• Oscar de Muriel, Mort au couvent, Presses de la citéMexique, 1689. La jeune Alina Alcántara Linares a 16 ans, elle est donc en âge d'être mariée mais sa grand-mère, la comtesse de Gijón, qui assure sa tutelle les parents étant morts, décide plutôt de la faire entrer au couvent : cela coûtera moins cher. Alina part donc comme novice au couvent de San Jerónimo à Mexico. Elle est accompagnée de Malinalli, renommée Matea pour la circonstance -un prénom chrétien, au moins-, une esclave indienne de 15 ans qui va lui servir de servante. Au couvent les deux jeunes filles font la connaissance de soeur Juana, une poétesse. Ensemble elles vont mener l'enquête sur des meurtres sanglants qui frappent les occupantes des lieux : des religieuses ont été immolées à la manière précolombienne. Il y a urgence à trouver le ou la coupable avant l'arrivée de l'inquisition aux méthodes beaucoup plus violentes que celles de nos trois héroïnes.

     

     

    L'intérêt historique du roman réside dans le cadre de vie du couvent. Chacune des religieuses -blanches- y est entrée suivie de sa servante ou esclave, noire ou indienne. Si pour Alina la vie cloîtrée marque une dégradation de sa condition -elle couche sur un mauvais matelas, doit se vêtir de linge épais- Matea découvre au contraire le plaisir d'avoir une pièce et des vêtements à soi, de manger à sa faim. Soeur Juana est inspirée de soeur Juana Inés de la Cruz (1651-1695), grande lettrée mexicaine.

    Le rythme de l'enquête, par contre, est plutôt mollasson et malgré des morts horrifiques la lecture est tranquille. Ce policier pâtit sans doute d'avoir été lu après Les larmes du Reich, beaucoup plus incisif.

     

    C'est ma participation au mois de l'Amérique latine organisé par Ingannmic.

     

    Oscar de Muriel, Mort au couvent, Presses de la cité

     


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  • François Médéline, Les larmes du Reich, 10-181951. Dans la Drôme, un couple de paysans a été assassiné, leur fille de onze ans, Juliette, a disparu. L'inspecteur Michel de la police criminelle de Lyon arrive à bicyclette pour mener l'enquête. Ce qui l'intéresse ce n'est pas le meurtre mais la disparition de la petite fille. Petit à petit on découvre qu'il est bien sombre et perturbé cet inspecteur Michel. Il a des choses à cacher aussi. D'ailleurs il n'est pas le seul personnage dans ce roman qui n'est pas tout à fait ce qu'il prétend être. Difficile d'en dire plus sans divulgâcher. Que vient faire le Reich dans cette affaire ? On est peu après la seconde guerre mondiale et il est question de conséquence des crimes nazis.

     

     

    Je trouve que la forme colle parfaitement au contenu. C'est écrit dans un style sec, les phrases sont courtes avec parfois des détails très précis dans les descriptions. Je ne suis pas sûre que l'intrigue soit vraiment crédible néanmoins j'ai été prise par ce roman que j'ai lu en deux jours. Un policier efficace.

     

     

    L'avis de Kathel.

     


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  • Lucie Azéma, Les femmes aussi sont du voyage, Flammarion

     

    L'émancipation par le départ

    "Pendant que les hommes racontent des aventures qu'ils n'ont jamais eues, les femmes vivent les aventures qu'elles ne raconteront jamais".

     

    Voyageuse, journaliste, Lucie Azéma a vécu au Liban, en Inde et en Iran. On m'a offert ce livre pour Noël, à la recherche d'une lecture facile et distrayante je l'ai sorti de ma PAL car son titre et la photo de couverture m'avaient laissé penser que j'y lirai des récits de voyageuses. En fait cet excellent essai est bien plus que cela : c'est une analyse du voyage au prisme du genre. Lucie Azéma explore ce qui fait du voyage une "fabrique de la masculinité"; pourquoi la littérature a invisibilisé les voyageuses au profit des voyageurs; ce que le travestissement apporte aux voyageuses comme liberté; comment, enfin, le voyage peut être pour une femme un moyen de s'appartenir, d'accéder à sa "chambre à soi". L'autrice appelle aussi à décoloniser le voyage. En imposant leurs récits comme universels, les hommes blancs donnent à voir une image du monde qui n'est pas aussi objective qu'elle le prétend. Les écrivains voyageurs (Stendhal, Baudelaire, Flaubert, Loti...) ont, par exemple, une vision fantasmagorique de la femme "exotique". C'est notamment le mythe du harem, lieu de tous les plaisirs. Les voyageuses de la même époque ont approché de beaucoup plus près la réalité. Décoloniser le voyage c'est aussi découvrir les récits des voyageurs non-Blancs.

