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Par Anne-yes le 30 Janvier 2023 à 10:28
En 2003 la mère d'Anne Berest, Lélia, a reçu une carte postale anonyme sur laquelle étaient inscrits quatre prénoms : "Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques". Il s'agit des grands-parents maternels de Lélia et de sa tante et son oncle, tous quatre assassinés à Auschwitz. Dix ans plus tard, enceinte de sa fille, Anne Berest interroge sa mère sur l'histoire de sa famille. Nous découvrons ainsi le destin des Rabinovitch, Juifs de Russie qui quittent Moscou pour Riga à cause de la révolution, puis Riga pour la Palestine à cause de l'antisémitisme, avant de s'installer en France. Cette première partie annonce ce que sera le reste du livre: un mélange de documentation historique et de roman puisque sont reconstituées les paroles, les sensations et les pensées intimes des personnages que l'autrice suit quasiment jusque dans la chambre à gaz. J'ai lu sur Babélio que ce procédé avait incommodé certains lecteurs. Ce n'est pas mon cas mais je trouve parfois qu'elle en fait trop.
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Par Anne-yes le 27 Janvier 2023 à 09:41
En 2006, à l'occasion des obsèques de son grand-oncle, Hanns Alexander, le journaliste Thomas Harding découvre que ce dernier a, en 1946, pourchassé et arrêté Rudolf Höss qui fut le commandant du camp d'Auschwitz. Il décide de mener l'enquête sur cette affaire qui était tue dans la famille. Le résultat en est ce fort intéressant ouvrage paru en 2013 qui nous présente en parallèle les biographies de Rudolf Höss et de Hanns Alexander.
Rudolf Höss s'engage dans la première guerre mondiale en 1916 à 14 ans en mentant sur son âge. Il est un ancien combattant à 16 ans. Il fait le coup de poing dans les corps francs puis adhère au parti nazi dès 1922 mais son rêve est de s'installer comme agriculteur. Il est en cela proche de la ligue des Artamans, une organisation völkisch (nationaliste) prônant le retour à la terre. En 1934, cependant, il accepte un poste de garde au camp de concentration de Dachau. On lui promet un avancement rapide et il espère que cela lui permettra, plus tard, de s'acheter la ferme de ses rêves. Il est nommé à Auschwitz en 1941, chargé par Himmler de créer et d'organiser le camp.
L'auteur montre bien comment, en s'attelant avec rigueur à la tâche qui lui avait été confiée, Rudolf Höss est bien le maillon essentiel qui a permis à Auschwitz-Birkenau de devenir l'usine de mort qu'elle était. Lui s'en est toujours défendu : il n'a fait qu'obéir aux ordres et n'est responsable en rien. Dans ses mémoires il écrit : "Je n'ai pas voulu tuer en moi les sentiments de compassion pour la misère humaine. Je les ai toujours éprouvés, mais dans la plupart des cas je n'en ai pas tenu compte parce qu'il ne m'était pas permis d'être "mou."
et "Je n'avais pas à réfléchir, j'avais à exécuter la consigne. Mon horizon n'était pas suffisamment vaste pour me permettre de me former un jugement personnel sur la nécessité d'exterminer tous les juifs."
Je trouve ces derniers propos glaçants. C'est un personnage qui a compartimenté sa vie de façon à pouvoir être efficace au travail et profiter ensuite d'une bonne soirée en famille avec ses enfants, à deux pas des chambres à gaz, sans penser à ce qu'il a fait de la journée. Tous ces aspects je les avais découverts en lisant La mort est mon métier de Robert Merle. Si je constate ici que Robert Merle avait sans doute fait quelques erreurs dans la biographie de Rudolf Höss, il en avait par contre très bien analysé le fonctionnement.
