qui estiment que prendre du gibier au piège n'est pas sport. Le résultat de ces chasses merveilleuses est cuisiné par Moko, le mousse noir de 12 ans qui tient le rôle de domestique.
Car chacun est bien à sa place dans la société qui s'est reconstituée sur l'île Chairman à l'image de celle que les naufragés ont quittée. Il ne s'agirait pas de se laisser aller à la paresse ou de se croire en vacances malgré le titre du roman. Les enfants se sont donné un chef qui a même le pouvoir de distribuer des châtiments corporels. Et quand il s'agit d'en changer au bout d'un an, on vote : "Comme la colonie comptait quatorze membres -Moko, en sa qualité de noir, ne pouvant prétendre et ne prétendant point à exercer le mandat d'électeur- sept voix, plus une, portées sur le même nom, fixeraient le choix du nouveau chef".
De même, quand les circonstances font débarquer une femme sur l'île, elle devient mère de substitution -alors qu'aucun des enfants n'a montré jusqu'alors que ses parents pouvaient lui manquer- : "On ne peut trop le redire, l'excellente créature avait reporté sur les plus jeunes enfants de la colonie tout ce que son coeur contenait de tendresses maternelles, et jamais elle ne leur marchandait ses caresses. "Je suis comme cela, mes papooses ! Répétait-elle, c'est dans ma nature que je tricote, tripote et fricote !" Et en vérité, est-ce que toute la femme n'est pas là !"
Si les coups de fouet ou de badine semblent gêner Jules Verne il valorise l'éducation britannique qui responsabilise les garçons et leur permet d'être plus rapidement autonomes. La morale c'est qu'avec "de l'ordre, du zèle, du courage, il n'est pas de situations, si périlleuses soient-elles, dont on ne puisse se tirer".
Jules Verne a fait ma joie quand j'étais enfant et cela fait longtemps que j'avais envie de relire ce roman. Malgré tous les préjugés trimballés par l'auteur je dois dire que j'ai apprécié cette lecture et que je ne me suis pas ennuyée un instant. C'est que les découvertes se succèdent, toutes plus merveilleuses les unes que les autres. Quand ce n'est pas la faune c'est la flore ou la géographie de cette île de cocagne. Les jeunes héros sont imaginatifs et pleins de ressource. Il y a donc tout ce qu'il faut pour plaire à des enfants rêveurs, petits ou grands.
D'autres lectures dont les personnages sont isolés ou confinés :
- Philip K. Dick, La vérité avant dernière
- Marlen Haushofer, Le mur invisible
- Arto Paasilinna, Prisonniers du paradis
- Philippa Pearce, Le jardin secret
- Vassili Peskov, Ermites dans la taïga
Et vous, est-ce que la situation actuelle vous donne des envies particulières de lectures ?
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Par Anne-yes le 12 Avril 2020 à 10:00
Entre les deux guerres, à Argus dans le Dakota du nord, différents personnages se croisent, la plupart originaires d'Allemagne ou de Pologne. Un des principaux protagonistes est le boucher Fidelis Waldvogel. Ancien combattant allemand de la Première guerre mondiale, il a migré aux Etats-Unis peu après le conflit puis a fait venir sa femme, Eva, et son fils. Il a ouvert un commerce prospère, ensuite touché par la crise. Il a créé une chorale d'hommes -laquelle chorale, si elle donne son titre au roman, y joue un rôle plutôt secondaire. Sa route croise celle de Delphine Watzka, fille d'un vieil alcoolique membre de la chorale, anciennement partenaire dans un duo d'équilibristes, qui devient amie avec Eva et est employée à la boucherie comme vendeuse. Pour moi c'est elle qui est le personnage principal du roman.
Ce roman plaisant à lire nous présente l'histoire d'une petite communauté du nord des Etats-Unis, à la frontière du Canada. Autour de Fidelis et de Delphine nous faisons connaissance avec toute une série de personnages, dont certains bien détaillés, et avec les épisodes parfois mouvementés de leurs vies. Il est question du traumatisme de la guerre et de la vie dans un nouveau pays. Il est question d'homosexualité, d'amitié et d'amour. On rencontre des parents aimants mais aussi des enfants malheureux.On découvre le travail du boucher mais aussi celui de la croque-mort. Certains personnages sont Indiens. Une rapide recherche sur Louise Erdrich m'apprend qu'elle est d'origine allemande et indienne. C'est un livre riche.
Alors que cela se passe dans les années 1930 et 40 j'ai été surprise de la présence de biens de consommation qui n'ont été disponibles chez nous que dans les années 1960. J'ai apprécié l'écriture et la peinture des sentiments. Certains passages m'ont émue.
C'est une lecture commune avec Eva et Patrice du blog Et si on bouquinait un peu ? et Valentyne de La jument verte.
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Par Anne-yes le 6 Avril 2020 à 17:24
"On croit difficilement aux fléaux lorsqu'ils vous tombent sur la tête.Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus".
C'est à Oran, Algérie, que la peste frappe dans les années 1940. La ville est alors confinée, coupée du reste du monde.Plus personne n'y vient et on ne peut plus en sortir même si, à l'intérieur, c'est beaucoup moins strict qu'aujourd'hui : on continue à aller au restaurant, au café et au cinéma. Alors que le nombre de morts augmente le docteur Rieux, son ami Tarrou, le journaliste Rambert, le prêtre Paneloux et l'employé de mairie Grand vont lutter de toutes leurs forces contre le fléau.