     

     

    Qu'en est-il de la lecture facile et distrayante que je cherchais ? Cet ouvrage est, en effet, facile d'accès. Le propos est clair et bien étayé, rendu vivant par des exemples passionnants. . Enfin, plus que distrayante, j'ai trouvé cette lecture enthousiasmante par son positionnement féministe affirmé et j'ai dévoré le livre en deux jours. Cela m'a donné envie de voyager mais aussi d'autres lectures. Je relirai bien Alexandra David-Néel que j'avais lue à l'adolescence. J'ai aussi noté dans les sources toutes une série de titres alléchants dont plusieurs sont à ma bibliothèque.

     

     

    L'avis de Sunalee.

     


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  • Ludmila Oulitskaïa, Ce n'était que la peste, Folio Rudolf Ivanovitch Mayer, chercheur en biologie, s'est accidentellement inoculé la peste dans le cadre de son travail. Quand les autorités soviétiques le découvrent, le NKVD -la police politique- est chargé d'identifier et d'isoler les cas contact pour empêcher la contagion. Les personnes qui ont côtoyé Mayer sont emmenées et mises en quarantaine sans qu'on leur explique ce qui se passe. Nous sommes en 1939 et les arrestations arbitraires de la Grande Terreur (1936-1938) sont dans toutes les têtes. Finalement, quel soulagement de découvrir que Ce n'était que la peste.

     

     

    L'idée de départ -la peste préférable au totalitarisme- m'avait amusée et, en effet, Ludmila Oulitskaïa traite la question avec une ironie plaisante. Les attaques contre la terreur stalinienne sont caustiques. Ce qui est moins réussi c'est la forme. Le texte est en fait un scénario écrit en 1988 et ressorti d'un tiroir et publié en 2020 à la faveur de l'épidémie de covid. Le récit se présente sous la forme de courtes scènes qui débutent pas une description du cadre suivie de dialogues. Cela fait peu achevé. Si j'ajoute que les personnages sont nombreux et que l'on saute d'une scène à l'autre sans liaison, je m'y perds parfois un peu.

     

    "- Vous êtes capable de comprendre une idée biologique. Sur la transmission héréditaire des qualités sous l'influence de l'éducation... je veux dire d'une éducation appropriée.

    - Aaah..., répond Rudolf d'une voix traînante. Vous savez, je suis microbiologiste, j'ai bien peur que l'objet de mes études ne soit soumis à d'autres lois.

    - Comment ça, d'autres lois ? Comment ça, d'autres lois ? dit le jeune homme en s'échauffant. Nous sommes tous soumis à la même loi, la loi marxiste-léniniste ! (...)

    - Ca, c'est incontestable, cela ne fait pas le moindre doute ! acquiesce Rudolf avec sérieux. Seulement mes microbes, eux, ne sont pas au courant."

     


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  • Russell Banks, De beaux lendemains, BabelL'écrivain américain Russel Banks est mort le 7 janvier 2023, il était né en 1940. Le magazine America a publié en 2018 un long entretien avec Russell Banks dans lequel il dit : "j'écris sur la classe ouvrière, parce que j'en viens. J'écris sur les affres et les doutes de ceux que vous appelez les marginaux, parce que je crois pouvoir comprendre leurs affres et leurs doutes. J'écris sur les gens qui n'ont rien parce que ça me rend meilleur humainement."

     

     

    Russell Banks, De beaux lendemains, BabelDe beaux lendemains. Dans une petite ville du nord de l'Etat de New-York, un accident de bus scolaire cause la mort de 14 enfants. Le drame nous est raconté par les voix de quatre personnages :

    - Dolorès Driscoll était la conductrice du bus. C'est une femme solide, très attachée aux enfants qu'elle transportait et bouleversée par l'accident. Elle est bien intégrée dans sa communauté où on la considère plutôt comme une victime que comme responsable de ce qui s'est passé.