Hanns Alexander est un Juif allemand originaire de la très bonne bourgeoisie. Son père est médecin, propriétaire d'une clinique privée à Berlin. La famille émigre à Londres en 1936 pour fuir les persécutions antisémites des nazis. Hanns et son frère jumeau Paul s'engagent dans l'armée britannique dès le début de la guerre mais la Grande-Bretagne se méfie de ces soldats allemands suspectés de pouvoir trahir et ils sont cantonnés à des tâches subalternes et n'ont pas le droit de porter d'arme au grand regret des deux frères qui souhaitent en découdre avec les nazis. J'apprends que 27000 Allemands installés en Grande-Bretagne, majoritairement des Juifs, ont été internés dans des camps comme "ressortissants ennemis". Hanns et Paul y ont échappé en tant que soldats.
Après le Débarquement, quand on propose à Hanns de faire le traducteur en Allemagne pour l'armée britannique, il accepte sans hésiter : enfin il va pouvoir servir à quelque chose. Il traduit des interrogatoires de criminels nazis puis est chargé, à sa demande, de la traque de Rudolf Höss. Ce qui m'a le plus intéressée c'est ce qui est dit de la mise en place des tribunaux -dont celui de Nuremberg- chargés de juger les crimes de guerre, contre l'humanité et de génocide.
L'objectif de l'auteur est de présenter ses personnages dans toute leur complexité aussi n'occulte-t-il pas les aspects sombres de Hanns. Traumatisé par ce qu'il a découvert au camp de Bergen-Belsen où il a travaillé après le départ des nazis il a développé une haine inextinguible pour l'Allemagne et les Allemands. Il laisse ses hommes tabasser Höss après son arrestation, participe à des actes de torture et a peut-être même été complice du lynchage d'un autre criminel de guerre. C'est cette haine qui explique aussi pourquoi, après être rentré en Grande-Bretagne, il n'a plus jamais remis les pieds en Allemagne ni évoqué cette partie de sa vie.
J'ai beaucoup apprécié cette lecture. Thomas Harding a fait un travail très intéressant et approfondi. L'ouvrage est illustré de nombreuses photos des protagonistes à diverses étapes de leur vie. J'ai envie d'en savoir plus maintenant sur la traque des criminels nazis.
L'avis de Patrice, celui d'Henri.
Cette lecture est ma première participation aux lectures communes autour de l'holocauste, organisées par Et si on bouquinait un peu et Passage à l'Est.
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Par Anne-yes le 24 Janvier 2023 à 14:19
Françoise Bourdin est morte le 25 décembre 2023. Cette écrivaine discrète née en 1952 était une autrice à succès : elle a écrit quelques 50 romans qui se sont vendus à plus de 15 millions d'exemplaires. Beaucoup ont été adaptés à la télévision. "Romancière des familles prospères et des belles maisons qui ne dérogeait jamais au principe du happy end..." c'est par ces mots que commence la nécro du Monde et c'est tout à fait de cela dont il s'agit dans Rendez-vous à Kerloc'h.
Âgé de 37 ans Loïc le Marrec a tout perdu dans son divorce : sa femme, bien sûr, mais aussi sa maison, son argent, son travail et son fils. Il ne voit pas d'autre solution que de revenir s'installer dans la demeure familiale où son père, Artus, règne en patriarche. Les trois frères et soeur de Loïc sont restés travailler et vivre sur cette exploitation agricole. Si chacun habite son propre logement, les repas du soir se prennent en commun. Artus qui nous est présenté comme un homme droit est en fait un tyran domestique auquel personne n'ose s'opposer vraiment et qui a toujours traité Loïc moins bien que ses autres enfants, lui témoignant du mépris et même de la haine. Le secret de famille qui se cache derrière ce ressentiment se devine dès les premières pages. La question que je me pose c'est comment on va parvenir à la réconciliation après des années de comportements injustes et de propos blessants.
