-
Par Anne-yes le 28 Juin 2020 à 11:24
Snowman est Le dernier homme : le dernier homo sapiens vivant après l'effondrement. Dans une Amérique du nord post-apocalyptique au climat tropical, où le soleil brûlant est tempéré par l'orage quotidien de fin d'après-midi, il survit dans un grand dénuement. Il lui faut échapper à des animaux génétiquement modifiés qui se sont reproduits en liberté en s'hybridant encore et qui feraient bien de lui leur repas : les porcons, porcs géants et particulièrement intelligents, les louchiens à l'apparence de bons toutous et au comportement de loups agressifs... Et puis il y a les crakers qui sont des humanoïdes, eux aussi créés par manipulations génétiques. Ils sont grands, beaux, inoffensifs et naïfs. Snowman est leur instructeur : il leur explique le monde... à sa façon.
Peu à peu, par des retours vers l'enfance et la jeunesse de Snowman, qui s'appelait alors Jimmy, on comprend comment on en est arrivé là. Jimmy a grandi dans des compounds, des villes privées appartenant à des firmes souvent spécialisées dans les biotechnologies. Elles se font une rude concurrence pour mettre au point toutes sortes d'OGM végétaux et animaux destinés à l'alimentation ou aux soins. Les porcons sont des réserves d'organes pour les transplantation vers l'être humain. Il y en a aussi qui explorent le transhumanisme avec des recherches pour contrecarrer les effets du vieillissement ou la cryogénisation. Dans ces communautés fermées dont les portes sont surveillées par des vigiles, on trouve des universités, des centres commerciaux et des lieux de loisir. Le personnel des compounds est logé et travaille sur place. Autour ce sont les plèbezones. On les dit dangereuses et on ne s'y aventure pas sans arme ou sans garde du corps.
Ce monde d'avant est celui qui m'a le plus intéressée et convaincue car Margaret Atwood part de notre monde contemporain et en tord légèrement la réalité pour nous montrer de façon très crédible ce que pourrait être notre avenir. Adolescents, Jimmy et son meilleur ami Crake se retrouvent pour jouer à des jeux vidéos violents ou surfer sur le net. Là ils assistent à des opérations à coeur ouvert en direct, à des exécutions capitales à travers le monde ou à des suicides assistés. Il y a des sites d'animaux écrabouillés, de la (pédo)pornographie, une starlette qui met en scène sa vie. C'est de la téléréalité devenue encore plus trash ou le dark web remonté à la surface. Tout est sponsorisé. Ce monde est aussi celui du changement climatique, de l'extinction des espèces et des grandes épidémies -dont celle qui met fin à l'humanité : "Durant la première semaine, on délivra des conseils du genre Faites bouillir l'eau et Abstenez-vous de voyager, on dissuada les gens de se serrer la main. Au cours de cette même semaine la population se rua sur les gants en latex et les masques protecteurs. A peu près aussi efficaces, songea Jimmy, que les oranges piquées de clous de girofle du temps de la Mort Noire". Ce roman est paru en 2003.
J'ai beaucoup apprécié ce roman, prenant, bien écrit, beaucoup plus inventif que L'année du lion, mais pas toujours plaisant à lire vu le sujet. Cela ne présente pas une image très optimiste de notre avenir. Disons que c'est un avertissement. Le dernier homme est le premier tome d'une trilogie dont j'ai prévu de lire prochainement le prochain épisode.
L'avis d'Henri.
6 commentaires -
Par Anne-yes le 21 Juin 2020 à 19:41
Jean Raspail est mort le 13 juin 2020. Né en 1925 cet écrivain-voyageur a bourlingué à travers le monde entier. Il s'était pris de passion pour la Patagonie à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages. Catholique traditionaliste et royaliste, il était devenu, avec Le camp des saints en 1973, une référence pour les tenants de la théorie du "grand remplacement".