    - Veuf depuis quatre ans, petit entrepreneur local, Billy Ansel a perdu ses deux enfants dans l'accident. Il suivait le bus en voiture au moment où celui-ci a quitté la route et est donc le seul témoin de l'accident. Je note dans sa biographie un point commun avec celle de Russel Banks : son père a abandonné sa famille quand Billy avait 12 ans et il a du jouer le rôle de chef de famille pour ses frères et soeurs plus jeunes.

    - Mitchell Stephens est un avocat new-yorkais qui propose à quelques familles de victimes de poursuivre en justice les responsables de l'accident. Père d'une jeune femme droguée Mitchell Stephens est un homme mu par la colère.

    - Enfin Nicole Burnell, 14 ans, se retrouve paralysée suite à l'accident. Cette jeune fille auparavant populaire -capitaine des cheerleaders, reine du bal de la moisson- voit maintenant ses amis s'éloigner d'elle. Elle va cependant profiter de son handicap pour imposer sa volonté à un père abuseur.

     

     

    L'auteur montre bien comment le ressenti de chaque personnage par rapport à l'accident et ses conséquences est influencé par son passé et nous donne à voir ce qui se passe derrière les apparences.

    L'histoire se déroule dans les Etats-Unis profonds. A Sam Dent les gens sont endettés ou vivent modestement, parfois même dans une grande pauvreté. Il y a un quartier type quart-monde dont les habitants vivent dans des mobile home, on est loin du rêve américain. Russell Banks porte sur ses protagonistes un regard empathique et, malgré le sujet douloureux -la mort de 14 enfants- le roman évite le pathos.

     

     

    L'avis de Patrice, celui d'Ingannmic.

     


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  • Edith Bruck, Le pain perdu, Editions du sous-solEdith Bruck est une écrivaine italienne d'origine hongroise. Née en 1931 elle grandit dans une famille juive pauvre d'un village de Hongrie. Dans ce récit autobiographique la petite enfance est racontée à la troisième personne. Elle a 13 ans quand la famille est emmenée dans un ghetto puis à Auschwitz. Pour Edith c'est la fin de l'enfance, la narration passe au "je". A Auschwitz Edith et sa soeur Judit sont séparées de leurs parents et de leurs frères David et Jonas. Elles restent ensemble lors de l'évacuation du camps et sont envoyées à Dachau, affectées au travail forcé dans divers kommandos. De la déportation elle raconte la faim, les kapos, les violences et le vol entre détenues mais aussi les petites éclaircies dans la noirceur -quand quelqu'un lui demande son prénom, lui restituant ainsi son humanité-, les coups de chance qui lui ont permis de survivre. Les parents et Jonas ont été assassinés à Auschwitz.

     

     

    La moitié de l'ouvrage est consacrée au difficile retour à une vie "normale". C'est ce que j'ai trouvé le plus intéressant. Après la guerre ceux qui reviennent des camps ont le sentiment que leurs proches qui n'ont pas été déportés ne peuvent pas les comprendre. C'est le cas des deux soeurs aînées d'Edith qui ne veulent pas entendre ce qu'elle a à raconter et se plaignent au contraire d'avoir beaucoup souffert. Edith, Judit et David partent pour Israël en ordre dispersé. Mais Edith ne se trouve pas bien dans ce nouveau pays : elle ne veut plus obéir à un ordre, elle ne veut plus dormir dans un dortoir, elle ne veut pas faire son service militaire, elle ressent le besoin d'écrire. A 17 ans elle se marie puis divorce rapidement. Elle fuit en s'engageant dans une troupe de cabaret qui part en tournée. C'est ainsi qu'elle se retrouve en Italie où elle tombe bien vite amoureuse du pays, de ses habitants, de sa langue, d'un homme.

     

     

    Edith Bruck a consacré une partie de son existence à témoigner. Si elle dit qu'elle ne peut pas pardonner, elle a refusé de se venger quand elle en a eu l'occasion et n'éprouve pas de haine : "C'est pour ça que je suis saine et sauve, orpheline, libre". Je trouve que c'est une femme qui fait montre d'une belle résilience.

     

    L'avis de Nathalie.

    C'est une lecture commune organisée avec Ingannmic et Keisha dans le cadre des Lectures communes autour de l'Holocauste de Et si on bouquinait un peu et Passage à l'Est.