La peste chez Camus est une métaphore du nazisme. Oran c'est la France occupée, les soignants les résistants. Face aux pénuries le marché noir se développe, des personnes tentent de quitter la ville et des passeurs se proposent de les y aider moyennant finance Mais La peste de Camus marche aussi très bien pour parler du covid 19: on retrouve les soignants épuisés, les quarantaines à l'hôtel, les pompes funèbres débordées... et les séparations douloureuses : "C'est ainsi, par exemple, qu'un sentiment aussi individuel que celui de la séparation d'avec un être aimé devint soudain, dès les premières semaines, celui de tout un peuple, et, avec la peur, la souffrance principale de ce long temps d'exil". Le ressenti des personnages dans cette situation de crise me semble fort bien analysé.
L'objet du roman c'est aussi de poser la question du sens de la vie et de comment se comporter pour être un homme bien -un homme, hein, pas un être humain car ici les femmes sont réduites au rôle de tapisserie. A ces questions Camus apporte une réponse à la fois très exigeante pour soi-même et bienveillante pour les faiblesses humaines. Par dessus tout il place l'amour et la recherche du bonheur : "Mais Rieux se redressa et dit d'une voix ferme que cela était stupide et qu'il n'y avait pas de honte à préférer le bonheur".
Malgré des longueurs, ce que j'ai apprécié dans cette lecture c'est l'observation fine de l'âme humaine, de ses désirs et de ce qu'ils peuvent avoir d'intemporel puisque, plus de soixante-dix ans après leur écriture, certains passages me touchent au coeur. J'ai été particulièrement émue par tout ce qui concerne les difficultés de la séparation et l'angoisse pour ceux qu'on aime au point que ça a parfois rendu ma lecture un peu douloureuse. Mon conseil : si la situation actuelle vous stresse, mieux vaut peut être attendre après pour lire La peste.
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Par Anne-yes le 31 Mars 2020 à 16:45
Michel Ragon est mort le 14 février 2020. Né à Marseille en 1924 il a grandi en Vendée. Enfant pauvre il s'est instruit tout seul, par les livres. Après avoir fait différents petits métiers il est devenu critique d'art et écrivain. Il était anarchiste.
La mémoire des vaincus. A travers le personnage fictif d'Alfred Barthélémy, ce roman est une histoire de l'anarchisme au 20° siècle.
Né à la fin du 19° siècle, le jeune Fred Barthélémy est un gamin des rues de Paris qui survit de débrouille dans le quartier des halles. Il fait la connaissance de Flora, fille de poissonniers, qui fugue avec lui. Les deux enfants sont pris en charge par le libraire Paul Delesalle et par le couple formé par Rirette Maîtrejean et Victor Kibaltchich (alias Victor Serge) chez lesquels se retrouvent aussi les membres de la bande à Bonnot. C'est à leur contact que Fred se forme, lit, devient anarchiste.Les deux grands moments du roman sont le séjour du héros en Russie-URSS entre 1917 et 1924 et la guerre civile espagnole. Parlant russe, Fred est recruté par l'armée française en 1917 pour servir d'interprète à une délégation envoyée auprès du gouvernement de Lénine. De nombreux anarchistes russes soutiennent la révolution bolchévique à ses débuts mais ils sont peu à peu "épurés" et Fred qui était devenu un proche et un collaborateur du régime prend conscience de ses crimes. J'ai particulièrement apprécié ce récit des dessous de la révolution russe du point de vue anarchiste. Les renoncements, les manipulations, la calomnie, les menaces, les coups de force sont décrits. Trotsky, particulièrement, est clairement montré pour ce qu'il est : un criminel de guerre. J'ai trouvé tout cela convaincant et fort intéressant.
En Espagne, les milices ouvrières qui s'opposent au putsch de Franco sont dominées par les anarchistes. Ici aussi les communistes vont faire le ménage : le soutien militaire de l'URSS à la république espagnole se double d'une politique de noyautage et de l'assassinat des révolutionnaires non staliniens.A Paris Fred continue de s'informer et écrit, en vain, pour alerter sur les crimes de Staline. L'auteur montre bien comment toute critique du régime soviétique a longtemps été inaudible. Les "idiots utiles" du communisme sont pointés du doigt, ainsi de HG Wells qui encensait Staline : "Je n'ai jamais rencontré un homme plus candide, plus honnête, plus juste... Il doit sa position au fait qu'il n'effraie personne et que tout le monde a confiance en lui".
Ce sont tous ces aspects historiques qui m'ont le plus intéressée. A côté l'histoire personnelle et affective de Fred Barthélémy est le point faible du roman, ses relations avec les femmes stéréotypées et convenues. Il y a Flora, la première amoureuse, celle vers qui on revient toujours, la femme-enfant, chatte sauvage, petit animal impossible à mettre en cage. Il y a Claudine, épouse et mère simple et franche, gardienne du foyer pendant que son mari s'essaie -vite fait- au féminisme à l'extérieur. Et toutes les autres, "les lourdes et envoûtantes tentations de la sexualité".
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