En canot sur les chemins d'eau du roi. En 1949 Jean Raspail a 23 ans et ne sait pas trop quoi faire de sa vie. Avec trois camarades, scouts comme lui, il s'engage dans la traversée en canots, d'une bonne partie de l'Amérique du nord. De Trois-Rivières (au sud de Québec) à la Nouvelle-Orléans, sur les traces des explorateurs français des 17° et 18° siècles et sous le patronage du père Marquette (1637-1675) qui convertit les Indiens, à travers ce qui fut la grande Louisiane française. Le périple dure près de sept mois, du 25 mai au 10 décembre 1949. 55 ans plus tard, à l'occasion d'un déménagement, Jean Raspail retrouve dans un carton oublié le journal de bord qu'il avait tenu. C'est l'occasion de réécrire cette aventure de jeunesse dont on comprend qu'elle fut fondatrice pour lui. En canot... est paru en 2005.
C'est un vrai exploit sportif qu'ont réalisé ces quatre jeunes gens, prenant tous les risques avec l'inconscience de leur âge. A plusieurs reprises les choses auraient pu très mal tourner. Le trajet commence à contre-courant, en remontant le Saint-Laurent et l'Ottawa. Il faut pagayer ferme. Quand ce n'est pas possible ils avancent à la cordelle : les canots sont remorqués depuis la rive ou, plus souvent, en marchant dans le cours d'eau. Les rapides trop abrupts sont franchis au portage : les canots et leur contenu sont portés à dos d'homme. Encore faut-il dénicher un sentier de portage. Les coureurs des bois d'autrefois les avaient équipés d'étapes de repos avec point d'appui pour le canot qui soulageait le porteur sans qu'il ait besoin de poser sa charge à terre. Loin de tout les voyageurs découvrent une nature sauvage qui bien souvent n'existe plus aujourd'hui. La traversée des grands lacs n'est pas facile non plus. Ce sont presque des mers avec des vagues et parfois des tempêtes. Une fois arrivés sur le Mississippi ils sont dans le sens de la descente, ce qui demande moins d'efforts.
La nouvelle de leur aventure a circulé par la presse mais aussi par les canaux catholique et scout et, quand ils passent à proximité d'un lieu habité, ils ont régulièrement la surprise d'un accueil enthousiaste par la bonne société locale.
Mais ce récit est aussi l'occasion pour Jean Raspail de nous présenter la geste glorieuse des Français qui colonisèrent ce territoire avant que le traité de Paris, qui, en 1763, cède une bonne partie des territoires d'Amérique du nord aux Anglais, ne les pousse à partir. C'est une légende dorée du génie français qui nous est contée là. Les quelques fois où je vérifie un point sur internet j'en découvre les révisions ou les omissions en une minute. Pour la précision historique, on repassera. Du coup je me dis qu'il faudrait que je lise une (vraie) histoire de la Louisiane. Jean Raspail est en effet royaliste et catholique traditionaliste. Il est aussi réactionnaire ("il appartenait à la vieille école, qui est la bonne") et nationaliste. Face à la domination britannique, les Français sont dépeints en perdants magnifiques : "Voilà une race d'hommes, très française, devant laquelle s'ouvrait un immense pays, des milliers et des milliers de lieues, de quoi occuper plusieurs vies, et qui, en s'y engageant comme si l'affaire était déjà dans le sac, portaient leur regard intérieur aux bornes extrêmes de la Terre, en une sorte de transcendance. Le monde appartenait à ces hommes-là.
Pendant ce temps, les Anglais, retranchés dans leurs six colonies dévotes derrière les monts Alleghanys, labouraient, défrichaient, plantaient, vendaient, achetaient, suaient à l'ouvrage, prospéraient et importaient de Guinée leurs premiers esclaves noirs. Un abîme les séparaient des Français du Canada. J'emprunte au sport une comparaison : d'un côté des amateurs de génie, doués d'intuitions fulgurantes, de l'autre des professionnels durs et obstinés, de ceux qui gagnent toujours, à la fin".