Avec cette interrogation Françoise Bourdin a réussi à m'accrocher et j'ai lu ce roman rapidement même si j'en vois les défauts. Les comportements des personnages et les situations sont souvent caricaturaux et surtout je suis gênée tout du long par un léger fond -mais quasi permanent- de stéréotypes de genre. Possible que l'autrice n'en ait pas conscience qui nous affirme à plusieurs reprises que, dans la famille le Marrec, garçons (sauf Loïc) et fille sont traités à égalité. Et soudain, à propos de Gaëlle, la fille le Marrec, ce passage : "Seule dans un monde d'hommes depuis la mort de leur mère, Gaëlle n'avait eu d'autre horizon que ses frères, son père, les ouvriers agricoles qui se succédaient à Kerloc'h. Elle partageait leur goût pour la terre, se donnait autant de mal que n'importe lequel d'entre aux, travaillait en jean et en bottes de caoutchouc d'un bout de l'année à l'autre, ne s'accordait que de brèves aventures sans suite. Or Elias avait fait d'elle une femme. Il ne se contentait pas de l'aimer, il la vénérait." Je ne sais pas pour Gaëlle mais moi je n'ai pas envie d'être traitée comme une déesse, j'ai envie d'être traitée comme une personne. Quant à prendre conscience que j'étais une femme, cela s'est passé au collège quand des garçons de mon âge ont commencé à se croire autorisés à me faire des réflexions sur mon physique. Un roman qui véhicule beaucoup trop de préjugés patriarcaux à mon goût.
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Par Anne-yes le 22 Janvier 2023 à 09:49
Jean Teulé est mort le 18 octobre 2022. Né en 1953 il a été bédéaste, animateur télé puis romancier.
Entrez dans la danse. A Strasbourg, en 1518, dans un contexte de famine avec des cas de cannibalisme et alors que circule une rumeur d'invasion prochaine par les Turcs, voilà que des gens se mettent à danser, de plus en plus nombreux. C'est comme une épidémie qu'on attraperait en voyant les autres danser, c'est peut être un épisode d'hystérie collective pour échapper aux horreurs du présent, et ça danse jour et nuit au point d'en avoir les pieds en sang ou même d'en mourir. Le maire et l'évêque cherchent un remède à ce phénomène.
Pour écrire ce roman, Jean Teulé s'est inspiré d'événements qui se sont effectivement déroulés à Strasbourg en 1518. Il cite en fin d'ouvrage la bibliographie qu'il a utilisé. Le texte est écrit dans une langue volontiers anachronique qui utilise tournures familières, argot ou anglicismes contemporains. A la première occurrence je suis surprise et je trouve cela amusant mais l'attrait de la nouveauté s'épuise vite et il me semble bientôt que cela fait procédé, d'autant plus que le fond me paraît lui aussi un peu répétitif: on revient sans arrêt sur ces malheureux qui ne peuvent pas s'arrêter de danser.
Ce que j'ai plus apprécié : une attaque contre les abus de l'Eglise catholique -l'épisode se déroule peu avant la Réforme-, de jolies descriptions avec un côté poétique et une fin touchante qui rattrape le reste mais cela ne suffit pas pour me convaincre.
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Par Anne-yes le 18 Janvier 2023 à 12:16
Pour la troisième année consécutive Et si on bouquinait un peu et Passage à l'Est organisent une semaine de lectures autour de l'Holocauste. Ce sera du 27 janvier au 3 février 2023 et, comme les années précédentes, j'ai prévu d'y participer car c'est un thème qui m'intéresse depuis longtemps. A cette occasion, Ingannmic et moi, en accord avec les organisateurs, vous proposons une lecture commune du roman d'Edith Bruck Le pain perdu, le 2 février. A bientôt !
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Par Anne-yes le 16 Janvier 2023 à 14:35
Histoire d'un combat anthropologique sans fin
Pascal Picq est anthropologue évolutionniste c'est-à-dire, si j'ai bien compris, qu'il étudie les comportements humains à travers les temps, ceux qui changent et ceux qui perdurent. A propos du sexisme et des violences contre les femmes il constate que ces comportements existent depuis la préhistoire mais que, en Occident, la domination masculine s'est alourdie à partir de la fin du Moyen-âge. En suivant un découpage par siècles, du 16° au 20°, l'auteur étudie les étapes qui ont conduit à un contrôle croissant des femmes.
Au 16° siècle. La chasse aux sorcières déchaîne des violences inouïes, l'auteur parle de gynocide. Il s'agit de rejeter le savoir des femmes (accouchements, guérisseuses), de reprendre le contrôle sur leur corps et d'affirmer l'autorité de la corporation des médecins.