     

    Edith Bruck, Le pain perdu, Editions du sous-sol

     


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  • Anne Berest, La carte postale, Audiolib

     

    En 2003 la mère d'Anne Berest, Lélia, a reçu une carte postale anonyme sur laquelle étaient inscrits quatre prénoms : "Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques". Il s'agit des grands-parents maternels de Lélia et de sa tante et son oncle, tous quatre assassinés à Auschwitz. Dix ans plus tard, enceinte de sa fille, Anne Berest interroge sa mère sur l'histoire de sa famille. Nous découvrons ainsi le destin des Rabinovitch, Juifs de Russie qui quittent Moscou pour Riga à cause de la révolution, puis Riga pour la Palestine à cause de l'antisémitisme, avant de s'installer en France. Cette première partie annonce ce que sera le reste du livre: un mélange de documentation historique et de roman puisque sont reconstituées les paroles, les sensations et les pensées intimes des personnages que l'autrice suit quasiment jusque dans la chambre à gaz. J'ai lu sur Babélio que ce procédé avait incommodé certains lecteurs. Ce n'est pas mon cas mais je trouve parfois qu'elle en fait trop.

    La seule survivante de la famille est Myriam, mère de Lélia, soeur aînée de Noémie et Jacques, sauvée de la déportation par son mariage avec Vicente Picabia, le fils du peintre.

     

     

    En 2019 Anne Berest décide d'enquêter sur la carte postale anonyme et d'en retrouver l'auteur. C'est un moment où elle se pose des questions sur sa judéité. Qu'est-ce que cela veut dire être Juif aujourd'hui en France quand on a grandi dans une famille non croyante et non pratiquante ? Qu'est-ce qui se transmet de cet héritage malgré les silences et les non-dit ? Qu'est-ce que cela signifie être une descendante de survivante ? Je trouve cette réflexion intéressante même si il m'arrive de ne pas la suivre dans ses analyses, notamment quand elle explore l'influence qu'ont eu sur elle et sa soeur les prénoms cachés qu'on leur a donnés. Il me semble que je connais des gens qui ont les mêmes traits de caractère que décrits ici sans avoir les mêmes antécédents. L'enquête sur la carte postale est aussi l'occasion de présenter l'engagement des Picabia dans la résistance. Jeanine Picabia, soeur de Vicente, a dirigé le réseau Gloria et y a fait participer mère, frère, belle-soeur.

     

     

    J'ai écouté ce texte lu par Ariane Brousse de façon vivante. Elle a une voix claire mais est capable d'en changer pour jouer les différents personnages qui interviennent. Elle prend ainsi une voix rauque pour incarner Lélia, grande fumeuse. Au total c'est un livre que j'ai trouvé intéressant et émouvant et qui m'a donné envie de lire autre chose de l'autrice.Peut-être le livre qu'elle a écrit avec sa soeur, Claire Berest, sur Gabrielle Picabia, leur arrière-grand-mère qui intervient dans La carte postale.

    A l'habitude chez Audiolib le texte est suivi d'un entretien avec l'autrice où elle donne quelques explications sur son travail et notamment sur l'articulation entre faits réels et romancés.

     

     

    L'avis de Luocine, celui de Dominique.

    Je participe aux Lectures communes autour de l'Holocauste organisées par Et si on bouquinait un peu et Passage à l'Est.

     

    Anne Berest, La carte postale, Audiolib

     


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  • Thomas Harding, Hanns et Rudolf, Flammarion En 2006, à l'occasion des obsèques de son grand-oncle, Hanns Alexander, le journaliste Thomas Harding découvre que ce dernier a, en 1946, pourchassé et arrêté Rudolf Höss qui fut le commandant du camp d'Auschwitz. Il décide de mener l'enquête sur cette affaire qui était tue dans la famille. Le résultat en est ce fort intéressant ouvrage paru en 2013 qui nous présente en parallèle les biographies de Rudolf Höss et de Hanns Alexander.

     

     

    Rudolf Höss s'engage dans la première guerre mondiale en 1916 à 14 ans en mentant sur son âge. Il est un ancien combattant à 16 ans. Il fait le coup de poing dans les corps francs puis adhère au parti nazi dès 1922 mais son rêve est de s'installer comme agriculteur. Il est en cela proche de la ligue des Artamans, une organisation völkisch (nationaliste) prônant le retour à la terre. En 1934, cependant, il accepte un poste de garde au camp de concentration de Dachau. On lui promet un avancement rapide et il espère que cela lui permettra, plus tard, de s'acheter la ferme de ses rêves. Il est nommé à Auschwitz en 1941, chargé par Himmler de créer et d'organiser le camp.