Bien sûr, ce n'est pas la "race" qui explique cette différence, mais le nombre. Les colonies britanniques sont des colonies de peuplement, l'infériorité numérique des Français les oblige à la colonisation d'exploitation et à la fraternisation avec les Indiens : "Commerçants, trappeurs, soldats, leurs pères avaient marié des femmes indiennes, à la différence des orgueilleux mâles des treize colonies atlantiques qui en faisaient volontiers leurs concubines mais ne les épousaient jamais". Les Anglais sont venus avec leurs femmes, pas les Français. En Inde, à la même époque, les Anglais épousent les Indiennes (ils se font même musulmans). En Algérie, colonie de peuplement, les Français n'épousent pas les Algériennes.
Le nationalisme confine au racisme quand les Indiens sont régulièrement qualifiés de sauvages, "aux moeurs le plus souvent sanguinaires".
La fin de leur équipée amène nos navigateurs à traverser des territoires où, en 1949, la ségrégation raciale sévit encore. Ils en sont embarrassés quand ils doivent utiliser les transports en commun pour aller au ravitaillement mais leur gêne cède lors de leur réception à Vicksburg, ville sudiste. Pour faire honneur à leurs hôtes ils se sont procuré des fanions confédérés. Car, nous dit l'auteur, "un nombre infini de Français" savent que si le Sud s'est battu ce n'est pas pour préserver l'esclavage mais "un style de vie, une façon d'être et d'envisager le bonheur, des usages, une certaine urbanité partagée par toutes les classes de la société".
"un style de vie" avec esclaves ?
"envisager le bonheur" des esclaves ?
"toutes les classes de la société" même les esclaves ?
On est ici encore dans le mythe et la réécriture. C'est pour éviter qu'un spectateur ignorant puisse croire ce genre de chose qu'Autant en emporte le vent a besoin d'une introduction qui replace l'oeuvre dans son contexte. Je ne pense pas cependant que Jean Raspail était ignorant. A 23 ans peut-être, sûrement pas à l'âge où il a écrit ça.
Encore un passage qui me hérisse le poil : "Le scout voit dans la nature l'oeuvre de Dieu. C'était simple, clair et net. (...) Nos écolos voient-ils dans la nature l'oeuvre de Dieu ? Sinon, à qui et à quoi se réfèrent-ils, quel autre mobile les anime que leur existentiel ennui, puisqu'ils ont perdu la clef.
Le scoutisme, en son temps, la tenait, cette clef..."
Etroitesse d'esprit de l'intégriste religieux qui est incapable d'imaginer qu'on puisse avoir une autre conception du monde que la sienne. Quant à moi qui ne crois pas en Dieu, je conçois qu'on puisse voir son oeuvre dans la nature. Et je vis sans existentiel ennui puisqu'en fait, il y a plusieurs clefs. Il est vrai que quand les choses sont simples, claires et nettes, on ne doute pas.
Et pourtant Jean Raspail a un vrai talent de conteur et écrit bien. Si on est prêt à abdiquer son sens critique et à se laisser embarquer, la lecture peut être plaisante. Pour moi cependant l'idéologie gâche le plaisir du voyage.
2 commentaires -
Par Anne-yes le 17 Juin 2020 à 13:31
En 1208 Guilhem d'Ussel vit à Paris où il est prévôt de l'hôtel du roi de Philippe Auguste. C'est une charge de police. Alors qu'il enquête sur le meurtre d'une prostituée, notre héros est attiré dans un piège. Certains veulent se débarrasser de lui car l'époque est à la préparation de la croisade des Albigeois. Le pape Innocent 3 fait pression sur le roi de France pour qu'il accepte de mener la guerre contre les cathares et Guilhem est un des rares proches de Philippe Auguste à pousser dans l'autre sens.