Au 17° siècle. C'est le début de l'expansion coloniale qui va permettre à l'Occident d'imposer son modèle de société patriarcale. Des cultures plus égalitaires disparaissent. Ce sujet de la colonisation est développé au 19° siècle, en lien avec l'image de la femme "exotique" qui alimente les fantasmes masculins.
Au 18° siècle. La classification des espèces renvoie les femmes à leur fonction de reproduction et à leur supposée plus grande proximité avec la nature : "Charles Linné nomme les mammifères mammalia ou mammifères en référence à une physiologie de la reproduction ne touchant que les femelles et non pas, par exemple, les pilosa en références aux poils, ce qui aurait concerné les deux sexes".
Au 19° siècle. Le code civil de Napoléon (1804) fait des femmes de perpétuelles mineures. La science arrive même à justifier cette idée : "Dans plusieurs représentations de squelettes d'homme, de femme et d'enfant, on s'aperçoit que, comme chez les jeunes enfants, la suture de l'os frontal -la suture métapique- n'est pas complètement fermée chez la femme. Dans la réalité elle se ferme bien à la fin de l'enfance mais chez les deux sexes".
Au 20° siècle. Les crises diverses entraînent, comme bien souvent, une dégradation du sort des femmes. L'auteur compare le phénomène des femmes tondues à la Libération à la chasse aux sorcières : "Les armées occupantes tuent et violent les femmes des pays envahis, mais les exactions contre les femmes du temps des sorcières ou de la Libération procèdent de violences des hommes envers ce qu'ils considèrent comme leurs femmes; et ils s'en prennent à leur corps et à leur sexualité. Autrement dit, dans un cas comme dans l'autre, les femmes deviennent les victimes des tensions provoquées par les profonds changements économiques, sociaux et politiques des sociétés européennes, une majorité d'hommes ayant le sentiment, plus ou moins conscient ou concret, de perdre leur statut".
J'ai choisi de vous présenter un sujet par siècle, Pascal Picq en traite beaucoup plus, les développe et les approfondit et j'ai trouvé dans ce livre des idées très éclairantes. La lecture n'est pas toujours facile, il y a des passages théoriques que j'ai trouvés un peu ardus mais il y a aussi beaucoup de choses qui m'ont semblé très claires. La conclusion c'est que les discriminations contre les femmes ont traversé des millénaires depuis la préhistoire mais que les violences contre les femmes sont des faits de culture et de civilisation et que nos sociétés peuvent donc changer radicalement sur la question de l'égalité des droits pour les femmes et les hommes.
Ma réserve c'est que Pascal Picq qui écrit beaucoup se cite beaucoup et à l'air de considérer que ses oeuvres antérieures sont déjà connues du lecteur, ce qui n'est pas mon cas. Je me demande si cette production nombreuse n'est pas responsable de quelques points qui me semblent traités à la légère. Je regrette ainsi que dans un passage il soit question de femmes -on ne saura pas leurs noms- passionnées par les sciences qui ont collaboré avec Carl von Linné, Jean-Jacques Rousseau, Bernard de Jussieu, Joseph Pitton de Tournefort ou Jean-Baptiste de Lamarck dont l'auteur déplore qu'ils aient pris toute la place dans l'histoire des sciences naturelles. C'était peut-être le moment de rendre justice à ces femmes et de les nommer ?
Malgré cela je dirais que les points forts l'emportent et c'est une lecture que j'ai globalement appréciée.
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Par Anne-yes le 12 Janvier 2023 à 15:53
Une enfance en Turquie
Née en 1975 Özge Samancı est une artiste multimédia turque installée aux Etats-Unis. Dans ce roman graphique elle raconte son enfance et son adolescence en Turquie depuis ses six ans. Özge Samancı grandit à Izmir, sa ville natale, auprès de Pelin, sa soeur aînée et de parents enseignants. Le père veut que ses filles soient ingénieures pour gagner correctement leur vie et être indépendantes. Pour cela il faut intégrer un lycée de prestige puis une université de prestige ce qui passe par des cours du soir privés. Özge a bien du mal à se plier aux injonctions de son père. Elle s'imagine en nageuse olympique, en plongeuse comme le commandant Cousteau, en actrice, jamais en ingénieure. Comment être soi-même sans décevoir ceux que l'on aime ?