     

     

    L'auteur montre bien comment, en s'attelant avec rigueur à la tâche qui lui avait été confiée, Rudolf Höss est bien le maillon essentiel qui a permis à Auschwitz-Birkenau de devenir l'usine de mort qu'elle était. Lui s'en est toujours défendu : il n'a fait qu'obéir aux ordres et n'est responsable en rien. Dans ses mémoires il écrit : "Je n'ai pas voulu tuer en moi les sentiments de compassion pour la misère humaine. Je les ai toujours éprouvés, mais dans la plupart des cas je n'en ai pas tenu compte parce qu'il ne m'était pas permis d'être "mou."

    et "Je n'avais pas à réfléchir, j'avais à exécuter la consigne. Mon horizon n'était pas suffisamment vaste pour me permettre de me former un jugement personnel sur la nécessité d'exterminer tous les juifs."

    Je trouve ces derniers propos glaçants. C'est un personnage qui a compartimenté sa vie de façon à pouvoir être efficace au travail et profiter ensuite d'une bonne soirée en famille avec ses enfants, à deux pas des chambres à gaz, sans penser à ce qu'il a fait de la journée. Tous ces aspects je les avais découverts en lisant La mort est mon métier de Robert Merle. Si je constate ici que Robert Merle avait sans doute fait quelques erreurs dans la biographie de Rudolf Höss, il en avait par contre très bien analysé le fonctionnement.

     

     

    Hanns Alexander est un Juif allemand originaire de la très bonne bourgeoisie. Son père est médecin, propriétaire d'une clinique privée à Berlin. La famille émigre à Londres en 1936 pour fuir les persécutions antisémites des nazis. Hanns et son frère jumeau Paul s'engagent dans l'armée britannique dès le début de la guerre mais la Grande-Bretagne se méfie de ces soldats allemands suspectés de pouvoir trahir et ils sont cantonnés à des tâches subalternes et n'ont pas le droit de porter d'arme au grand regret des deux frères qui souhaitent en découdre avec les nazis. J'apprends que 27000 Allemands installés en Grande-Bretagne, majoritairement des Juifs, ont été internés dans des camps comme "ressortissants ennemis". Hanns et Paul y ont échappé en tant que soldats.

    Après le Débarquement, quand on propose à Hanns de faire le traducteur en Allemagne pour l'armée britannique, il accepte sans hésiter : enfin il va pouvoir servir à quelque chose. Il traduit des interrogatoires de criminels nazis puis est chargé, à sa demande, de la traque de Rudolf Höss. Ce qui m'a le plus intéressée c'est ce qui est dit de la mise en place des tribunaux -dont celui de Nuremberg- chargés de juger les crimes de guerre, contre l'humanité et de génocide.

     

     

    L'objectif de l'auteur est de présenter ses personnages dans toute leur complexité aussi n'occulte-t-il pas les aspects sombres de Hanns. Traumatisé par ce qu'il a découvert au camp de Bergen-Belsen où il a travaillé après le départ des nazis il a développé une haine inextinguible pour l'Allemagne et les Allemands. Il laisse ses hommes tabasser Höss après son arrestation, participe à des actes de torture et a peut-être même été complice du lynchage d'un autre criminel de guerre. C'est cette haine qui explique aussi pourquoi, après être rentré en Grande-Bretagne, il n'a plus jamais remis les pieds en Allemagne ni évoqué cette partie de sa vie.

     

     

    J'ai beaucoup apprécié cette lecture. Thomas Harding a fait un travail très intéressant et approfondi. L'ouvrage est illustré de nombreuses photos des protagonistes à diverses étapes de leur vie. J'ai envie d'en savoir plus maintenant sur la traque des criminels nazis.

     

     

    L'avis de Patrice, celui d'Henri.
    Cette lecture est ma première participation aux lectures communes autour de l'holocauste, organisées par Et si on bouquinait un peu et Passage à l'Est.

     

    Thomas Harding, Hanns et Rudolf, Flammarion

     


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  • Françoise Bourdin, Rendez-vous à Kerloc'h, PocketFrançoise Bourdin est morte le 25 décembre 2023. Cette écrivaine discrète née en 1952 était une autrice à succès : elle a écrit quelques 50 romans qui se sont vendus à plus de 15 millions d'exemplaires. Beaucoup ont été adaptés à la télévision. "Romancière des familles prospères et des belles maisons qui ne dérogeait jamais au principe du happy end..." c'est par ces mots que commence la nécro du Monde et c'est tout à fait de cela dont il s'agit dans Rendez-vous à Kerloc'h.