L'auteur détaille les raisons de désirer cette croisade. Outre le fanatisme religieux il y a aussi la soif de sang et l'appât du gain, voire la vengeance personnelle. Le pape stipule en effet :
"Qu'il soit permis à tout catholique, sous réserve des droits du seigneur principal, d'occuper et de garder la terre de l'hérétique et de celui qui le protège afin que le nouveau possesseur la purifie".
Nombre de chevaliers piaffent donc d'impatience et ils ont recruté truands et ribauds, attirés par les perspectives de mise à sac, pour constituer leurs armées. A Béziers en 1209 ce sont ces maraudeurs qui pénètrent les premiers dans la ville et en massacrent les habitants sans faire la distinction entre hérétiques et bons catholiques, répondant en cela au (prétendu) mot d'ordre d'Arnaud Amaury, légat du pape : "Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens". Ensuite les seigneurs font les choqués quand ce sont eux qui ont amené la piétaille dans leurs bagages. Quelques fredains sont pendus pour se dédouaner.
J'apprécie toujours de lire les aventures de Guilhem d'Ussel. Les péripéties sont nombreuses et je retrouve avec plaisir les personnages récurrents. Une fois de plus Guilhem nous est montré en modèle de seigneur chevaleresque, attentif à tous, même les plus modestes. Confronté à des événements tragiques qui frappent ses proches et aux choix politiques des puissants auxquels il s'est lié qu'il analyse comme des trahisons, il est toujours plus mélancolique.
votre commentaire -
Par Anne-yes le 14 Juin 2020 à 07:31
Arthur Daane est un documentariste néerlandais qui s'est installé à Berlin après la mort de sa femme et de son fils dans un accident d'avion dix ans plus tôt. Arthur travaille de loin en loin pour les télévisions néerlandaise ou belge. Surtout il filme pour lui-même des bouts de bande dans lesquels il essaie de montrer le temps qui passe. Arthur est en effet obsédé par le passé, la mémoire, le souvenir, et la ville de Berlin colle parfaitement à cette obsession, ville où l'histoire est partout présente. Il est beaucoup question dans le roman de la mémoire du nazisme et de celle de la réunification allemande dont les traces sont encore très visibles, l'action se déroulant à la fin des années 1990. L'auteur analyse de façon fine ce que des changements radicaux de mode de vie ont eu comme conséquences pour les contemporains : "Ici, ce n'étaient pas seulement les règles du jeu qui avaient brusquement changé, non, le jeu lui-même avait brusquement cessé d'exister, expulsant les gens de leur vie, le moindre trait distinctif de celles-ci, journaux, habitudes, organisations, noms, tout avait changé, quarante ans s'étaient en un moment ratatinés comme un chiffon de papier, et le souvenir même de ces années-là s'en trouvait rongé, déformé, corrompu. Etait-ce supportable ?"
Cet homme mélancolique qui est "partout un peu à contrecoeur" peut heureusement compter sur des amis fidèles : Erna qui l'appelle très régulièrement des Pays-Bas, à Berlin Arno, Victor et Zenobia, artistes et intellectuels qu'il retrouve dans des tavernes pour parler, boire et manger toutes sortes de saucisses. Et puis Arthur fait la connaissance d'Elik Orange, jeune femme réservée et fuyante et il en tombe amoureux. Elik prépare une thèse sur Urraca, reine espagnole du 12° siècle et ce sujet est l'occasion pour explorer la mémoire d'un passé encore plus ancien. Ici il s'agit de l'impossibilité de nous figurer la façon de penser et d'appréhender le monde de gens qui ont vécu à une époque si différente de la nôtre : "Comment se représenter une époque que l'on ne peut pas se représenter ? Le même cerveau, mais un autre logiciel". La musique peut être un moyen, propose l'auteur. Cette même question de la disparition d'une culture vivante est abordée à propos d'une vieille femme, dernière à parler sa langue : "le mystère de ces sons que bientôt plus personne n'entendrait de la bouche d'un être vivant (...) à l'instant de la mort de cette femme, à cet instant où, (...) quelqu'un penserait pour la dernière fois dans cette langue des mots inaudibles que nul n'enregistrerait".