J'ai beaucoup apprécié cet excellent ouvrage. Quand Özge Samancı raconte sa scolarité primaire au début des années 1980 avec la figure d'Atatürk omniprésente, l'embrigadement des enfants, les punitions corporelles, cela me fait penser à ce que vit Riad Sattouf en Syrie à peu près à la même époque, toutes proportions gardées car Özge vit dans une famille libérale. J'aime la façon dont elle restitue l'innocence de l'enfance et le cadre matériel de la vie à cette époque. En grandissant elle garde intacte sa capacité à s'enthousiasmer ce que je trouve très plaisant. Elle m'apparaît très sympathique et son livre aussi où le dessin s'accompagne de photos d'objets, papiers collés et autres inventions plastiques. Une très bonne découverte due à Masse critique.
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Par Anne-yes le 4 Janvier 2023 à 15:39
Quand il travaillait sur Retour à Lemberg, Philippe Sands a fait la connaissance de Horst Wächter, fils de Otto von Wächter, et il a commencé à enquêter sur ce dernier. Autrichien, Otto von Wächter (1901-1949) a adhéré au parti nazi dès 1923. Après l'Anschluss il monte rapidement en grade et occupe différents postes de commandement, à Vienne, à Cracovie puis à Lemberg où il est chaque fois chargé des politiques anti-juives et s'en acquitte avec efficacité. Après la défaite des nazis Otto von Wächter se cache dans les Alpes autrichiennes pendant près de trois ans. Il est à cette époque l'un des chefs nazis les plus recherchés par les Alliés. En 1949 il passe en Italie grâce à des faux papiers fournis par sa femme. A Rome il bénéficie de complicités et prépare son départ pour l'Amérique du Sud mais meurt avant de pouvoir réaliser ce projet.
Pour écrire la biographie d'Otto von Wächter Philippe Sands a eu accès aux archives personnelles de Charlotte, la femme d'Otto. Journaux intimes, courriers entre les époux, bandes enregistrées, tous ces précieux documents ont été confiés à l'auteur par Horst Wächter avec qui Philippe Sands a noué une relation de confiance. Charlotte von Wächter apparaît comme une parfaite femme de nazi, parfaite nazie elle-même. Elle est tellement représentative que j'ai cru un moment la reconnaître comme une des protagonistes de Femmes de nazis. Mais non. Elle me fait aussi penser à Josée Laval, seulement intéressée par la vie mondaine qu'elle mène grâce à la position de son mari (son père dans le cas de la fille Laval) : "Les déjeuners de vingt personnes étaient parfois suivis de thés où se retrouvaient quarante invités. Dans la mesure où la ville [Lemberg] était sur la route du front russe, les gens pouvaient faire une halte chez eux : la guerre devenait ainsi un catalyseur d'événements mondains".
Charlotte est par ailleurs très amoureuse de son mari ce qui contribue aussi à la rendre totalement aveugle aux crimes auxquels il participe.
Philippe Sands a mené l'enquête à Rome sur les filières d'exfiltration de nazis. Il y met à jour le rôle actif de l'Eglise catholique, notamment en la personne de l'évêque nazi Aloïs Hudal. Après la guerre cet Autrichien a fourni gîte, argent et faux papiers aux nazis réfugiés à Rome, il en a aidé à passer en Amérique du Sud comme par exemple Franz Stangl, le commandant de Treblinka. Je découvre qu'à la fin des années 1940, dans le contexte des débuts de la guerre froide, des nazis sont aussi recrutés par les services du contre-espionnage américain. Dans l'optique de lutter contre le communisme ("Les ennemis de mes ennemis sont mes amis") on ferme les yeux sur leurs crimes et on leur fourni une nouvelle identité. Les Allemands appellent cela le Persilschein (du nom de la lessive) qui lave plus blanc que blanc. L'auteur prouve que les Américains ont été au courant de la présence d'Otto dès son arrivée à Rome mais qu'ils n'ont rien fait pour arrêter ce criminel de masse, en théorie activement recherché.