     

     

    Françoise Bourdin, Rendez-vous à Kerloc'h, PocketÂgé de 37 ans Loïc le Marrec a tout perdu dans son divorce : sa femme, bien sûr, mais aussi sa maison, son argent, son travail et son fils. Il ne voit pas d'autre solution que de revenir s'installer dans la demeure familiale où son père, Artus, règne en patriarche. Les trois frères et soeur de Loïc sont restés travailler et vivre sur cette exploitation agricole. Si chacun habite son propre logement, les repas du soir se prennent en commun. Artus qui nous est présenté comme un homme droit est en fait un tyran domestique auquel personne n'ose s'opposer vraiment et qui a toujours traité Loïc moins bien que ses autres enfants, lui témoignant du mépris et même de la haine. Le secret de famille qui se cache derrière ce ressentiment se devine dès les premières pages. La question que je me pose c'est comment on va parvenir à la réconciliation après des années de comportements injustes et de propos blessants.

     

     

    Avec cette interrogation Françoise Bourdin a réussi à m'accrocher et j'ai lu ce roman rapidement même si j'en vois les défauts. Les comportements des personnages et les situations sont souvent caricaturaux et surtout je suis gênée tout du long par un léger fond -mais quasi permanent- de stéréotypes de genre. Possible que l'autrice n'en ait pas conscience qui nous affirme à plusieurs reprises que, dans la famille le Marrec, garçons (sauf Loïc) et fille sont traités à égalité. Et soudain, à propos de Gaëlle, la fille le Marrec, ce passage : "Seule dans un monde d'hommes depuis la mort de leur mère, Gaëlle n'avait eu d'autre horizon que ses frères, son père, les ouvriers agricoles qui se succédaient à Kerloc'h. Elle partageait leur goût pour la terre, se donnait autant de mal que n'importe lequel d'entre aux, travaillait en jean et en bottes de caoutchouc d'un bout de l'année à l'autre, ne s'accordait que de brèves aventures sans suite. Or Elias avait fait d'elle une femme. Il ne se contentait pas de l'aimer, il la vénérait." Je ne sais pas pour Gaëlle mais moi je n'ai pas envie d'être traitée comme une déesse, j'ai envie d'être traitée comme une personne. Quant à prendre conscience que j'étais une femme, cela s'est passé au collège quand des garçons de mon âge ont commencé à se croire autorisés à me faire des réflexions sur mon physique. Un roman qui véhicule beaucoup trop de préjugés patriarcaux à mon goût.

     


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  • Jean Teulé est mort le 18 octobre 2022. Né en 1953 il a été bédéaste, animateur télé puis romancier.

     

    Entrez dans la danse. A Strasbourg, en 1518, dans un contexte de famine avec des cas de cannibalisme et alors que circule une rumeur d'invasion prochaine par les Turcs, voilà que des gens se mettent à danser, de plus en plus nombreux. C'est comme une épidémie qu'on attraperait en voyant les autres danser, c'est peut être un épisode d'hystérie collective pour échapper aux horreurs du présent, et ça danse jour et nuit au point d'en avoir les pieds en sang ou même d'en mourir. Le maire et l'évêque cherchent un remède à ce phénomène.

     

     

    Pour écrire ce roman, Jean Teulé s'est inspiré d'événements qui se sont effectivement déroulés à Strasbourg en 1518. Il cite en fin d'ouvrage la bibliographie qu'il a utilisé. Le texte est écrit dans une langue volontiers anachronique qui utilise tournures familières, argot ou anglicismes contemporains. A la première occurrence je suis surprise et je trouve cela amusant mais l'attrait de la nouveauté s'épuise vite et il me semble bientôt que cela fait procédé, d'autant plus que le fond me paraît lui aussi un peu répétitif: on revient sans arrêt sur ces malheureux qui ne peuvent pas s'arrêter de danser.

     

     

    Ce que j'ai plus apprécié : une attaque contre les abus de l'Eglise catholique -l'épisode se déroule peu avant la Réforme-, de jolies descriptions avec un côté poétique et une fin touchante qui rattrape le reste mais cela ne suffit pas pour me convaincre.

     


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