Ce que j'ai plus particulièrement apprécié dans ce roman c'est toute cette réflexion menée sur le passé et les possibilités ou pas d'en faire son deuil et que j'ai trouvée très intelligemment menée. C'est aussi un livre très bien écrit. J'ai trouvé par contre certains passages un peu longs, la lecture ne coule pas toute seule. Il y a, par exemple, un choeur (à l'antique) qui intervient régulièrement et qui m'a vite ennuyée. Mais en même temps il m'apparaît comme le signe d'un auteur qui réfléchit à son travail et ça, ça me plaît. Globalement c'est une lecture que j'ai appréciée.
8 commentaires -
Par Anne-yes le 11 Juin 2020 à 18:27
Charles Portis est mort le 17 février 2020. Il était né en 1933.
True grit. Quand son père, un fermier de l'Arkansas, est tué et dépouillé par son contremaître, Mattie Ross, 14 ans, décide de le venger. Pour cela elle engage le marshal Rooster Cogburn, un homme à la gâchette facile qui a la réputation de tirer d'abord et de discuter ensuite. Mattie est une gamine décidée au caractère bien trempé et elle impose à Cogburn de l'emmener avec lui dans les territoires indiens à la poursuite de Tom Chaney, l'assassin. Le ranger LaBoeuf se joint à eux. Il est lui aussi à la recherche de Chaney pour le meurtre d'un sénateur au Texas.
Tout le sel de ce roman réside dans le personnage de la jeune Mattie que rien ne peut arrêter quand elle s'est fixé un objectif et de la confrontation avec les deux durs à cuire qui l'accompagnent et qui n'avaient certes pas l'habitude de se laisser faire par une gamine. Elle est aussi une redoutable négociatrice en affaires -elle servait de comptable à son père. Le résultat est un roman d'aventures de type western avec de nombreuses situations très amusantes. C'est fort plaisant à lire.
Depuis sa parution en 1968 le roman a été adapté au cinéma à plusieurs reprises. La version de Joel et Ethan Coen est passée à la télé pendant le confinement. J'ai donc vu le film avant de lire le livre. Je peux dire maintenant que c'est une adaptation fidèle et réussie. J'ai passé un bon moment avec ce film. La jeune actrice Hailee Steinfeld est très convaincante en Mattie Ross. A ses côtés Jeff Bridges (Cogburn) et Matt Damon (LaBoeuf).
2 commentaires -
Par Anne-yes le 8 Juin 2020 à 18:41
Albert Memmi est mort le 22 mai 2020. Il était né en 1920 en Tunisie, pays dont il était originaire. Il aurait eu 100 ans en décembre. Fils d'une famille pauvre de 13 enfants cet excellent élève a bénéficié d'une bourse du gouvernement tunisien et de la communauté juive qui lui a permis d'entrer au lycée français de Tunis. Il a écrit des romans et des essais. Son plus connu est le
Portrait du colonisé. Dans cet ouvrage qui date de 1957 et qui comprend aussi le Portrait du colonisateur, l'auteur étudie ce que la colonisation fait à ses protagonistes et les comportements induits par cette situation d'oppression. C'est un réquisitoire sans concession contre la situation coloniale. Le propos est argumenté de façon solide et pondérée. Les objections sont anticipées et démontées et cela se fait sans agressivité. C'est un constat : la colonisation est une variété du fascisme et repose sur le racisme. Le colonisateur justifie son usurpation en infériorisant le colonisé. Ce dernier, qui vit dans un environnement culturel appauvri, en vient à adhérer à cette image qu'on lui montre de lui. C'est la mystification parce que cette image est un portrait mythique.