Après le père et la mère Philippe Sands côtoie -et lui en chair et en os- un fils de la famille Wächter, Horst. Ce vieux monsieur affable et accueillant avec qui l'auteur a sympathisé a très peu connu son père. Il a été élevé par sa mère et son grand-père -qui a fait office de père de substitution- tous deux convaincus de l'innocence d'Otto. Aussi, tout en affirmant vouloir connaître toute la vérité sur les crimes dont son père est accusé -et sans doute le croit-il vraiment- Horst s'est enfermé dans un déni de plus en plus profond, assez fascinant à observer. Il arrive à trouver une explication édulcorante à toutes les preuves, même les plus incriminantes, que lui présente l'auteur. J'admire ce dernier qui reste très patient -il confesse cependant s'être énervé une fois.
L'enquête menée par Philippe Sands sur plusieurs années a débouché (avant le livre) sur un documentaire -What our fathers did. A nazi legacy- que je n'ai pas vu et un podcast disponible sur Radio France -que j'ai écouté en suivant la lecture du livre. J'ai trouvé l'un et l'autre passionnants et se complétant bien. Ce ne sont pas les mêmes points qui sont détaillés dans le podcast que dans le livre, il n'y a pas de redondance. Si Retour à Lemberg qui traite de points de droit international était parfois un peu technique, La filière est d'une lecture beaucoup plus accessible.
L'avis d'Henri, celui de Luocine.
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Par Anne-yes le 1 Janvier 2023 à 12:46
Sur le bassin d'Arcachon
Je souhaite une bonne année 2023 à toutes et à tous. Du courage et de la persévérance pour entreprendre et mener à bien vos projets, de bons moments, de bonnes lectures. J'en profite pour vous présenter celles qui m'ont le plus marquée en 2022 :
Marie-Claire Blais, Petites Cendres ou la capture
Sorj Chalandon, Enfant de salaud
Stefan Hertmans, Une ascension
Titiou Lecoq, Les grandes oubliées
Natascha Wodin, Elle venait de Marioupol
Ruth Zylberman, 209 rue Saint-Maur
Pour Noël on m'a offert des livres, bien sûr. Mon objectif est de les lire d'ici juillet (date de mon anniversaire). En matière de lectures je prévois, en 2023, de participer à différents défis. Le premier en date sera les lectures communes autour de l'Holocauste à la fin de ce mois. Je compte aussi continuer mon entreprise de lecture d'auteurs à l'occasion de leur mort. Ce projet m'a permis de nombreuses découvertes dont quelques unes de notables.
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Par Anne-yes le 22 Décembre 2022 à 10:00
Arne (et non pas Arnes comme écrit sur la couverture !) et Carlos sont deux designers tricot norvégiens. Je découvre cet ouvrage à ma médiathèque où, à cette époque de l'année, les bibliothécaires ont mis en place une étagère sur le thème de Noël. Comment résister à ces mignonnes boules de Noël, d'autant plus que je constate que la laine préconisée pour les tricoter est la même que celle que j'ai utilisée pour mes moufles et dont il me reste du stock ? Au travail, c'est bientôt Noël !
Les auteurs préconisent de travailler avec un jeu de 5 aiguilles, j'ai fait ça avec une aiguille circulaire en magic loop, je préfère. Les explications sont claires, chaque boule est accompagnée de son diagramme et il y a des points techniques sur les augmentations et les diminutions. Il y a de nombreuses illustrations : des boules proposées mais aussi des auteurs au travail et d'objets anciens en rapport avec Noël qu'ils ont collecté chez eux. Une boule se tricote en un peu plus de deux heures et à cette vitesse c'est assez addictif, je dois dire. Ca va me faire des petits cadeaux de Noël, c'est très bien, il m'en manquait.
Bonnes fêtes à tous !
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