Albert Memmi termine cet essai avec une réflexion sur le processus de décolonisation. Dans sa lutte contre la colonisation le colonisé a opposé au mythe négatif créé par le colonisateur un mythe positif. Il a mis en avant les différences qui le distinguaient de son oppresseur. Il s'est, par exemple, tourné vers sa religion. L'indépendance venue il reste à s'émanciper de ce nouveau mythe pour enfin agir en homme libre c'est-à-dire pas seulement défini contre le colonisateur. Il me semble que la France, ancienne puissance coloniale, n'a pas non plus complètement digéré cette période. Les violences policières racistes contre lesquelles des manifestations se sont tenues un peu partout ces derniers jours, le fait que ces manifestations aient été interdites de façon quasi systématique par les services de l'Etat, en sont pour moi le signe.
J'ai apprécié cette lecture que j'ai trouvée plutôt abordable. Il faut être un peu attentif mais le propos est généralement clair, illustré par des exemple et bien souvent éclairant. De plus, je viens de le dire, c'est une lecture qui me paraît encore d'actualité. Ces deux portraits permettent d'expliquer, il me semble, des situations contemporaines.
4 commentaires -
Par Anne-yes le 28 Mai 2020 à 16:28
"A ce moment-là on parlait de la Fièvre chaque jour aux informations, mais les gouvernements continuaient à déclarer que tout était sous contrôle. (...) On a entendu à la radio que l'Europe avait fermé les ports et les aéroports. Des experts disaient que le gouvernement américain mentait sur le nombre de morts. Des scientifiques annonçaient qu'ils travaillaient dur pour mettre un vaccin au point".
Après qu'une épidémie de coronavirus a tué 90 % de la population de la planète, les rescapés s'organisent pour survivre. Le narrateur, Nico Storm, est un adolescent. Il a 12 ans au moment de la Fièvre, 17 à la fin du roman. Il raconte l'histoire d'Amanzi, communauté que son père a créée dans le monde d'après -ou plutôt dans l'Afrique du Sud d'après car c'est dans ce pays que se déroule l'action, l'auteur étant Sudafricain. J'ai trouvé intéressant que ça se passe là parce que je ne peux pas dire que ce soit un pays que je connaisse beaucoup. On a un aperçu des paysages et des inégalités raciales -lesquelles n'ont plus cours à Amanzi.
La communauté s'est installée près d'un lac de barrage et le recrutement d'une ingénieure a permis de relancer la production d'électricité. Ensuite rétablissement de l'école, retour de la religion, agriculture, fabrication d'agrocarburant, un peu de commerce. Ce petit monde policé attire de plus en plus de réfugiés et en quelques années la population passe de 300 à près de 6000 habitants. Il faut dire qu'alentour c'est un mix entre le Moyen-âge tel que décrit dans les romans de Jean d'Aillon et Mad Max : des bandes de pillards à moto rançonnent, violent et massacrent tout ceux qu'ils croisent. Convoitée pour ses richesses Amanzi s'est fortifiée et a mis en place une petite armée chargée de la défendre contre les seigneurs de la guerre.
Les nombreux dangers contre lesquels les personnages doivent se battre font de ce roman un page turner. D'après les sources qu'il indique Deon Meyer s'est pas mal documenté sur la survie en milieu hostile et les plus de 600 pages de ce gros pavé se lisent facilement, je les ai terminées en trois jours. Cependant certains passages m'ont semblé ennuyeux quand il s'agit de nous placer des détails techniques un peu longuets. Heureusement les méchants attaquent de nouveau et en plus le gouvernement d'Amanzi se déchire sur la stratégie à adopter. Enfin je déplore une écriture sans relief, une réflexion qui manque de profondeur et un monde d'après peu original.
6 commentaires -
Par Anne-yes le 22 Mai 2020 à 17:48
Luis Sepulveda est mort le 16 avril 2020 en Espagne où il vivait. Il était né en 1949 au Chili. Engagé tout jeune dans les jeunesses communistes il a ensuite fait partie de la garde rapprochée du président Allende, a fait de la prison pour cela sous Pinochet, a été libéré grâce à Amnesty International. Il a aussi lutté au Nicaragua aux côtés des sandinistes.
La fin de l'histoire. Je l'emprunte à ma bibliothèque qui vient de rouvrir sous forme de drive : on commande par mél, on prend rendez-vous par téléphone puis on va chercher la commande. Tout est préparé dans des tote bags. Les retours restent une semaine en quarantaine avant d'être remis dans le circuit.
Le héros, Juan Belmonte, c'est un peu Luis Sepulveda. Alors que cet ancien guérillero s'est rangé en Patagonie où il soigne sa femme, torturée à la villa Grimaldi, laissée pour morte, mutique depuis trente ans, il est contacté par les services secrets russes qui veulent empêcher l'évasion de Miguel Krassnoff, tortionnaire de la villa Grimaldi, aujourd'hui en prison à vie à Santiago pour crimes contre l'humanité.
La narration alterne temps présent du roman, au début du 21° siècle, et temps passé qui présente les origines familiales et historiques de Miguel Krassnoff. Cette infâme crapule est un personnage réel (en photo sur la couverture de mon édition), descendant de l'ataman des cosaques du Don, Piotr Krasnov qui, pendant la seconde guerre mondiale, leva une armée de combattants en soutien aux nazis contre la promesse de la création d'une république cosaque autonome en Ukraine. Après la défaite ces troupes ont été livrées aux Soviétiques par les Britanniques. Ceux qui ont réussi à s'échapper sont ceux que l'Eglise catholique a fait passer en Amérique du sud. L'alternance des chapitres passé et présent ou ici et ailleurs est un traditionnel ingrédient des page turner et ça fonctionne ici.
J'ai apprécié cet ouvrage. A travers son personnage Sepulveda y regrette que la justice n'ait pas été plus volontaire contre les criminels des années noires du Chili. Vu le sujet et les personnages qui interviennent il y a des passages au contenu désagréable mais l'écriture est plaisante. A l'occasion de sa mort j'ai regardé sur Arte un documentaire sur Sepulveda dans lequel il proposait de faire lire des livres ennuyeux aux gens qu'on voudrait faire parler sous la torture. Il se disait prêt à fournir une liste de titres. La fin de l'histoire n'en ferait certes pas partie. Le roman est dédié à Carmen Sonia Yáñez qui était la femme de Sepulveda et qui fut incarcérée à la villa Grimaldi.
2 commentaires -
Par Anne-yes le 16 Mai 2020 à 17:06
Au printemps 1943 Bernie Gunther fait la connaissance de Dalia Dresner, starlette de l'UFA, les studios de cinéma allemands. La jeune femme d'origine croate est d'une grande beauté et notre héros est chargé par Goebbels, qui souhaite en faire sa maîtresse, de diverses missions la concernant. Il doit d'abord aller à Zagreb pour y retrouver le père de Dalia dont elle est sans nouvelles depuis longtemps. C'est l'occasion pour lui, et pour le lecteur, de découvrir les atrocités commises par les oustachis, les nazis locaux qui massacrent Serbes, Roms, musulmans, Juifs et communistes à un point que même les assassins qui servent d'escorte à Bernie en sont choqués : "Voyez-vous, ces fils de pute du SSO [Service de Sécurité Oustachi] ne tuent pas uniquement pour des raisons idéologiques, comme le sergent et moi, mais parce qu'ils aiment tuer et qu'ils prennent plaisir à se montrer cruels".
Quand Bernie rentre à Berlin, Dalia est partie pour Zurich. Le voilà envoyé à sa suite avec pour mission de la convaincre de rentrer en Allemagne. Sur place il est enlevé par les services secrets américains qui l'ont pris pour le général Schellenberg, plénipotentiaire spécial de Himmler. Il découvre alors que certains chefs nazis prennent des contacts en Suisse pour préparer l'après Hitler.
Il m'a fallu un peu de temps pour entrer dans ce roman. Il y a une longue période d'exposition de personnages qui ne reviendront que tardivement ce qui fait que je me suis demandée où tout cela allait nous mener. Bernie voyage en Yougoslavie puis en Suisse et je trouve l'action un peu décousue même si ici le lien est clairement son histoire d'amour avec Dalia qui permet au héros, désabusé et dégoûté de lui-même par les crimes de guerre auxquels il a assisté ou prêté la main, de vivre une parenthèse comme hors du temps.
Du point de vue historique ce qui m'a le plus intéressée c'est ce qui concerne les relations entre la Suisse neutre et l'Allemagne nazie. Des entreprises suisses commercent avec le gouvernement allemand mais ne veulent pas trop que ça se sache. Hitler envisage l'invasion de la Suisse mais certains de ses généraux tiennent à ce que le pays continue à avoir une existence indépendante pour avoir un lieu où négocier quand le moment sera venu.
2 commentaires -
Par Anne-yes le 9 Mai 2020 à 15:11
Per Olov Enquist est mort le 25 avril 2020. Il était né en 1934. Heureux hasard j'ai chez moi un livre de cet auteur que je n'avais jamais lu. Dans ses romans il avait pour habitude de mélanger des faits historiques et la fiction. C'est ce qu'il fait dans
Blanche et Marie. Blanche c'est Blanche Wittman (1859-1913) qui fut internée à la Salpêtrière pour hystérie et servit de cobaye au professeur Charcot lors de ses représentations de malades.Marie c'est Marie Curie. Per Olov Enquist imagine qu'après avoir quitté la Salpêtrière Blanche a été l'assistante de Marie pour ses travaux de recherche. Les deux femmes sont devenues très proches. Après la mort accidentelle de Pierre Curie Marie traverse une période de deuil très douloureuse. Elle retrouve goût à la vie quand elle devient la maîtresse de Paul Langevin. Cette liaison dure peu car Paul est marié et sa femme provoque un scandale qui éclabousse Marie. La presse de droite s'en donne à coeur joie contre l'étrangère qui détruit un mariage français. Tout au long de cette relation Marie se confie à son amie Blanche.
Le propos de l'auteur ici est de traiter de la condition féminine à la fin du 19° et au début du 20° siècles. Ainsi c'est Marie qui est accusée d'adultère tandis que Paul est traité comme une victime innocente. Avec Blanche il est question de la psychiatrisation des désirs des femmes. J'ai trouvé intéressant ce que j'ai lu sur la façon dont l'hystérie était montrée en spectacle à la Salpêtrière et ça m'a donné envie d'en savoir plus sur le sujet.
Dans les bras du professeur Charcot, Blanche Wittman lors d'une démonstration d'hystérie à la Salpêtrière
J'ai bien aimé aussi la pointe d'humour, que l'auteur fasse de rapides parallèles avec sa propre vie et qu'il arrive même à lier son récit à la Suède : "Henri Becquerel, ami de Marie Curie et autrefois son mentor. Il devait d'ailleurs donner son nom plus tard à une unité de mesure correspondant à la désintégration d'un atome par seconde, destinée à mesurer par exemple, la contamination radioactive de la viande de renne dans le Västerbotten dans le nord de la Suède après Tchernobyl".
J'ai d'abord été très déconcertée par le mélange de réalité et d'invention. Moi qui aime que les choses soient carrées je ne m'y retrouvais pas vraiment. Dans la vraie vie Marie n'a jamais rencontré Blanche. Dans le roman cette dernière tient une sorte de journal de leur relation dont des "citations" sont intégrées en italique. Le style, en apparence décousu, sautant du coq à l'âne, m'a aussi posé problème au début. Petit à petit cependant je suis entrée dans la lecture que j'ai finalement plutôt appréciée. Il se pourrait même que je relise Per Olov Enquist car j'ai vu que certains autres parmi ses titres pourraient m'intéresser. Jusqu'à la fin de ma lecture, cependant, j'ai régulièrement fait des incursions vers Wikipédia pour vérifier -ou infirmer- ce que je lisais.
4 commentaires
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique